GEL ET NEIGE
Un sévère « rappel à l'ordre »

GEL ET NEIGE / Dans la nuit du mardi au mercredi 25 mars, le gel a causé d’importants dégâts sur les cultures arboricoles, maraîchères et viticoles, particulièrement dans la vallée du Rhône et le sud de l’Ardèche. Le lendemain, c’est la neige qui a touché le sud alors que le plateau ardéchois a été épargné.

Un sévère « rappel à l'ordre »
A Orgnac-l’Aven, les cerisiers en pleine floraison se sont retrouvés sous un manteau de neige.

Au fil des jours, l'étendue des im- pacts de gel dans la nuit du mardi au mercredi 25 mars ainsi que de la neige le lendemain se précisent. Le thermomètre est descendu jusqu'à -3°C / -5°C alors que les cultures arboricoles, maraîchères et viticoles étaient déjà bien avancées en raison d'un climat des plus printanier en mars.

« Une catastrophe »

Les jeunes fruits des vergers situés à basse altitude sont particulièrement touchés, notamment ceux qui n'étaient pas protégés. Selon les secteurs géographiques, l'altitude et les variétés, 50 à 100 % de pertes sont estimées sur abricot et pêche, 30 à 40 % sur kiwi, et 20 à 50 % sur cerise. Les fruits risquent de noircir annoncent les arboriculteurs, impossibles à vendre en premier choix. Sur les cultures céréalières, plantes fourragères, les inquiétudes sont nombreuses là-aussi.

Dans le sud-est de l'Ardèche, les tem- pératures sont tombées entre -1,5°C et -2°C à proximité du Rhône, jusqu'à -3°C à Saint-Martin-d'Ardèche, Saint-Montan et aux bords de l'Ardèche. « Une catastrophe », constate Édith Cabello, arboricultrice à Saint-Marcel-d'Ardèche qui estime ses pertes de récolte sur abricot, pomme et kiwi de 30 à 40 %. « Cette gelée noire est montée sur 2 mètres de haut de 3 à 7 heures du matin. » Chez Christel Cesana, arboricultrice et viticultrice à Orgnac-L'Aven, c'est la neige qui a fait le plus de dégâts : « Les abricots ont beaucoup souffert et sont déjà noirs. Pour les cerisiers qui présentaient cette année une belle floraison, on espère pourvoir sauver 50 % de la récolte. Par contre, tout ce qui craignait sur la vigne a gelé de 40 à 100 % » (voir ci-contre). À Vesseaux, la température est tombée jusqu'à -1°C : « Les fruits finiront par tomber suite à de telles variations de températures », s'inquiète Bernaud Habauzit, produc- teur d’abricots, cerises, mirabelles et châtaignes. « Avec ce gel et la séche- resse de l'an passé, je ne ferais pas plus de 30 à 40 % de récolte en abricot dans le meilleur des cas. » Dans les vergers d'Olivier Fraisse à Saint-Jean-de-Muzols en vallée du Rhône nord, « nous estimons avoir plus de 80 % de perte en abricot, au minimum. C'est dramatique, ça représente la moitié de notre chiffre d'affaires, une perte de 150 000 € ». Les jeunes abricots qui étaient encore dans leur fleur ont gelés et vont se rabougrir, ajoute-t-il. « Généralement, il faut des températures très basses pour geler les fruits à ce stade et nous arrivons à garder 50 % de notre production. Là, tout a gelé à -3°C, sans savoir pourquoi, peut-être le temps sec... On a beaucoup de mal à analyser ce qu'il s'est passé. »

« Les agriculteurs sont plus fragilisés que leurs cultures »


Dans les contextes sanitaire et économique actuels, les agriculteurs impactés par le gel et la neige ont encore peu de visibilité sur l'accompagnement dont ils pourraient bénéficier. Les dossiers de demande de calamités agricoles se multiplient. Ceux qui travaillent sur plusieurs productions sont particulièrement fragilisés, en raison de la complexité des démarches pour y être éligible. « J'espère que l'on ne nous oubliera pas. C'est de plus en plus compliqué ces dernières années », ajoute Édith Cabello. Olivier Fraisse de rappeler : « Les agriculteurs sont plus fragilisés que leurs cultures. Nous pensions avoir des soucis de main d'œuvre pour pourvoir travailler correcte- ment le 15 avril. Le problème est résolu ! Mais malheureusement, nous n'aurons pas de rendements derrière... »
Ces pertes à répétition sont d'autant plus préoccupantes qu'elles réduisent sérieusement le capital assurable des exploitations, et de fait les seuils d'assu- rance récolte. Le conseil de l'agriculture départementale (CAD) interpelle sur l’importance de débloquer des mesures nationales d'aides face à la récurrence des aléas climatiques et dégâts de cultures, notamment sur la sécurisation des productions par l’assurance et les outils de protection. Dans le cadre du Prêt garanti par l’État (PGE) mis en place en urgence pour venir en aide à toutes les entreprises confrontées à des enjeux de trésorerie liés à la crise du coronavirus, le CAD rappelle que ce dispositif se base sur le chiffre d'affaires de 2019... Une année où de nombreuses exploitations ardéchoises ont déjà subi des intempéries.

 

 

Les bourgeons ou les jeunes fruits des abricotiers ont gelé dans de nombreux secteurs.

La vigne très touchée dans le sud de l’Ardèche
Les dégâts varient de 30 à 100 % sur vigne selon les secteurs et l’ouverture des bourgeons.

La vigne très touchée dans le sud de l’Ardèche

VITICULTURE / En avance de 10 à 15 jours, la vigne est fortement impactée par le gel dans le sud du département. Il faudra attendre le développement de sa végétation pour avoir une idée plus précise des conséquences sur la prochaine récolte.

Il n’avait pas gelé depuis le début de la saison froide... Dans le sud de l’Ardèche, les dégâts sur vigne varient de 30 à 100 % selon les secteurs et l’ouverture des bourgeons. « La vigne est en avance et a été rappelée à l’ordre », observe Sophie Soulas, viticultrice à Berrias-et-Casteljau. « Les cépages précoces comme le merlot, grenache et chardonnay sont très touchés mais les vignes qui ont été taillées tardivement ne le sont pas. » À Beaulieu, la présence du brouillard semble avoir empêché les températures de descendre au-delà de -2°C, indique Jacques Deleuze, « ce qui nous a sauvé, nous n’avons que peu de dégâts ». Une centaine d’hectares y ont gelés au bas des coteaux, ajoute François Guigon, président des Vignerons Ardéchois. Les Cévennes ardéchoises ne présenteraient pas, elles non plus, de gros dégâts. Même constat dans le secteur de Cruzières et de Saint-Remèze où la vigne était en retard. Le secteur d’Orgnac-l’Aven a été, quant à lui, fortement touché par la neige : « La vigne qui avait commencé à bourgeonner a souffert, tout ce qui craignait a gelé de 40 à 100 % », témoigne Christel Cesana, viticultrice sur la commune.

« Ceux qui n’avaient pas taillé ont sauvé leur récolte »


Sur le bassin d’Alba-la-Romaine, 50 % du vignoble seraient impactés voire très impactés, selon Pierre Darlix, président de la cave d’Alba-la-Romaine. Les communes du Teil, d’Aubignas, de Saint-Pons et de Saint-Jean-le-Centenier sont également impactées mais dans une moindre mesure. Sur les cépages précoces, la morsure du gel est visible mais son impact a l’intérieur des bourgeons est encore difficile à estimer. Sur les chardonnay, « 80 % des vignes sont impactées », indique Pierre Darlix, « mais tous les cépages présentent des dégâts selon l’état d’avancement de la vigne. Il y a des souches où tout a gelé, d’autres où certains bourgeons ont été épargnés. Cette gelée blanche de printemps est montée très haut sur les coteaux. Ceux qui n’avaient pas taillé, ont sauvé leur récolte. Ce n’est peut-être pas fini mais le mal est fait... On risque d’entretenir la vigne pendant quelques mois pour rien ». Pour Jean-Luc Flaugère, viticulteur à Valvignères, « il faut attendre un peu pour se faire une idée précise des conséquences de ce gel qui était particulièrement froid mais il y a des dégâts de partout car une partie des vignes était déjà taillée ». François Guigon de rappeler : « Il est très difficile de donner des chiffres précis sur les conséquences de ce gel mais il est certain qu’une partie de la récolte a été emportée ». Sur le secteur des Côtes du Rhône, « les vignes n’ont pas trop gelées », ajoute-t-il, « le gel a plus touché les IGP, surtout à Bourg-Saint-Andéol ». Sur les vignes de Patrick Roustan, les cépages de caladoc, marsala et grenache situés en plaine ou au bord du Rhône sont touchés à 100 %, moins sur les coteaux.

Un climat morose


« Canicule, tremblement de terre, coronavirus, maintenant le gel... Le climat est morose », ajoute Pierre Darlix. Il est particulièrement problématique pour les viticulteurs avec le cumul des mau- vaises récoltes ces dernières années, réduisant leurs plafonds de capital assurable. « L’assurance récolte est encore la meilleure solution pour faire face aux aléas climatiques mais quand il y en a trop, la situation devient très vite critique. Le capital que nous pouvons assurer est de plus en plus bas donc l’assurance récolte couvre de moins en moins bien les pertes que nous pouvons avoir », rappelle François Guigon. « Ce gel rajoute un coup au moral des vignerons ! Nous serons at- tentifs à accompagner les jeunes qui en auront besoin. »

 

Dans le sud du département, comme ici à Alba-la-Romaine, le gel et la neige ont fait des dégâts sur les vignes qui étaient taillées.

 

Dans le sud du département, comme ici à Alba-la-Romaine, le gel et la neige ont fait des dégâts sur les vignes qui étaient taillées.