MARCHÉS
Marché du bio : démocratisation, montée en gamme ?

Christophe Ledoux
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TABLE RONDE / Quel impact a la crise sanitaire de la Covid-19 sur la consommation locale et les filières françaises du bio ? Pour répondre à cette question, une table ronde organisée à Alixan (Drôme) a réuni plusieurs acteurs marquants, dont le président de Biocoop.

Marché du bio : démocratisation, montée en gamme ?
Pendant la crise sanitaire, Sébastien Courtois (au micro), éleveur laitier dans le Rhône, estime que « le bio s’en est plutôt mieux tiré que le conventionnel ». Une situation qui proviendrait, selon lui, d’une moindre exposition du bio français aux exportations (contrairement au secteur conventionnel). Mais aussi de la pénurie dans les rayons des magasins de produits conventionnels, obligeant le consommateur à se rabattre sur le bio.

Mois après mois, la crise sanitaire du Covid-19 continue de marquer la vie de chacun tout comme celle des entreprises. Sur le plan économique, la crainte d’une perte de pouvoir d’achat des ménages crée une incertitude profonde, rendant toute projection aléatoire. Depuis le début de la pandémie, les comportements d’achat, en particulier alimentaires, ont évolué. Avec le confinement, l’e-commerce a gagné 8 à 9 % de parts de marché et la clientèle des drives s’est élargie. Les produits locaux, y compris bio, ont été plébiscités (le réseau « La ruche qui dit oui » a vu ses commandes tripler). Et les initiatives pour promouvoir leur achat se sont multipliées, notamment de la part d’enseignes de la grande distribution. Cette tendance est-elle durable ? Impactera-t-elle les réseaux de distribution (magasins spécialisés) des produits bio ? Pour répondre à ces questions, plusieurs acteurs marquants du bio ont été réunis lors d’une table ronde organisée par le Cluster Bio Auvergne Rhône-Alpes1, le 10 septembre à Alixan.

Des filières bio résilientes

Après les constats, Céline Laisney, experte veille alimentation (cabinet Alimavenir), a proposé des perspectives à horizon 2025. Selon qu’il y ait rebond ou repli économique, la consommation de produits biologiques pourrait augmenter, stagner ou baisser. L’un des scénarios imagine, d’une part, une démocratisation du bio (avec risque de perte de valeur), d’autre part une montée en gamme (bio +) destinée à une clientèle plus exigeante. Une autre hypothèse table sur une croissance du bio liée à un changement de régime des consommateurs et l’attention qu’ils portent à leur santé. « Le prix est le premier critère d’achat des Français depuis le déconfinement, note-t-elle. Mais les arbitrages ne sont pas forcément en défaveur de l’alimentation. » Directeur général de Markal, entreprise spécialisée dans l’alimentation bio basée à Saint-Marcel-lès-Valence, Olivier Markarian estime que « la résilience des filières bio est plutôt bonne et que les magasins bio ont gagné des clients » depuis la crise du Covid-19. Sur l’accessibilité des produits bio en cas de crise économique, « on ne pourra pas produire au prix du conventionnel, affirme-t-il. Pour gagner en productivité, il faut réinvestir les outils (usines, plateformes logistiques…) sur du local et inciter toujours plus d’agriculteurs à faire du bio »;

« Reconnaître nos coûts de production »

« L’effet Covid nous fait peur s’il y a pression sur les prix, confie Sébastien Courtois, éleveur laitier dans le Rhône et administrateur de La coopération agricole. C’est pourquoi nos attentes vis-à-vis de la loi Egalim sont fortes sur la reconnaissance de nos coûts de production. » Pendant la crise sanitaire, il estime que « le bio s’en est plutôt mieux tiré que le conventionnel ». Une situation qui proviendrait, selon lui, d’une moindre exposition du bio français aux exportations (contrairement au secteur conventionnel). Mais aussi de la pénurie dans les rayons des magasins de produits conventionnels, obligeant le consommateur à se rabattre sur le bio. « Notre activité s’est subitement arrêtée pendant le confinement », témoigne Emmanuel Brehier, cofondateur d’Hari&Co. Orientée sur le marché de la restauration collective, la jeune société lyonnaise propose des produits entièrement conçus à base de légumineuses bio. Pour compenser sa perte de débouchés, l’entreprise a accéléré ses ventes en magasins spécialisés. Et pour se démarquer d’une éventuelle concurrence, « l’engagement de l’entreprise, ses valeurs font la différence et cela s’incarne dans nos produits », explique Emmanuel Brehier. Il met également en avant la qualité du sourcing mené en partenariat avec des coopératives agricoles. Mais également l’expérimentation sur une ferme drômoise pour démontrer les vertus des légumineuses sur les sols et inciter les agriculteurs à se convertir.

« Une logique de valeur »

« Le bio a changé de marché et la crise est un révélateur et un accélérateur et non un point de rupture », souligne Pierrick De Ronne, président de Biocoop, réseau de 623 magasins bio (au 1er janvier 2020). Rappelant que le modèle de la grande distribution basé sur une logique de volumes a été très efficace pour les consommateurs en termes de prix bas, « la bio ne s’est pas construite comme cela mais sur une logique de valeur », précise-t-il. Dès lors, « comment se démocratiser en gardant ses valeurs ? », questionne-t-il en appelant le monde du bio à faire « son introspection ». Et d’ajouter : « On doit se structurer, assumer que l’on est sur un marché plus grand. Il n’y a pas de place demain pour des entreprises “tièdes” ». Pierrick de Ronne prône le maintien d’une « logique de radicalité » appelant à « faire la preuve de cette logique de valeur ». Il confie : « Si Biocoop avait écouté les consommateurs, Biocoop n’existerait pas. Le bio a-t-il pour projet de changer la société ou d’être levier de croissance et de parts de marché ? » Une dualité prégnante qui impose des choix stratégiques et de l’influence en termes politique dans un monde toujours plus complexe.

Christophe Ledoux

1. Réseau unique en France, le Cluster Bio Auvergne Rhône-Alpes, basé à Rovaltain-Alixan, regroupe les entreprises certifiées bio de l’agroalimentaire, de la cosmétique, des produits d’entretien et textiles.