COOPÉRATION AGRICOLE
L’agriculture en quête de neutralité carbone

La Coopération agricole a tenu son congrès annuel en visioconférence le 18 février dernier. Le fil rouge qui a guidé trois tables rondes et un débat final entre son président Dominique Chargé et le ministre de l’Agriculture était résumé dans le thème général : « Économie zéro émission nette (ZEN) : Quelle équation pour la chaîne alimentaire ? »

L’agriculture en quête de neutralité carbone
Dominique Chargé, président de La Coopération agricole. ©DR

Le constat et les enjeux sont désormais connus : il faut lutter contre le dérèglement climatique car même avec une hausse de la température de 2 °C d’ici 2100, conformément aux Accords de Paris, les dégâts pourraient être importants en termes de sécurité alimentaire et par conséquent d’équilibres géopolitiques. « Cet objectif de 2 °C nous oblige à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 5 % par an. Ce qui a pu être fait pendant la crise du Covid », a souligné Jean-Marc Jancovici, associé de Carbone 4 et président de The Shift Project. « Il nous faudrait donc un Covid par an », a ajouté, un brin provocateur, ce spécialiste de l’énergie et du climat. Pour lui, l’agriculture ne pourra pas faire l’économie d’une restructuration, dans son élevage, dans ses pratiques de cultures et vis-à-vis de sa dépendance aux énergies fossiles, notamment le pétrole. « Il sera aussi nécessaire de “déspécialiser” les régions et inciter les consommateurs à acheter leur nourriture plus chère car aujourd’hui, elle ne vaut rien », a-t-il ajouté expliquant que la vraie part de l’agriculture dans l’alimentation, « une fois défalqués les coûts fixes » ne représente que « 2 à 3 % » du panier de la ménagère et non 12 à 13 % comme on le dit souvent.

Durable et donc rentable

Déspécialiser les bassins de production nécessiterait de revenir au modèle de la polyculture-élevage et de repenser les trajectoires agricoles en privilégiant « la diversification, la bioéconomie, l’économie circulaire ainsi que les économies de gamme même si ces dernières sont plus difficiles à défendre dans un monde très concurrentiel », a estimé Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). C’est pourtant une voie que la coopérative Eureden a commencé à emprunter en relocalisant une partie de ses protéines végétales, à travers le pois et la féverole. C’est aussi une démarche dans laquelle s’inscrit la coopérative Les Vignerons de Buzet qui a fait appel à des historiens et des sociologues pour accompagner cette transition agroécologique et « lever les freins psychologiques des plus rétifs » au changement, a précisé Pierre Philippe, directeur de cette coopérative. « Mais pour être durable, la filière doit être rentable et en bout de chaîne, le consommateur doit payer plus cher », a insisté, Béatrice Perrot, directrice communication et RSE de la coopérative Eureden.

« Jeu de dupes »

Autrement dit, cette transition doit être « créatrice de valeurs », ont affirmé de concert Dominique Chargé, président de La Coopération agricole et le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. Pour ce dernier, il faut faire « cesser ce jeu de dupes » et « l’hypocrisie » qui consiste à vouloir toujours des prix plus bas en important des produits qui ne répondent pas aux standards européens et français. « Je veux pousser les clauses miroirs dans les traités internationaux quand la France prendra la présidence de l’Union européenne en janvier 2022 », a indiqué le ministre. Il souhaite que l’agriculture crée de la valeur à travers la captation carbone et incite les compagnies aériennes françaises et européennes à investir dans les sols cultivés français plutôt que dans la forêt amazonienne. « Mais il nous faut des outils fiables qui nous permettent d’évaluer ces captations » et par conséquent la rémunération des agriculteurs, a tempéré Dominique Chargé. « La diversité et la polyvalence sont les clés de la résilience », a-t-il ajouté en inscrivant La Coopération agricole dans l’objectif de la neutralité carbone pour 2035. « Le pays doit repasser un contrat avec les agriculteurs », avait suggéré quelques minutes auparavant Jean-Marc Jancovici avec en toile de fond « le consentement du consommateur à vouloir payer plus pour un produit alimentaire de qualité ». Il faudra donc que tous les acteurs (agriculteurs, coopératives, transporteurs, industriels, États etc.) jouent le jeu. Finalement l’équation alimentaire semble être composée de très nombreuses inconnues. Aujourd’hui, elle semble compliquée à résoudre.