ÉNERGIE
Le « rôle pivot » de l'agriculture

Marie-Cécile Seigle-Buyat & Marc Nicolle
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ÉNERGIE / L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a rendu public, en juillet dernier, un rapport intitulé « l’agriculture face au défi de la production d’énergie » qui formule des propositions afin de développer les énergies renouvelables dans le secteur agricole.

Le « rôle pivot » de l'agriculture
Si l'agriculture peut jouer un rôle crucial dans la production d'énergie, les cultures alimentaires doivent toujours primer sur les cultures strictement énergétiques, prévient le rapport de l'OPECST. ©Pixabay

« En France, le secteur agricole, avec un minimum de 50 000 exploitations concernées par la production d’énergie, assure déjà 20 % de la production d’énergies renouvelables (soit 3,5 % de la production nationale d’énergie). […] Selon les scénarios prospectifs de l’Ademe, de NégaWatt ou encore de Solagro, cette production est amenée à croître de manière rapide pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Une multiplication par 3, passant de 4,6 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) à 15,8 Mtep est envisagée. » Ainsi, il ne fait aucun doute que la transition écologique voulue ne pourra se faire sans le monde agricole.

Pour Jean-Luc Fugit, député de la 11e circonscription du Rhône, qui a rendu public le rapport « L’agriculture face au défi de la production d’énergie » issu des travaux qu’il a menés avec le sénateur audois Roland Courteau pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), c’est certain : « À la croisée des enjeux climatiques et énergétiques, l’agriculture joue un rôle pivot et doit relever les défis de la production végétale et animale indispensable pour notre alimentation, de la moindre émission de gaz à effet de serre ; du stockage de carbone dans les sols ; du maintien voire de la reconquête de la biodiversité ; de la récupération des déchets ; mais aussi de la production d’énergies renouvelables. »

Un défi de taille

Son rapport présente le détail des potentialités de production d’énergies renouvelables en agriculture filière par filière, mais surtout il dresse le bilan en termes d’impacts environnementaux, de rendement, d’acceptabilité sociale et de perspectives technologiques. Fort de ce constat, il fait état de vingt propositions pour aider le secteur agricole à entrer dans cette transition dans une vision transversale et systémique des enjeux sanitaires, environnementaux et agricoles. Et premier prérequis à cette transition : les cultures alimentaires doivent toujours primer sur les cultures strictement énergétiques. « Cette transition doit être accompagnée. Il y a un réel intérêt pour l’agriculture de relever ce défi. Cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix, mais de manière raisonnée et raisonnable. […] Nous devons sortir des positions dogmatiques. La transition écologique doit s’entendre par la création d’emploi et de valeur pour nos agriculteurs. L’agroécologie doit être au service de l’économie et non pas en opposition. Nous devons relever ce défi tous ensemble. »

Des préconisations

Ainsi, le rapport préconise l’adoption d’une démarche de certification des projets conduits, par exemple sous la forme d’un label « Agroénergie ». « Il faut que les risques identifiés soient pris en compte. Il faut que ces projets soient également des projets de territoire, inscrits dans l’aménagement du territoire et obtiennent le soutien du collectif. Nous sommes tous consommateurs d’énergie. Nous devons tous prendre conscience qu’aucune énergie n’est propre. Toutes ont un impact. Il va falloir beaucoup de pédagogie. »

Par ailleurs, le développement de la méthanisation est pointé comme prioritaire tout en garantissant la qualité des intrants et des digestats en vue de l’épandage. « Il s’agit d’une véritable mise en œuvre de l’économie circulaire. Un tiers des poubelles non triées sont des déchets organiques qu’il est possible de transformer en biométhane. Pour autant, la traçabilité du digestat est indispensable car on ne peut pas épandre n’importe où c’est certain », commente Jean-Luc Fugit.

Pour relever le défi, les agriculteurs devront monter en compétences. Ainsi, le rapport appelle à soutenir la recherche sur  la production d’énergie dans le secteur agricole et d’améliorer l’offre de formation initiale et continue. Et bien évidemment, la question de la protection du foncier est prégnante. « Nous devons être très vigilants », note le député qui soutient avec le co-rapporteur en conclusion de la synthèse du rapport qu’ « un futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait être le vecteur d’une réforme du monde agricole en intégrant certaines des propositions ».

 

Marie-Cécile Seigle-Buyat

Les principales propositions du rapport

« Nous avons établi 20 propositions : neuf d’ordre général et onze sectorielles », rapelle le député Jean-Luc Fugit. Parmi les premières, on peut citer la volonté de « clarifier la stratégie énergétique nationale vis-à-vis du monde agricole », « favoriser la production d’énergie et sa consommation agricole », notamment « en levant certains freins réglementaires » et aussi « protéger le foncier agricole à travers un nouveau cadre législatif ». Parmi les onze propositions sectorielles, on note : « assurer la traçabilité des intrants dans les méthaniseurs » ; « tirer les conséquences de l’abandon progressif des soutiens aux biocarburants de première génération » et « développer les technologies et infrastructures de stockage d’énergie ».

Source Actuagri

« La plus grande vigilance s'impose sur le foncier »
Jean-Luc Fugit, député du Rhône : « C'est cette cohabitation entre l'agriculture et le photovoltaïque qu'il faut encourager ». ©Agrapresse

« La plus grande vigilance s'impose sur le foncier »

PHOTOVOLTAÏQUE AU SOL / Jean-Luc Fugit, député LREM du Rhône, auteur du rapport « l'agriculture face au défi de la production d'énergie », rappelle qu'il convient, à propos du photovoltaïque au sol, d'être « très attentif au changement de destination des terres agricoles ». Il promeut la solution de l'agrivoltaïsme.

On parle de 20 000 hectares de terres, dont des terres agricoles, qui pourraient être couvertes par des centrales photovoltaïques au sol à l'horizon 2030. Le photovoltaïque au sol représente-t-il vraiment un enjeu foncier ?

Jean-Luc Fugit : « Oui, c'est véritablement un enjeu foncier. D'une manière générale, il faut être très attentif au risque de changement de destination des terres agricoles. Or, le changement de destination des terres arrive inéluctablement avec le développement du photovoltaïque au sol. Je propose que l'on soit vraiment vigilant sur les panneaux au sol, parce que le risque d'occupation, et donc d'artificialisation d'une certaine manière, est trop important. »

Ne risque-t-on pas d'entrer en contradiction avec l'objectif de transition énergétique ?

J-L.F. : « Une voie qui fait cohabiter l'agriculture et le photovoltaïque existe, c'est l'agrivoltaïsme. Il faut privilégier les panneaux verticaux ou en hauteur. L'agrivoltaïsme est la solution qui doit être, selon moi, soutenue pour éviter l'artificialisation des sols. C'est cette cohabitation entre l'agriculture et le photovoltaïque qu'il faut encourager. L'énergie la plus disponible sur terre est celle des photons du soleil, à nous de nous en servir au maximum comme le font les végétaux pour leur photosynthèse, mais pas n'importe comment. »

Par quels outils pourrait-on soutenir l'agrivoltaïsme ? Par des tarifs d'achat plus incitatifs ?

J-L.F. : « Le soutien à l'agrivoltaïsme peut, d'une part, passer par des appuis à la recherche et aux démarches innovantes, comme cela peut être fait pour le nouvel éolien. Les moyens d'amélioration techniques existent. L'innovation sait, par exemple, prendre en compte ce que nous apporte l'intelligence artificielle pour notamment réduire la problématique de l'intermittence de certaines sources telles que le photovoltaïque. Mais le soutien peut passer, d'autre part, par des tarifs d'achat, mais pour cela, je plaide pour que les grandes orientations du domaine de l'énergie soient à l'avenir davantage discutées au Parlement. La Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne fait malheureusement pas l'objet jusqu'à ce jour de discussions au Parlement. Toutefois, la loi Énergie-Climat promulguée début 2020 prévoit une discussion au Parlement à l'avenir à partir de 2023. La PPE étant un programme quinquennal (la prochaine PPE est fixée pour 2023-2028), le rôle du législateur ira, j'espère, au-delà des principes généraux... pour participer à fixer les objectifs par filières comme la filière agricole qui a un rôle majeur à jouer pour la production d'énergies renouvelables (agrivoltaïsme, mais aussi méthanisation...). La question des tarifs d'achat incitatifs pour l'agrivoltaïsme pourrait alors entrer dans ce cadre. »

Propos recueillis par Marc Nicolle