INTERVIEW
Eau : « L’acceptabilité des projets par les territoires est essentielle »

Propos recueillis par C. Rolle
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Thierry Burlot, président du Comité de bassin Loire-Bretagne revient sur les enjeux de l'eau pour l'agriculture et son développement.

Eau : « L’acceptabilité des projets par les territoires est essentielle »
Thierry Burlot a été réélu récemment président du Comité de bassin Loire-Bretagne. © Emmanuel Pain

Comment la question de l'eau est-elle abordée par l'agence de l’eau Loire-Bretagne ?

Thierry Burlot : « Je suis Breton. La Bretagne a été confrontée dans les années 1980 à de grosses difficultés sur les ressources en eau, liées à des problèmes de qualité et de présence de nitrates. On s’est donc réveillé douloureusement avec des excédents structurels et des déjections animales importantes qui ont dégradé la qualité de la ressource. Nous avons alors commencé à mettre en place des programmes d’actions avec les agriculteurs dans les territoires, des élus et des associations. Et aujourd’hui la Bretagne est la première région propre à sortir des contentieux sur les questions de nitrates. Donc c’est vous dire que rien n’est irréversible ! Jusqu’à présent, au sein de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, les débats portaient exclusivement sur la question de la qualité de la ressource. Mais aujourd’hui, nous devons composer avec le dérèglement climatique qui touche toutes les régions de manière différenciée, avec des températures de plus en plus chaudes, des périodes pluviométriques souvent très intenses et des inondations parfois très fortes. Sur le bassin Loire-Bretagne - bassin hydrographique le plus grand de France métropolitaine puisqu’ il pèse 33% du territoire national -, qui aurait pu imaginer que surgiraient des problèmes de débit et de quantité d’eau ? »

Le changement climatique est donc un nouvel élément dans l’élaboration du Sdage (schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux) 2022-2027 sur lequel vous travaillez…

T.B. : « L’eau devient un vrai sujet de quantité, de qualité et aussi un vrai sujet de solidarité territoriale et d’usage. Donc oui, le futur Sdage intègre ces changements. Il y a un lien très fort entre la quantité et la qualité de l’eau. Plus vous avez d’eau, plus il y a de débit dans la rivière et meilleure est la qualité. Les capacités épuratoires de la rivière sont alors intensifiées et les usages importants. A l’inverse, si votre ressource est déjà sous tension et que vous réutilisez de 10 à 15 % la quantité utilisable, alors cela devient problématique. C’est pourquoi à travers le Sdage, nous essayons d’anticiper les évolutions pour mieux adapter l’utilisation et la gestion de l’eau par et pour tous les usages. A titre d’exemple, la présence de centrales nucléaires sur les bords de la Loire et leurs besoins importants en eau pour refroidir les réacteurs sont à prendre en compte. »

Comment maintenir des activités agricoles si les moyens d’irrigation sont limités pour les agriculteurs ?

T.B. : « L’accès à l’eau en quantité et en qualité permet de maintenir et développer une économie et une dynamique locales. Il faut donc permettre à nos agriculteurs d’en bénéficier. Nous ne sommes pas opposés au principe du stockage de l’eau si c’est pour mieux gérer les cultures, les intrants et les récoltes. Mais soyons attentifs aux modèles économiques qui sont développés derrière. Car si c’est pour faire de l’irrigation en plein été sur maïs, ce n’est pas la solution. Il faut donc imaginer des pratiques culturales moins consommatrices d’eau et qui permettent un développement économique de qualité. »

En Auvergne est implantée la coopérative Limagrain, quatrième semencier mondial. Sans capacité d’irrigation, comment pourra-t-elle demain répondre à la demande d’un maïs de qualité ? Et plus globalement que fait-on des outils économiques en amont et aval de la production ?

T.B. : « Je ne connais pas spécifiquement Limagrain mais je sais que les surfaces irriguées augmentent considérablement. Plus vous avez besoin d’irrigation, plus vous avez besoin d’eau ; c’est sans fin. Le sujet n’est pas d’interdire l’irrigation mais de se demander si le modèle est viable au moment où la ressource en eau va diminuer. Il y a un constat clair : l’Auvergne va perdre une quantité importante d’eau utilisable pour ses cultures or son modèle économique agricole est basé sur l’irrigation. Si on veut le maintenir posons-nous la question de ce qu’il faut mettre en œuvre. Ce constat doit être fait collectivement. Je me suis d’ailleurs promis à l’automne prochain d’aller rencontrer les acteurs auvergnats afin de poser ensemble un diagnostic. »

La construction de retenues d’eau sont-elles des solutions pour vous ?

T.B. : « Je ne suis pas opposé aux ouvrages qui permettent de stocker l’eau. Mais c’est un sujet très compliqué qui donne naissance à des joutes politiques. Tout le monde s’y met. Si nous n’avons pas un minimum de partage, de compréhension et de compromis sur ces sujets, on va direct au casse-pipe ! Moi je suis plutôt un homme de compromis. Et un bon compromis passe par un bon diagnostic et un bon projet construit avec les territoires, les collectivités et les associations concernées, sur la base d’une volonté claire et commune d’améliorer la qualité et la gestion de l’eau. L’acceptabilité des projets par les territoires est essentielle. »

Qu’attendez-vous de la consultation publique sur l’eau ouverte par le Bassin Loire-Bretagne ?

T.B. : « Cette consultation s’intègre dans le projet de Sdage 2022-2027. J’invite d’ailleurs tous les territoires d’eau à engager un vrai débat sur la question de la ressource chez eux, à savoir quels débits demain, quels prélèvements, quels usages, quelle qualité, quelle ambition ? L’eau est une question centrale de l’aménagement du territoire. Ce que je souhaite avec la consultation, c’est l’appropriation du sujet par les acteurs. Les solutions issues des territoires seront toujours meilleures que celles venues d’en haut. »

Propos recueillis par C.Rolle