COVID-19
Un pays divisé en deux pour la sortie du confinement

Sébastien Duperay
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COVID-19 / Comme annoncé, le Premier ministre a présenté ce jeudi 7 mai les différentes mesures qui permettront le déconfinement du pays dès le 11 mai. Un plan qu’Edouard Philippe veut progressif, pragmatique et en concertation avec les acteurs locaux. Il s’agit là d’une première marche, avant la suivante, prévue le 2 juin. Décryptage.

Un pays divisé en deux pour la sortie du confinement

« La levée progressive du confinement peut être engagée ce lundi 11 mai », a annoncé Edouard Philippe ce jeudi en fin de journée. Lors d’un discours très attendu, le Premier ministre et six ministres de son gouvernement, ont présenté les mesures qui permettront, dès lundi, la sortie du confinement imposé depuis le 17 mars pour lutter contre la propagation du Coronavirus. La bonne nouvelle, c’est que le déconfinement a été validé « sur l’ensemble du territoire métropolitain », a confirmé Edouard Philippe. « La moins bonne nouvelle », a-t-il aussitôt ajouté, c’est que le pays est divisé en deux. Sur la carte bicolore dévoilée par le ministre des Solidarités et de la Santé, quatre régions apparaissent en effet en rouge : l’Île-de-France, les Hauts-de-France, la région Bourgogne Franche-Comté et le Grand Est. Pour l’ensemble des départements concernés, le déconfinement sera possible, mais les parcs et les collèges resteront fermés, alors qu’ils pourront rouvrir dans les départements verts. A Mayotte, où le nombre de cas est en augmentation, « le déconfinement sera retardé », a cependant indiqué le Premier ministre. Pour l’Île de France, où le nombre de cas est plus élevé qu’espéré, le déconfinement aura lieu, mais la région fera l’objet d’ « une discipline renforcée ».

Ce n'est pas une punition

« Ce n’est pas une punition »

S’agissant des cartes, présentées depuis une semaine, « ce sont des outils, qui nous ont guidé, et qui continueront de nous guider durant les prochaines semaines, parce qu’elles sont le reflet de la circulation du virus sur le territoire, également le reflet du niveau de saturation des services de réanimation dans nos hôpitaux », a rappelé Olivier Véran. « Si votre département est en rouge, ce n’est ni une punition, ni une mauvaise note, ce n’est qu’un état des lieux de la situation virale sur un territoire donné », a-t-il rassuré.

Trois indicateurs permettent d’éditer ces cartes. Le premier est la circulation active du virus, à partir d’un recueil de données « robuste, fiable, quotidien » issus de près de 700 services d’urgence, permettant de comptabiliser près de 90 % des passages aux urgences. La pression épidémique a baissé mais cache des disparités, a détaillé le ministre de la Santé. Le deuxième indicateur, jugé comme « prioritaire » et qui « se conçoit à l’échelle régionale », concerne les capacités en réanimation, qui sont passées à 10 500 lits entre janvier et mars, « chiffre sans précédent ». Les tensions restent fortes dans les régions les plus touchées : Ile-de-France, Grand Est, BFC, et « a minima », dans les Hauts-de-France, le Centre val de Loire, Aura et Mayotte. Les résultats de ces deux indicateurs sont des moyennes établies sur les sept derniers jours.

Dernier indicateur, celui du dépistage des personnes atteintes du virus : « Ces dernières semaines, tout a été fait pour être en capacité de dépister les personnes vulnérables, l’ensemble des personnes symptômatiques et les cas contacts », a précisé le ministre de la Santé. « La France est prête pour tester massivement », a-t-il confirmé. Les personnes qui se sont fait prescrire un test PCR et qui auraient des difficultés à le faire faire, sont invitées à contacter le 0 800 130 000 (n° vert) pour résoudre les problèmes éventuels, a-t-il déclaré.

Pas de levée du confinement pour les Ehpad

« L’épidémie est évolutive et la vérité d’un jour peut ne pas être celle du lendemain », a martelé Olivier Véran, qui, comme le Premier ministre avant lui, en a appelé à la responsabilité de chacun. « Gestes barrière et distanciation physique demeureront au cœur de la lutte contre l’épidémie, peut-être même plus importants encore puisque la vie économique, éducative, sociale, va reprendre peu à peu son cours », a-t-il insisté. En ce qui concerne les « plus fragiles d’entre nous », les personnes malades, âgées ou porteuses de handicap, ces dernières sont appelées à la vigilance par le ministre de la Santé, en ne prenant pas de risque avec leur santé, en limitant « au strict minimum les contacts physique » avec l’entourage, en portant un masque pour toutes les sorties. En cas de sentiment d’isolement, ces personnes, vulnérables, peuvent être mises en relation avec le service La Croix-rouge chez vous, en composant le numéro vert national.

Si le confinement strict sera levé au 11 mai, il ne concernera pas les personnes hébergées en Ehpad, a cependant averti Olivier Véran. Les visites des proches dans ces établissements seront possibles, mais « dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui ». 475 millions d’euros de crédits supplémentaires ont été annoncés « pour faire face à cette situation difficile ». Comme pour les soignants, tous les personnels des Ehpad percevront une prime, allant de 1000 à 1500 euros, qui sera défiscalisée. La mesure sera étendue aux personnes travaillant dans des établissements pour personnes en situation de handicap, dès lors qu’ils sont financés par l’Assurance maladie. Une prime sera également annoncée pour les secteurs social et médico-social.

Une attention particulière aux élèves décrocheurs

La décision de rouvrir les écoles sur tout le territoire à partir du 11 mai, et du 18 mai pour les collèges situés dans les départements verts, obéit à un impératif pédagogique et social, « pour lutter contre le décrochage scolaire », a indiqué le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Un protocole « très strict », « exigeant », travaillé avec les associations d’élus, fixe le cadre sanitaire de la reprise des écoles. Lundi 11 mai sera une journée de pré-rentrée, avant la rentrée des classes le 12 mai. Tous les élèves ne seront pas accueillis en même temps, des niveaux seront privilégiés – grande section, CP et CM2 – et des publics seront prioritaires : les publics en situation de handicap, les enfants des personnels soignants et les « décrocheurs », estimés à environ 4 % des effectifs aujourd’hui. Les groupes ne dépasseront pas 15 élèves à l’école élémentaire et 10 en maternelle.

Selon « les premières remontées », et après un travail avec les communes, 87 à 90 % de ces dernières ont préparé la rentrée pour la semaine prochaine. « Nous travaillons encore avec les 10 % restants », a indiqué le ministre, pour des ouvertures au cours de la semaine suivante. « 80 à 85 % des 50 500 écoles de France ont déclaré ouvrir la semaine prochaine », a-t-il confirmé, avertissant qu’il s’agissait bien d’une reprise progressive. Un million d’élèves reviendront en classe, où ils seront accueillis par 130 000 professeurs. L’enseignement à distance sera également maintenu. 12 000 personnels médicaux de l’Education nationale sont mobilisés « pour accompagner les professeurs et les élèves », notamment sur un plan psychologique, avec un accueil et du dialogue.

Des déplacements très encadrés

Les transports publics et privés, notamment en zones urbaines, seront soumis à des règles très strictes de fonctionnement à partir du 11 mai. La règle étant d’augmenter progressivement l’offre à 50 % des capacités dès le 11 mai, tout en maitrisant la fréquentation à 15 % afin de garantir l’application des mesures de distanciation et de limiter la propagation du virus. Une équation compliquée pour la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne. Le télétravail restera la règle et les horaires décalés devront être mis en place dans les entreprises. En Ile-de-France, l’usage des transports en commun aux heures de pointe sera réservé aux personnes munies d’une attestation justifiant la nécessité de se déplacer pour raison professionnelle ou pour motif impérieux. Des mesures pour limiter la fréquentation dans les gares seront également appliquées. Le trafic automobile sera contrôlé, avec le recours au co-voiturage et la recherche de solutions alternatives à la voiture, comme le vélo. Les déplacements inter-régionaux seront très limités, l’offre de trains sera d’ailleurs plafonnée à 40 % d’ici fin mai, avec des mesures strictes de réservation. Les masques seront obligatoires pour se déplacer et les trains et transports collectifs seront désinfectés tous les jours, a confirmé Mme Borne.

Les infractions aux règles de circulation seront passibles d’une amende de 135 euros, a averti le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. 20 000 policiers et gendarmes seront d’ailleurs mobilisés. La limite reste fixée à 100 km pour les déplacements autorisés à partir de son habitation, sur justificatif de domicile en cas de contrôle. Au-delà, il faudra remplir une nouvelle attestation, présentée par M. Castaner et disponible sur le site de son ministère, et justifier d’un motif professionnel « si le métier exige de se déplacer », c’est le cas des routiers, ou familial impérieux, c’est le cas d’un deuil ou d’une aide apportée à une personne vulnérable.

Les travailleurs saisonniers agricoles de l’UE pourront passer la frontière

Les travailleurs saisonniers agricoles de l’UE pourront passer la frontière

A partir de lundi, bibliothèques, médiathèques et petits musées pourront rouvrir, a annoncé Christophe Castaner. Cinéma, théâtres, salles de spectacles, lieux de concerts… seront, en revanche, suspendus à une décision fin mai, de réouverture ou non au 2 juin. La pratique sportive pourra reprendre, mais individuellement. Les événements de plus de 5000 personnes ne seront pas autorisés, jusqu’en septembre. Les plages, les lacs et les centres nautiques pourront ouvrir après accord du préfet et si les maires peuvent justifier de mesures sanitaires suffisantes. Les conditions de reprise des cérémonies religieuses seront fixées d’ici à la fin du mois.

Concernant les frontières, « comme vous le savez depuis le début de la crise sanitaire, la fermeture des frontières est la règle, et l’autorisation de passer, l’exception », a rappelé le ministre de l’Intérieur. « Cela n’a pas vocation à changer immédiatement », a-t-il confirmé. « Concernant la sortie de l’espace européen, un assouplissement progressif et ordonné des règles de circulation viendra, en temps voulu, quand la situation sanitaire le permettra », mais « les frontières restent fermées jusqu’à nouvel ordre. » Pour ce qui est de la circulation au sein de l’espace européen, les restrictions sont prolongées jusqu’au 15 juin. Les mesures de mise en quatorzaine ne seront, en revanche, pas appliquées à l’intérieur de l’espace européen. Certaines dérogations supplémentaires seront accordées pour permettre de franchir la frontière entre la France et un pays de l’Union européenne : cela s’appliquera aux « ressortissants de l’espace européen qui justifient d’un motif économique impérieux et sont munis d’un contrat de travail, en particulier les travailleurs saisonniers agricoles ».

Les CFPPA et centres de formation continue rouvriront le 11 mai

« Nous avons perdu au cours des trois derniers mois beaucoup de croissance et beaucoup d’emploi, a déclaré le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. L’économie française doit redémarrer ». Tous les commerces rouvriront donc à partir du 11 mai, sauf les bars, les restaurants, dont la date de réouverture sera fixée fin mai. Cela représente 400 000 entreprises et 875 000 emplois, a détaillé Bruno Le Maire. Les centres commerciaux de plus de 40 000 m² pourront aussi rouvrir, sauf en Ile-de-France. Quant au secteur du bâtiment, les entreprises sont appelées à une reprise complète de l’activité d’ici fin mai. Pour accompagner les entrepreneurs, le fonds de solidarité sera maintenu jusqu’à fin mai pour tous les bénéficiaires. Et les charges sociales patronales de mars, avril et mai « pour les secteurs contraints à une fermeture administrative » seront totalement supprimées, a annoncé le ministre.

La reprise sera conditionnée à la mise en place d’un protocole national de déconfinement et de mesures sanitaires dans les entreprises, a rappelé la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. 54 guides métiers ont été édités pour accompagner les entreprises, qui sont fortement incitées à recourir au télétravail et à instaurer des horaires décalés. Le 11 mai, les CFPPA et les centres de formation continue réouvriront progressivement, a annoncé la ministre, si le protocole de déconfinement est respecté. Un guide métier spécifique est également prévu pour ce secteur.

« Lundi 11 mai est le premier jour d’une phase nouvelle », a conclu le Premier ministre, phase qui « demandera de la discipline et de la responsabilité ». « Le déconfinement progressif ne doit pas être le signe du relâchement de notre vigilance », a avertie Edouard Philippe.

Sébastien Duperay

Une distinction vert-rouge appelée à s’accentuer à partir de juin

La distinction semble aujourd’hui faible entre les départements verts, où « la situation est objectivement meilleure, souvent parce que le système hospitalier est plus disponible, a été moins sollicité et peut donc mieux répondre dans l’hypothèse où les choses s’aggraveraient », indique Edouard Philippe, et les départements rouges où « il faut faire encore plus attention, d’où le fait de décaler l’ouverture des collèges ou de limiter au maximum les lieux de sociabilité ». Cette distinction pourrait être amenée « à s’accentuer à partir du mois de juin », a alerté le Premier ministre. « Dans les départements qui resteront verts » où la circulation du virus sera maitrisée, « on pourra aller plus loin le 2 juin ». Ceux qui seront en rouge ne pourront pas profiter d’assouplissements.