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Le Caillé Doux de Saint-Félicien bientôt candidat à l'AOP

Pauline De Deus
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À l'occasion de son assemblée générale, jeudi 30 mars, le syndicat de défense et de promotion du Caillé Doux de Saint-Félicien a annoncé qu'une demande d'AOP serait déposée avant l'été.

Le Caillé Doux de Saint-Félicien bientôt candidat à l'AOP
Une fabrication ancestrale et une consommation toujours ancrée dans le territoire, le Caillé Doux a tout d'une AOP !

« On sait très bien qu'on ne fait pas une AOP en trois ans mais il faut se mettre dans les starting-block dès maintenant », affirme Jean-Luc Boulon, le président du syndicat de défense et de promotion du Caillé Doux de Saint-Félicien. Pour cet éleveur de chèvres installé à Jaunac depuis plus de 35 ans : « Le Caillé Doux est un levier de diversification et un moyen de développement basés sur le patrimoine. »

Car en Nord-Ardèche le Caillé Doux est un savoir-faire perpétré de générations en générations depuis des décennies, voire même siècles. « De la vallée de l'Eyrieux, jusqu'aux portes d'Annonay, en passant par la Montagne, c'était l'un des seuls fromages de chèvre que l'on faisait... Ce Caillé Doux c'est notre histoire ! » Déclare Jean-Luc Boulon.

Un patrimoine menacé

Une histoire que les membres du syndicat cherchent justement à retracer... Grâce à un travail mené avec une archéologue, ils espèrent déterminer l'ancienneté de ce Caillé Doux, qui était parfois appelé Saint-Félicien ou même picodon. Très ancré localement, il était aussi exporté dans les villes voisines, Annonay, Saint-Étienne et même Lyon, où des Ardéchois étaient allés s'installer, en ces temps où l'exode rural était la norme.

Pourtant, il y a seulement quelques dizaines d'années, le Caillé Doux a bien failli disparaître. Avec la spécialisation de l'agriculture et le renforcement des normes, ce fromage est devenu de moins en moins rentable.

Cela tient d'abord à sa technique de production. Puisque contrairement à la majorité des fromages de chèvre au lait cru, le Caillé Doux de Saint-Félicien est fabriqué immédiatement après la traite, avec un emprésurage rapide. Le fromager doit donc constamment veiller le produit afin d'intervenir dès le début du caillage (50 minutes à 1 heures plus tard) pour accélérer l'égouttage du petit lait.

Ces conditions de fabrication ont peu à peu poussé les éleveurs à se détourner du Caillé Doux pour d'autres fromages moins contraignants. Un affaiblissement de la production encore renforcé, dans les années 1990, par l'instauration de nouvelles réglementations. Pour la plupart, le Caillé Doux était une petite partie de la production, impossible donc d'investir pour respecter les nouvelles normes sanitaires. Ils ont préféré abandonner cette production.

Sauvegarder et valoriser

D'irréductibles chevriers ont pourtant résisté. Non seulement, ils ont continué de produire ce fromage, mais ils ont aussi voulu le défendre en déposant la marque, Caillé Doux de Saint-Félicien, en 1980, à l'Inpi. Parmi ces ambassadeurs on compte notamment Charles Fourel, l'un des fondateurs du syndicat, dont les enfants Jean-Philippe et Rolande en font encore partie !

Malgré la transmission de cette passion, la dynamique de groupe est progressivement retombée, au point de le croire endormi pour toujours... Mais quand son homonyme au lait de vache (voir encadré) a parlé d'une demande d'IGP, associations locales et producteurs ont redynamisé ce syndicat de défense et de promotion du Caillé Doux de Saint-Félicien. Le réveil a lieu dans les années 2010 et depuis le projet à bien grandi... Tous ont opté pour une demande d'AOP sur laquelle il a fallu plancher des années durant.

Le long chemin de l'AOP

Un travail autour des techniques de fabrication a été mené par Sylvie Morge, technicienne à la chambre d'agriculture, afin notamment de stabiliser le produit. La qualité des prairies, la diversité floristique du territoire et le lien avec le lait a aussi été observée. Enfin, l'histoire de ce fromage est aussi regardé de près.

La question est notamment de définir l'aire géographique de production du Caillé Doux et d'apporter les preuves de son antériorité dans la zone. Ce travail est essentiel pour renforcer l'identité du produit au territoire, mais aussi pour répondre à un autre critère de l'AOP : l'autonomie fourragère.

« Il faut que toute, ou au moins la majorité, de l'alimentation du troupeau provienne de l'aire géographique de l'AOP, détaille Constance Henry. Sauf que, s'il n'y a pas de territoire de plaine, c'est compliqué ! » Passionnée, cette jeune stagiaire à la chambre d'agriculture de l'Ardèche assiste le syndicat du Caillé Doux depuis plusieurs mois. D'ici la fin de sa période de stage, en juillet, le cahier des charges de l'AOP devrait avoir été déposé.

Le Caillé Doux gagne en notoriété

Mais de là à obtenir l'AOP ? « Ça peut prendre du temps, reconnaît-elle. On parle parfois de plus de 10 ans. » Mais pour le syndicat, il n'est pas question d'attendre l'appellation sans bouger. Les producteurs, les associations et même la mairie de Saint-Félicien œuvrent à la reconnaissance de ce fromage, en Ardèche et même au-delà.

Entre un fromager de Vincennes qui a décidé de commercialiser le Caillé Doux et un chef étoilé qui a récemment demandé des échantillons... Le Caillé Doux de Saint-Félicien gagne en notoriété d'années en années. Reste maintenant à convaincre de nouveaux producteurs de s'investir dans ce fromage pour que l'offre puisse suivre la demande.

Pauline De Deus

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Ce sont les tonnes de Caillé Doux de Saint-Félicien fabriquées chaque année par une dizaine d'éleveurs caprins nord-ardéchois. Le syndicat a pour ambition de développer cette production assez faible sur le territoire. La chambre d'agriculture a notamment mené des essais de report de lait afin de permettre aux laiteries de s'engager dans cette production.

COLLABORATION

Un nom, deux fromages

Le Caillé Doux de Saint-Félicien (au lait de chèvres) et le Saint-Félicien (au lait de vache) ont décidé de déposer en même temps leur demande d'AOP et d'IGP.

« Nous sommes les uns avec les autres et non pas les uns contre les autres ! » Lors de l'assemblée générale du syndicat de défense et de promotion du Caillé Doux de Saint-Félicien, le président, Jean-Luc Boulon, a insisté sur ce point. Présent dans la salle, le président du comité de promotion du Saint-Félicien, Jean-Michel Bouchard, a confirmé : « Tout le monde a sa place ! » Pourtant, pour l'Inao, ce n'est pas aussi simple. 

Deux fromages, un même nom, le tout sur une zone en partie commune... « Ça risque de poser des problèmes juridiques, reconnaît Valérie Keller, ingénieur territoriale de l'Inao, également présente à la réunion. Toutefois le règlement nous ouvre une porte : il spécifie qu'il peut exister un même nom pour deux produits à condition de démontrer leurs différences et que les consommateurs sachent les distinguer. »

Du côté de la mairie de Saint-Félicien, on défend aussi les deux démarches. « Pour nous qu'un produit du terroir relaie notre nom c'est très important », explique le maire, Yann Eyssautier, en parlant du Caillé Doux. « Mais bien sûr on laisse la porte ouverte aux producteurs de lait de vaches !, continue-t-il. L'important c'est de garder les savoir-faire et une dynamique laitière sur le territoire. »

À l'image de la mairie de Saint-Félicien, de la communauté de commune Arche Agglo ou encore du Département, le syndicat de défense et de promotion du Caillé Doux de Saint-Félicien a appelé les collectivités à le soutenir.

Saint-Félicien : une autre dimension

Pour le comité de promotion du Saint Félicien, l'objectif de l'IGP est d'abord de protéger ce produit apprécié des consommateurs et qui pourrait aujourd'hui être fabriqué partout en France sans restriction. La démarche a l'avantage de s'adosser sur son petit frère, le Saint-Marcelin, un fromage de vaches proche, qui est lui doté d'une IGP depuis 2013. La dimension du Saint-Félicien n'a toutefois rien à voir avec le Caillé Doux de Saint-Félicien. Avec ce projet, l'IGP Saint-Félicien serait présente sur quatre département : la Drôme, l'Isère, mais aussi le Rhône et l'Ardèche. Au total, chaque année, environ 3500 tonnes de ce fromages sont produits dans le secteur par plus de 150 producteurs.

Pourquoi le Saint-Félicien s'appelle-t-il ainsi ?

À l'heure actuelle, le mystère reste entier. Ce que l'on sait, c'est que le fromage de vaches fait certainement référence au village ardéchois, dans la mesure où il n'en existe qu'un en France. Toutefois, contrairement au Caillé Doux, l'histoire du Saint-Félicien est connue et relativement récente. C'est en 1930 qu'un fromager de Villeurbanne a mis au point le Saint-Félicien, célèbre fromage de vaches encore reconnu aujourd'hui.