MONTAGNE ARDÉCHOISE
Des éleveurs désemparés face au fléau des campagnols

Mylène Coste
-

Le campagnol connaît un pic de pullulation sans précédent dans les massifs ardéchois et altiligérien. Une journée consacrée à ce fléau était organisée par la FDSEA et JA Ardèche le 30 mars sur le plateau ardéchois, en présence du président du FMSE (Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental).

Des éleveurs désemparés face au fléau des campagnols
Le campagnol, qui fait des ravages dans les prairies, est devenu l'ennemi public numéro 1 des éleveurs du plateau ardéchois, comme ici Dominique Laffont (La Rochette).

De cette vaste prairie autrefois verdoyante de la Rochette, dans le massif du Mézenc, l’herbe semble avoir disparu. Restent de larges étendues de terre, poussiéreuses, et envahies de trous. Le fautif : le campagnol terrestre (ou rat taupier), véritable fléau pour l'exploitant de la parcelle, Dominique Laffont. « Depuis trois ans, on fait face à un pic de pullulation qui n’en finit plus et face auquel on est complètement démuni. Il existe bien des moyens de lutte lorsque la population de campagnols est encore limitée, mais ils sont inefficaces durant les pics de pullulation. C’est comme s’élever seul face à une armée. » Désabusé, cet éleveur de veaux sous la mère compte 38 ha de prairies de fauche, « dont 25 très fortement touchées avec des mottes détruites à 100 % par le rat taupier », estime-t-il. « Cela représente 100 t de fourrage parties en fumée, que l’on doit compenser par des achats, soit un coût de 20 000 à 25 000 €/an ! » Face à ces pertes, Dominique Laffont a même dû se séparer d'une partie de ses bêtes.

"Comment envisager l’avenir face à des pics de pullulation qui semblent de plus en plus longs et rapprochés ? ", s'interroge Dominique Laffont, éleveur.
"Comment envisager l’avenir face à des pics de pullulation qui semblent de plus en plus longs et rapprochés ? ", s'interroge Dominique Laffont.

Des cycles plus courts et des pics de pullulation plus longs

À l’urgence de la situation immédiate, s’ajoute l’inquiétude pour les saisons à venir. « Comment envisager l’avenir face à des pics de pullulation qui semblent de plus en plus longs et rapprochés ? Et quand vient l’heure de transmettre l’exploitation, où trouver un repreneur qui veuille de parcelles dans un tel état ? », interroge Dominique Laffont. Avec des cycles plus courts, la question du re-semis est posée, les mottes n’ayant pas toujours le temps de se régénérer.  D’autant plus que ressemer les parcelles a un coût ! 

Loin d’être un cas isolé, une partie du plateau ardéchois est touchée. Une problématique qui s’étend aussi à la Haute-Loire, au Cantal ou encore au Puy-de-Dôme.  « Ce fléau s’additionne à d’autres problématiques : sécheresse, calamités climatiques… Cela pose la question de la pérennité de nos élevages », s’inquiète Benoit Claret, président de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

Des moyens de lutte limités

Face au campagnol, les moyens de lutte sont restreints et efficaces seulement en basse densité, d’où l’importance de la surveillance afin d’intervenir dès les premiers signes. « On peut d’abord lutter contre la taupe via le gazage avec du phosphure d'hydrogène (PH3), puisque les campagnols utilisent leurs galeries pour s’implanter, souligne Mickaël Giraud, président de la Fredon Ardèche. On peut aussi installer des perchoirs pour maximiser la prédation, recourir au piégeage ou encore, quand c’est possible, travailler les sols. »

Pour remplacer la Bromadiolone, raticide retiré du marché en 2020, le Ratron GW® (sur support de grains de blé) semble assez efficace. « Il convient de l’appliquer lorsque la population de campagnols est encore modérée, à la canne, souligne Christophe Chabalier, technicien à la Chambre d’agriculture du Cantal. Une dérogation de 120 jours pour son application à la charrue est accordée dès le 1er avril 2021, sous certaines conditions et notamment en respectant une dose maximale de 2 kg/ha/an. » D’autres moyens de lutte sont à l’étude, comme de l’immuno-contraception, l’utilisation de phéromones ou encore la mécanisation (robots de traites).

Quid du gazage en bio ?

Le gazage (PH3, Ratron GW®) n’est toutefois pas autorisé en bio. Un vrai problème pour Pascal Laurent, éleveur bovins lait et viande en bio à Cros-de-Géorand. Depuis 2018, il observe une montée en puissance des campagnols sur ses terres, mais seul le recours au piégeage est autorisé, loin d’être efficace. Il plaide : « Il nous faut une dérogation pour pouvoir utiliser le Ratron GW® ! ». Jérôme Volle, vice-président de la FDSEA, d'insister : « Au travers de cette journée, nous avons souhaité faire prendre conscience de l'urgence de la sitatuion à l'administration et aux responsables nationaux du FMSE. Il nous faut, ensemble, trouver des solutions ».

Le député de l’Ardèche Fabrice Brun n’est pas resté insensible aux dégâts causés sur les prairies et les vergers par les campagnols terrestres. Il a interpelé le ministre de l’Agriculture sur « l’inefficacité des moyens de lutte existants lorsque les campagnols sont en pic de pullulation, l’interdiction du bromadiolone® depuis le 1er janvier 2021 et les difficiles homologation de distribution du Raton® qui a pourtant prouvé son efficacité en Allemagne et en Suisse ». Il a demandé que des solutions concrètes soient apportées de toute urgence aux éleveurs.

Mylène Coste

Un couple de rats taupiers peut engendrer une centaine d’individus par an. Le rat taupier peut se reproduire dès 2 mois.

Ils témoignent...

« L’une de nos vaches a frôlé la mort »

« L’une de nos vaches a frôlé la mort »

Stéphanie Riffard, éleveuse à Saint-Clément (Gaec du Devès)

« Les campagnols détruisent les prairies et les mottes, mais pas seulement. Le troupeau également est touché : avec des mottes abîmées, nos vaches ingèrent de la terre avec l’herbe qu’elles broutent, ce qui est mauvais pour leur panse. L’une de nos vaches a d’ailleurs été très malade et a frôlé la mort suite à l’ingestion de terre. »

« Des répercussions sur le prix du lait »

« Des répercussions sur le prix du lait »

Emmanuel Riffard, éleveur à Saint-Clément (Gaec du Sagnas)

« Depuis quelques années, la pullulation des campagnols a des répercussions sur la qualité du fourrage pour l’alimentation du troupeau, avec des conséquences sur la qualité du lait. Malgré nos efforts, nous avons davantage de problèmes de butyriques. Cela a un impact sur le prix du lait payé par notre coopérative. »

Les représentants ardéchois et altiligériens des syndicats JA et FDSEA ont accueilli le président du FMSE Joël Limouzin sur le plateau ardéchois pour évoquer le dossier des campagnols.
Les représentants ardéchois et altiligériens des syndicats JA et FDSEA ont accueilli le président du FMSE Joël Limouzin sur le plateau ardéchois pour évoquer le dossier des campagnols.

NOTEZ-LE

Une formation est organisée le 22 avril à Coucouron par la Fredon Ardèche pour l’utilisation du PH3 en gazage. D’autres formations suivront au printemps. Informations : [email protected] ou 04 75 29 56 13