INTERVIEW
« Je souhaite lancer un plan d’action dédié aux zones intermédiaires »

Propos recueillis par D.B., V.C., V.F., Y.G., T.G. et N.O.
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INTERVIEW / Pour le ministre de l’Agriculture, les zones intermédiaires sont « un sujet de préoccupation majeur ». Recevant Agra Presse et la presse agricole départementale à l’occasion du lancement du recensement, Julien Denormandie revient sur le plan de relance, les débats sur l’élevage et la future Pac.

« Je souhaite lancer un plan d’action dédié aux zones intermédiaires »
Julien Denormandie.

Dix ans après la dernière vague de 2010, votre ministère va lancer une nouvelle campagne de recensement des agriculteurs. Qu’en attendez-vous ?

Julien Denormandie : « C’est un événement incroyablement important, car c’est ce qui doit nous permettre de définir des politiques publiques qui sont les plus adaptées aux réalités du terrain. Au-delà de la masse des données, ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir, territoire par territoire, quelle est véritablement la situation. J’en attends un outil d’aide à la décision publique pour être sûr que les décisions que nous prenons correspondent à la réalité des territoires. Par exemple, nous sommes en train de discuter de cet incroyable défi qui est au coeur de toute la politique de souveraineté et d’indépendance que je prône depuis mon arrivée : le défi démographique, le renouvellement des générations d’agriculteurs. À chaque fois que je me déplace sur le terrain, j’entends le même chiffre dans tous les territoires : 50 % des exploitations vont cesser leur activité dans les cinq à dix ans qui viennent. Cela prouve bien qu’il y a besoin de plus de finesse. Cela change tout de savoir si le défi est immense dans un territoire et un peu moins dans un autre, s’il est à cinq, sept ou dix ans. »

Au-delà de cette dimension territoriale, le nombre global d’agriculteurs sera aussi très commenté. Pensez-vous qu’il doit cesser de diminuer ?

J.D. : « Un pays ne peut pas être fort sans une agriculture forte, et il ne peut pas y avoir d’agriculture sans agriculteurs. Ceci étant dit, y a-t-il un nombre prédéfini d’agriculteurs dans notre pays ? Je ne pense pas que ce soit le bon angle, car ce nombre dépend des évolutions, des moyens de production, des modèles… Jamais je ne m’inscrirai dans une opposition entre modèles. Je trouve complètement décalés, pour ne pas dire absurdes, ceux qui disent que le seul modèle c’est l’export ou que le seul modèle ce sont les circuits courts. Si nous voulons une France forte, une agriculture forte, nous avons besoin des deux. »

Les céréaliers alertent sur la baisse de leurs revenus et la nécessité d’opérer un rééquilibrage des aides. Y êtes-vous favorable ?

J.D. : « Face aux aléas climatiques de 2020, nous devons avoir des réponses à court et moyen termes. Les réponses à court terme portent sur la trésorerie, les SIE, les avances sur les aides Pac, les allégements de charges sociales ou les calamités agricoles quand elles peuvent s’appliquer, etc. Je m’y suis engagé et nous sommes en train de le faire. Mais il y a aussi une réponse à moyen terme à apporter : comment adapte-t-on notre agriculture aux aléas du changement climatique ? Dans le plan de relance, plus de 100 millions d’euros y sont consacrés uniquement pour financer du matériel visant à s’adapter aux changements climatiques, pour irriguer ou pour mieux gérer l’eau par exemple. S’agissant des retenues d’eau, il faut s’appuyer sur les projets territoriaux de gestion en eau (PTGE), mais je reconnais que la discussion doit s’accélérer. »

Comment comptez-vous faciliter les projets de retenues d’eau ?

J.D. : « Les conflits autour de l’usage de l’eau sont vieux comme le monde. Sur ce sujet, je le dis clairement : les agriculteurs ont besoin d’eau. Il faut donc optimiser sa gestion. La seule façon de le faire est d’accélérer la construction de stockages d’eau, individuels mais aussi collectifs, et de le faire dans la concertation. Dans le cadre de ces concertations, le point problématique est souvent la question de la répartition du débit et du volume d’eau qui peut être prélevé. C’est pour cette raison que nous allons prendre prochainement un décret pour clarifier les règles. Deuxième élément : il faut avoir une approche territoriale où l’on met tout le monde autour de la table. La mise en place d’un stockage d’eau fait l’objet de nombreuses discussions en amont mais finalement assez peu après. Preuve que généralement, une fois qu’il est construit, il est bien géré et pose peu de problèmes. Il faut donc lever les craintes avant, par le biais de la concertation. Néanmoins, celle-ci ne doit pas durer huit à dix ans comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Cela génère des crispations. Le décret sur le débit d’eau doit ainsi permettre d’accélérer cette prise de décision. »

Les céréaliers les plus affectés sont ceux qui se situent dans les zones intermédiaires. Comment leur venir en aide ?

J.D : « Les zones intermédiaires sont pour moi un sujet de préoccupation majeur. Ces zones, allant de la Charente, le sud du Val de Loire et remontant jusqu’à la Bourgogne, ont accumulé des difficultés structurelles. Ce sont elles qui sont les plus affectées par le stress hydrique, par le transfert du 1er vers le 2e pilier de la Pac, par la revue de certains dispositifs de soutien comme les zones défavorisées et l’ICHN, par la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, etc. Nous sommes en train de travailler, au sein de mon ministère, à un véritable accompagnement de ces zones intermédiaires. Je souhaite mettre en place un plan d’action qui leur sera dédié. »

À cela s’ajoute un échec constant des MAE spécifiques des zones intermédiaires.

J.D. : « C’est vrai. Depuis 2012, tous les dispositifs de soutien spécifiques à ces zones, sous forme de MAEC, n’ont pas rencontré le succès escompté auprès des agriculteurs. Le sens même de la Pac ne va pas assez au bénéfice des zones intermédiaires. Je le dis : je veux m’y attaquer. Aujourd’hui, il est par exemple très difficile, là où c’est possible, de se remettre à l’élevage dans les zones intermédiaires après l’avoir abandonné pour les céréales. Il est également très difficile de changer de culture quand il n’y a pas assez d’eau. Il doit y avoir un accompagnement spécifique des outils de transformation, et cela doit se faire aussi avec les chambres d’agriculture. Repartons des propositions des territoires et construisons ensemble des solutions qui peuvent être financées par le plan de relance. »

Le plan de relance, justement, prévoit 125 millions d’euros pour investir dans les abattoirs. Comment seront accompagnés ces projets ?

J.D. : « Aujourd’hui, nos deux objectifs concernent la modernisation des abattoirs existants et le soutien à la création d’abattoirs mobiles. Cette ligne budgétaire pour les abattoirs est très importante, car elle rejoint le sujet de l’injonction sociétale sur le bien-être animal, avec des consommateurs qui considèrent que les abattoirs ne font pas assez sur ce point d’un côté et des abattoirs qui n’ont pas suffisamment les moyens d’investir de l’autre. Nous permettons, par ce plan de relance, de sortir de l’injonction paradoxale qui mène à l’impasse. »

Quel est votre regard sur le développement des alternatives végétales à la viande et sur leur dénomination ?

J.D : « Je suis en train de travailler sur cette dénomination de « steak » ou « aiguillette ». Il existe déjà des dispositions législatives, mais je voudrais accélérer la prise d’un décret qui permettra d’avoir une base juridique pour combattre les utilisations détournées. Soyons clairs : un « steak » de soja, ce n’est pas un steak. Les termes de « steak » ou « aiguillette » ne doivent pas pouvoir être utilisés si le produit n’est pas de la viande. »

Barbara Pompili a annoncé l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques et de l’élevage de visons pour la fourrure en France. Ces mesures font partie du référendum pour les animaux. Pourtant, vous avez assuré que ce référendum d’initiative partagée (RIP) n’est « pas le bon véhicule » pour agir. N’est-ce pas contradictoire ?

J.D. : « Je l’ai dit : je respecte le processus démocratique du RIP qui est en cours. Mais je considère que ce n’est pas le bon outil. C’est un sujet sur lequel nous ne pouvons pas répondre de manière binaire, par oui ou par non, notamment pour les aspects qui concernent l’élevage. Si vous demandez à n’importe qui s’il préfère qu’une poule vive dehors ou dans une cage, il va répondre qu’il préfère qu’elle vive dehors. Mais, est-ce qu’au même moment, on demande à cette même personne si elle est d’accord pour payer son oeuf plus cher ? Par ailleurs, si on prend les poules pondeuses dans leur ensemble, actives et de réforme, est-ce que les consommateurs ont conscience que cela représenterait quelque 200 millions de poules que l’on mettrait dans les champs ? Au même moment, certains portaient en justice le « coq Maurice » car il trouvait qu’il faisait trop de bruit. Le débat doit donc être apaisé et éclairé. »

En ce qui concerne la future Pac, son contrôle devrait être basé non pas sur un objectif de moyens comme jusqu’alors, mais sur un objectif de résultats. Or, il semblerait que l’on se dirige vers les deux. Comment dans ces conditions parvenir à une simplification ?

J.D. : « C’est un débat auquel je participe avec beaucoup d’insistance depuis trois mois. La vraie question aujourd’hui est de savoir si l’on veut passer de la conformité à la performance. Je crois beaucoup à la performance, bien plus qu’à la conformité. Je m’oppose au fait que l’on ajoute une complexité qui viendra peser sur le dos des agriculteurs. Et je suis attentif à ce que la nouvelle Pac ne soit pas encore plus complexe qu’elle ne l’est actuellement. J’échange beaucoup avec mes collègues européens sur le sujet. La simplification sera aussi un gage d’appropriation des objectifs de la nouvelle Pac. »

Avez-vous des craintes vis-à-vis des eco-schemes1 ?

J.D. : « Il faut que les eco-schemes, la conditionnalité renforcée et tout ce qui est du ressort du premier pilier de la Pac, permettent d’accompagner l’agroécologie. L’agroécologie n’est pas pour moi une vision, mais un moyen pour atteindre durablement la souveraineté, pour réduire nos dépendances, à l’eau, aux produits phytosanitaires… La demande que je formule au sujet des eco-schemes, c’est qu’ils soient obligatoires pour tous au sein de l’Union européenne. À partir du moment où l’on est dans un marché commun, nous devons tous avoir les mêmes règles. »

Propos recueillis par Dorothée Briand,
Virginie Charpenet, Vincent Fermon,
Yannick Groult, Thierry Guillemot et
Nicole Ouvrard

1. Éco-dispositifs ou programmes écologiques.

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a accordé une interview exclusive à Agra Presse et la presse agricole départementale

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a accordé une interview exclusive à Agra Presse et la presse agricole départementale