PREDATION
Le loup étend son territoire de prédation

Pierre Garcia
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PREDATION / Véritable fléau pour les éleveurs, le loup fait chaque année de nombreux ravages dans les cheptels. S’il reste difficile d’évaluer le nombre exact d’individus, un suivi des victimes permet de mesurer l’extension progressive de la prédation du loup sur le territoire.

Le loup étend son territoire de prédation
Les attaques de loup font des ravages dans les cheptels. Au total, 12 451 victimes ont été indemnisées en France en 2019. C’est 393 de plus que sur l’ensemble de l’année 2018, soit une hausse de 3,3 %.

Après avoir disparu du territoire français en 1937, le loup a officiellement fait son retour en France en 1992 dans le Parc national du Mercantour. Depuis, un jeu de cachecache s’est engagé avec l’homme ce qui rend son recensement difficile.

D’après le bilan du suivi hivernal 2019- 2020 publié par l’Office français pour la biodiversité (OFB), notre pays compte aujourd’hui environ 580 individus. En hausse régulière ces dernières années, la population de loups en France a plus que doublé depuis 2015. Effectué sur le terrain par des correspondants bénévoles, chasseurs ou encore agriculteurs, ce suivi est mené sur la base d’un faisceau d’indices attestant de la présence du loup.

En 2019, 2 534 indices ont été relevés. « Les personnes en charge du suivi des populations sont formées pendant deux jours pour reconnaître les indices laissés par le loup. Il y a d’abord les observations visuelles comme les témoignages, les photos et les vidéos prises sur le terrain. Il y a également toutes les traces, les carcasses de proies sauvages et les indices biologiques comme les excréments, l’urine, les poils, le sang et bien sûr les dépouilles. Des hurlements spontanés ou provoqués représentent aussi des indices fiables », détaille Florie Bazireau, chargée de mission loup-lynx à l’Office français pour la biodiversité.

Un peu partout sur le territoire, ces estimations sont régulièrement complétées par des partenaires de l’OFB comme les réserves naturelles. Le 24 août dernier, des observations conduites par la Réserve naturelle nationale de la Haute Chaîne du Jura ont par exemple permis d’identifier une meute de cinq loups arrivés dans cette zone en provenance de la frontière entre le Jura et l’Ain.

12 451 victimes indemnisées en 2019

En France, c’est la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) qui a en charge le suivi des attaques de loup. Aujourd’hui achevé, l’exercice 2019 met en évidence quarante départements concernés par le loup. Au total, 12 451 victimes ont été indemnisées en France l’an dernier. C’est 393 de plus que sur l’ensemble de
l’année 2018, soit une hausse de 3,3%. Le montant global des indemnisations aux éleveurs s’élevait l’an dernier à quelque 3,07 millions d’euros.

En région Auvergne Rhône-Alpes, 3 734 victimes ont été indemnisées en 2019 soit 688 de plus que sur l’exercice 2018 et une hausse de 22,6%. Dans cette région, la Savoie a été le département le plus touché avec 1 586 victimes indemnisées, un chiffre en baisse de 23 % par rapport à l’année dernière. La Savoie est talonnée par l’Isère qui avec 1114 victimes indemnisées en 2019 s’inscrit dans une dynamique inverse avec une hausse de 22,6% par rapport à 2018. En Bourgogne-Franche-Comté, 115 victimes ont été indemnisées en 2019. C’est 29 de plus qu’en 2018 soit une hausse de près de 34% en un an. L’Yonne, 74 victimes (contre 30 en 2018) et le Jura, 19 victimes (contre 51 en 2018) concentrent l’essentiel des dommages.

« Pour 2020, les premières données sont à prendre avec des pincettes mais nous nous dirigeons vers une stabilisation des chiffres. Le loup semble aujourd’hui coloniser de nouveaux territoires comme la Haute-Savoie mais délaisse des zones de présence historiques comme les Alpes-Maritimes », explique Juliette Bligny, cheffe unité loup à la Dreal Auvergne Rhône-Alpes. « Il est difficile de définir un profil type d’exploitation vulnérable au loup même si on remarque que les exploitations situées à proximité d’un couvert forestier sont plus exposées car le tir de défense y est rendu plus compliqué. En revanche, la taille de l’exploitation importe peu car si un grand cheptel est par nature plus exposé, un petit cheptel sans berger pour le surveiller peut également être vulnérable. »

Pierre Garcia

MAPLOUP/ Un outil de suivi en temps réel des attaques de loup

MAPLOUP/ Un outil de suivi en temps réel des attaques de loup

Développé en 2019 par le réseau pastoral Auvergne Rhône-Alpes et l’Union pour la sauvegarde des activités pastorales et rurales, Maploup est un outil permettant de connaître en temps réel les zones de prédation du loup. D’abord testé dans le massif de Belledonne, Maploup s’est progressivement étendu à la Drôme, l’Isère, la Savoie et plus récemment à la Haute-Savoie en attendant les Alpes-de-Haute-Provence et le Var.

Maploup se compose d’abord d’une « map », une carte interactive qui recense les suspicions d’attaques dans une zone donnée. Ces suspicions sont matérialisées par des points dont la couleur indique l’antériorité de l’observation du loup. Dans chaque département, le détail des espèces prédatées par le loup est visible et un curseur en bas de l’écran permet à l’utilisateur de visualiser les cartes des années précédentes. Cette map est couplée d’un système d’alerte automatique par SMS ou par mail lorsqu’une attaque se produit à moins de dix kilomètres de l’utilisateur.

Éleveurs, bergers et élus qui souhaitent être alertés en temps réel doivent s’inscrire auprès du service pastoral de leur département. En complément de cette map, un atlas permet sur le même modèle d’explorer les données historiques de la prédation du loup sur une période allant de 2009 à 2019.

Cet atlas fournit des chiffres régulièrement mis à jour issus de la base de données nationale Géoloup gérée par l’État et référençant les attaques ayant donné lieu à indemnisation. Il permet une approche interactive à différentes échelles : communes, intercommunalités, départements ou encore territoires pastoraux. Pour chaque zone, un code couleur indique le nombre d’attaques recensées sur une année donnée. Pour des raisons techniques, l’outil n’intègre pas les données de prédation antérieures à 2009 mais une analyse de ces données est disponible sur un atlas papier réalisé en 2018 et téléchargeable sur le site internet www.maploup.fr.

Pierre Garcia

« L’objectif fixé, c’est zéro attaque sur l’ensemble du territoire »
Claude Font, élu à la FNO : « L’objectif est de monter à 19 % de prélèvements de loups ».

« L’objectif fixé, c’est zéro attaque sur l’ensemble du territoire »

INTERVIEW / Premières tendances de prédation en 2020, projet gouvernemental de rehaussement du plafond de prélèvement, l’actualité autour du loup est chargée en cette rentrée. Le point avec Claude Font, élu à la Fédération nationale ovine (FNO) en charge du dossier loup.

Quelles sont les premières tendances concernant la prédation du loup en 2020 ?

Claude Font : « Toutes les données des DDT (directions départementales des territoires) ne sont pas encore remontées à la Dreal et il reste de gros mois d’estives donc il faut rester prudents pour 2020. Le préfet coordonnateur évoque une légère baisse. Nous, au niveau professionnel, nous ne voyons pas vraiment de baisse mais plutôt une stabilisation des attaques. Le montant des indemnisations en 2020 devrait d’ailleurs être équivalent à 2019. Nous constatons en tout cas que de nombreux loups sortis de meute sont aujourd’hui en quête de nouveaux territoires. Certains ne font parfois que passer, d’autres causent des dégâts. Sur ces territoires-là il faut le dire clairement : nous sommes dépassés. Les éleveurs mais aussi les services de l’état n’étaient pas prêts à devoir gérer la prédation du loup dans leur département. Au niveau de la Fédération nationale ovine, nous avons donc dû faire un gros travail d’information auprès des éleveurs, des DDT ou encore des louvetiers. »

Comment se protéger dans les zones les plus touchées par les attaques de loup ?

C.F : « D’après les dernières observations, le loup ne s’attaque plus uniquement aux élevages d’alpages durant les estives. Son territoire de colonisation évolue, on le voit par exemple arriver en Saône-et-Loire. Face à cette nouvelle donne, la question qui se pose est celle des moyens de protection que l’on donne aux éleveurs. Le loup reste une espèce protégée et seules quelques méthodes peuvent être utilisées pour s’en protéger. Au niveau matériel, il y a soit les filets, soit les clôtures électrifiées. À chaque attaque, l’Office français pour la biodiversité (OFB) mais aussi les DDT et les départements sont alertés pour mobiliser des crédits d’urgence destinés à mettre en place rapidement des moyens de protection adéquats. En complément, certains éleveurs utilisent des chiens patou mais ils peuvent causer des incidents avec les promeneurs. L’ultime solution, c’est de rentrer les brebis la nuit mais cela va à l’encontre de leur cycle de vie naturel. »

Que pensez-vous du projet d’arrêté gouvernemental concernant le prélèvement du loup ?

C.F : « Il faut d’abord rappeler que c’est bien à l’État de gérer la question des prélèvements. Le projet gouvernemental dont nous parlons était en consultation jusqu’au 13 septembre. Il prévoit de remonter le plafond de loups pouvant être tués chaque année pour mieux protéger les élevages. À l’heure actuelle, le taux de prélèvement est de 17% sur un total d’environ 580 individus. L’objectif est de monter à 19% de prélèvements. Ce taux de prélèvement a bien été contesté au Conseil d’État par plusieurs associations mais il est aujourd’hui confirmé. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous ne sommes pas dans une logique d’éradication du loup. Peu importe le nombre de loups ou le taux de prélèvement, nous souhaitons seulement défendre nos troupeaux et faire baisser la pression liée à la prédation du loup. L’objectif fixé, c’est zéro attaque sur l’ensemble du territoire. Pour cela, il faut que chaque loup en approche d’un troupeau puisse être prélevé.»

Quelles sont les demandes que vous formulez auprès du préfet coordonnateur ?

C.F : « Le 2 septembre dernier, Barbara Pompili (ministre de la Transition écologique, NDLR) s’est rendue dans le Parc national des Écrins et a rappelé que les tirs de prélèvement dans les réserves naturelles représentaient une ligne rouge qui ne serait pas franchie. Notre sentiment, c’est que les éleveurs situés dans ces zones sont les grands oubliés des plans loups successifs. Aujourd’hui ils se retrouvent démunis et n’ont même pas le droit de procéder à un tir de défense simple pour protéger leurs troupeaux. De notre côté, nous militons pour que la protection soit la même sur l’ensemble du territoire. Pour ce qui est des mesures de protection, nous demandons également une avance de trésorerie pour les éleveurs. S’il s’agit d’installer des filets ou une clôture électrique, ils peuvent le faire mais avancer le salaire d’un berger ou d’un aide berger peut se révéler beaucoup plus complexe, c’est un dossier que nous souhaitons voir aboutir au plus vite. »

Pierre Garcia

JEUNES AGRICULTEURS / En Haute-Savoie, des éleveurs connectés et solidaires face au loup
En Haute-Savoie comme dans bien d’autres départements d’élevage, les chiens de défense sont désormais les compagnons indispensables des éleveurs et bergers.

JEUNES AGRICULTEURS / En Haute-Savoie, des éleveurs connectés et solidaires face au loup

Depuis quelques années le mot « loup » résonne dans tous les esprits, que ce soit en France ou ailleurs. L’animal a fait son grand retour en France au début des années 1990 après sa disparition dans les années trente. La population lupine ne cesse d’augmenter depuis 30 ans et de s’installer sur les différents territoires de montagne, dont la Haute-Savoie. En 2019, le Groupe national loup a dénombré plus de 500 loups en France dont 80 meutes, évoluant sur 97 zones. Sources de nombreuses situations conflictuelles, « le retour des loups est perçu comme une difficulté supplémentaire par les éleveurs », estime le syndicat Jeunes agriculteurs de Haute-Savoie. Dans ce département de montagne, le prédateur fait de plus en plus de ravages, mettant à mal la singularité de leur modèle d’élevage. En 2019, on comptait 106 attaques dont 218 victimes (ovins et caprins principalement). Depuis ce début d’année, on recense déjà 97 attaques et 258 victimes dont 13 bovins ! « Historiquement en Haute-Savoie, les troupeaux étaient non gardés et sur de petites estives à très haute altitude. Ces élevages, appartenant généralement à des doubles actifs ou bien à des retraités, sont dans l’impossibilité d’être surveillés 24 h/24. Avec le loup, ce type d’élevage non gardé ne pourra pas être viable… Une quinzaine d’alpages haut-savoyards a déjà été abandonnée cette année », explique JA. À l’inquiétude s’ajoute un problème de coût: frais de matériels de protection qu’il faut avancer avec un remboursement parfois tardif (trois à six mois, voire un an), coût de gardiennage…

Une entraide entre éleveurs

Pour ne pas laisser les éleveurs seuls face à l’adversité, JA de Haute-Savoie a créé récemment un groupe WhatsApp (application de discussion instantanée) afin de recenser les attaques dans la minute de façon à mieux préparer son troupeau à une prédation possible. Au-delà de sa mission d’alerte, le groupe est un lieu où les conseils, les astuces et l’entraide sont les bienvenus. Une trentaine d’agriculteurs ou de bergers en fait désormais partie. « Cette entraide permet également d’apporter un soutien psychologique aux éleveurs touchés par la prédation du loup, sujet dont on parle peu ». Parallèlement, JA de Haute-Savoie utilise l’application « MapLoup » (voir ci-contre), qui répertorie sur une carte interactive les attaques en direct et sur plusieurs semaines au sein du territoire français. Pour aller plus loin, JA est impliqué dans les groupes de travail liés à la prédation du loup et participe même au Plan national loup.

JA de Haute-Savoie