DOSSIER
Chasse : comment séduire de nouveaux pratiquants ?

A. Priolet
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DOSSIER / Qui sont donc les chasseurs français ? La chasse rassemble chaque année en France quelque 5 millions de personnes dont 1,14 millions de pratiquants réguliers. Avec près de 70000 associations de chasse, 94 fédérations départementales et 13 fédérations régionales, la chasse constitue le troisième loisir en France.

Chasse : comment séduire de nouveaux pratiquants ?
L’identification au terroir et la passion de la nature attirent de plus en plus de chasseurs en France.

La pratique de la chasse, activité traditionnelle et populaire, est depuis de nombreuses années décriée par certains « sceptiques » défendant le bien-être animal et refusant la notion de « mise à mort » d’un animal. Au sein de la population française, la chasse suscite aujourd’hui beaucoup d’incompréhension quand ce n’est pas une indifférence totale. Pour autant, la problématique des dégâts de certains animaux dits « nuisibles » et la régulation de la faune sauvage est bien réelle et intéresse toujours un certain nombre de passionnés. Grâce à leur engagement, ce sont d’ailleurs plus de 8,2 millions d’euros (M€) de dégâts qui sont évités, limitant les populations de grand gibier. Cette passion opère aujourd’hui auprès d’un public de tout âge et venant de milieux socio-professionnels divers. D’après les dernières statistiques de la Fédération nationale de chasse, 55% des chasseurs français sont des actifs et 47% d’entre eux ont moins de 55 ans.

La chasse à l’arc convoitée par les jeunes

Si la tranche d’âge des 55-64 ans se révèle être la plus représentée parmi les chasseurs, un public jeune semble également s’intéresser de plus en plus à la chasse. Les 16-24 ans représentent aujourd’hui 5% des pratiquants français. On estime également qu’environ 2,5% des chasseurs sont des chasseuses. Cela représente environ 30000 femmes qui, au fil des années, parviennent à se faire peu à peu une place dans un monde malgré tout presque exclusivement masculin. Les modes de chasse en Auvergne Rhône-Alpes comme à l’échelle nationale sont, quant à eux, très variés, à l’image des milieux et de la faune sauvage. La chasse à tir (muni d’une carabine ou d’un fusil) reste la plus pratiquée en France. Elle regroupe aujourd’hui 84 % des pratiquants. Mais certaines techniques semblent attirer davantage la nouvelle génération de chasseurs (les 25-34 ans représentent 10% de la population de chasseurs, selon la fédération nationale de chasseur). C’est le cas notamment de la chasse à l’arc, légalisée en France depuis 1995 et qui regroupe des pratiquants désirant exercer un mode de chasse plus authentique. La chasse à l’arc est aujourd’hui pratiquée par un peu plus de 3% des chasseurs français. Pour cette pratique en revanche, une formation particulière en plus du permis de chasse est obligatoire. Dans une étude du cabinet de conseil en stratégie BIPE commandée par la fédération nationale de chasse en 2015, les chasseurs français ont été interrogés sur les motivations personnelles justifiant leur pratique de la chasse. Quelle que soit la technique choisie ou le profil du pratiquant, 99% des chasseurs français érigent leur rapport à la nature et l’identification à leur territoire en tête de leurs motivations pour chasser. Pour 82% d’entre eux, la chasse représente également un moment de convivialité et de partage important. 78% des chasseurs mettent enfin en avant leur intérêt pour la chasse par le fait de pouvoir pratiquer une activité en plein air.

Des actions pour dépasser les stéréotypes

Malgré de nombreux jeunes pratiquants, les effectifs ne cessent de se réduire parmi les chasseurs. Soucieuse de se renouveler, la fédération nationale des chasseurs est en recherche perpétuelle de nouveaux licenciés. Pour renforcer sa visibilité, elle a lancé fin juin un nouveau site internet pour mieux expliquer au grand public ce qu’est la chasse aujourd’hui. D’autre part, un certain nombre d’actions sont régulièrement mises en place et ce dans toutes les régions de France avec l’ambition d’attirer de nouveaux pratiquants. C’est le cas notamment de l’opération « Un dimanche à la chasse » qui offre la possibilité à un public non-chasseur de participer à une immersion totale au coeur d’une partie de chasse. Depuis peu, la Fédération nationale de chasse a également lancé une campagne de communication digitale inédite pour dépasser les stéréotypes : « Et si le chasseur n’était pas celui que l’on croit » ? Au programme, une web-série de huit courts films mettant en scène, dans leur quotidien, une galerie de personnages campés par des comédiens. De la « bobo » écolo à l’ado, de la banlieusarde branchée au couple de trentenaires actifs, du tout jeune retraité au couple de jeunes amoureux, se révèlent des portraits de pratiquants inattendus. Pour reprendre son accroche, « la chasse révèle leur vraie nature », cette campagne de communication digitale vise ainsi à dépoussiérer l’image des chasseurs. Il s’agit également de provoquer de nouvelles vocations en donnant envie de franchir le pas. Pour Willy Schraen, président de la fédération nationale de chasse, « la chasse est trop belle pour mourir d’incompréhension et la nature sans les chasseurs ne pourrait survivre bien longtemps. Par cette campagne de communication digitale au ton volontairement décalé, nous avons décidé de montrer qui nous sommes dans la vie, forts de la diversité de ceux qui pratiquent différents modes de chasse en assumant notre passion qui nous ramène à l’essentiel », explique-t-il. Les dates d’ouverture générale de la chasse s’étalent du 23 août au 27 septembre 2020, peut-être susciteront-t-elles cette année l’intérêt de nouveaux pratiquants…

A. Priolet

Bernard Bachasson : « Chasser est un droit, protéger est un devoir ! »
Bernard Bachasson.

Bernard Bachasson : « Chasser est un droit, protéger est un devoir ! »

INTERVIEW / Bernard Bachasson se revendique chasseur écologiste. Expert de l’histoire de la chasse de l’ère paléolithique à nos jours, il revient sur cette pratique qui n’a cessé de bousculer l’imaginaire collectif au fil des siècles.

Pour commencer, à quand datent les premières traces de la pratique de la chasse dans le monde ?

Bernard Bachasson : « On considère que les hommes chassent depuis la nuit des temps. Les premières traces de cette pratique très ancienne ont été retrouvées il y a 300 000 ans, à l’époque de l’homo sapiens. Dans mon dernier livre Les archers préhistoriques de la grande forêt européenne, j’ai plus particulièrement axé mes recherches sur la pratique de chasseur cueilleur, à une période qui se situe -12000 à -5000 ans avant notre ère. Cela correspond au début de la déglaciation, au recul des glaciers et des banquises et à l’avancée de la forêt qui a fini par envahir une grande partie de l’Europe. »

Qu’avez-vous découvert d’intéressant dans la pratique de la chasse à cette époque ?

B.B. : « Nous pensons que, dans un premier temps, les chasseurs de l’époque profitaient essentiellement des carcasses des animaux tués par les grands prédateurs. Puis, c’est en regardant voler les vautours et les rapaces au-dessus de leurs têtes qu’ils ont eu l’idée de chasser. La vallée de l’homo-sapiens en Tanzanie, dans l’Est africain, fait partie de ces territoires originels qui ont vu se développer en premier la pratique de la chasse. Il ne faudrait pas pour autant en déduire qu’elle représentait la totalité des activités humaines. La cueillette a joué un rôle très important aussi, notamment en Afrique où la végétation est fleurissante. Ici, la chasse ne représentait que 30 à 40 % de l’alimentation des tribus. À l’inverse, en Sibérie et en Europe du Nord, la chasse était largement développée, l’alimentation étant presque exclusivement carnée, en raison du climat froid et d’une végétation plus pauvre tout au long de l’année. »

De quelle manière la chasse structurait-elle l’organisation sociale à cette époque ? Et aujourd’hui ?

B.B. : « Les hommes étaient obligés de chasser pour des raisons alimentaires. C’est une activité qui leur demandait beaucoup d’efforts. Il leur fallait probablement 4 000 calories par jour pour, d’abord trouver de quoi chasser, et ensuite ramener la nourriture au camp. C’est pour cela qu’ils se déplaçaient toujours en groupe (c’est toujours le cas aujourd’hui, ndlr). La chasse a développé chez les hommes des idées de stratégie, de contournement, d’approche, de tir, tout en intégrant les femmes à cette organisation. En Afrique et en Océanie, elles participaient largement à la gestion des stocks de nourriture. Dans certaines tribus, elles demandaient aux hommes d’aller chasser quand il n’y avait plus de viande. Aujourd’hui, dans la grande majorité des pays occidentaux, cette pratique est quasi-exclusivement masculine. Beaucoup d’ethnologues disent que les femmes ont du mal à tuer parce qu’elles donnent la vie. C’est donc contraire à l’essence-même de ce pourquoi elles ont été conçues. Cette pratique est plutôt devenue la panache des hommes qui ont, depuis toujours, trouvé une grande satisfaction dans la pratique de la chasse. »

Qu’est ce qui motive depuis des siècles les hommes à chasser ?

B.B. : « Aujourd’hui, on ne chasse plus pour se nourrir ! C’est une activité qui est devenue ludique. Malgré les milliers d’années qui les séparent, il y a quelques points communs entre l’homo-sapiens et l’homme civilisé du XXIe siècle. Chasser, ça entretien avant tout leur ego ! Lorsque les hommes préhistoriques revenaient au camp avec de gros animaux, ils étaient bien vus par leur tribu. Souvent les chasseurs ne mangeaient pas leurs proies, ce qui les glorifiait encore plus. La collectivité est, aujourd’hui encore, une valeur universelle liée avant tout à la répartition des produits de la chasse. On chasse en équipe et on partage en famille, entre amis depuis toujours… La chasse, c’est une aventure collective ! Il y a une dose d’adrénaline, de risque, d’aventure qui motive chaque chasseur. »

Pourquoi aujourd’hui la chasse est-elle si méconnue et décriée par l’opinion publique ?

B.B. : « Aujourd’hui, il a un vrai manque de connaissance. Il n’existe pas vraiment de cours sur la chasse dans l’enseignement scolaire, du coup ça se ressent sur le terrain. Ce que je reproche aux chasseurs, c’est qu’ils connaissent très peu la faune sauvage. D’un autre côté, les écologistes méconnaissent cette pratique. Quand on regarde du côté du Québec, de la Russie, de l’Afrique du Sud et même de l’Europe centrale, on s’aperçoit que les rangers sont des chasseurs qui font aussi de la protection de la nature. Il n’y a qu’en France qu’il faut choisir un camp. Chez nous, il y a un vrai problème culturel qui nous oblige à faire un choix : soit on est du côté des écolos et on nous considère comme des tueurs, soit on est du côté des chasseurs et on nous considère comme des partisans extrême de l’écologie. Ce qui est aberrant car beaucoup de problématiques, comme la réglementation des espèces protégées, sont souvent traitées en commun. Les deux missions doivent être menées de front. Chasser est un droit, protéger est un devoir ! »

Propos recueillis par Alison Pelotier

Agriculteurs et chasseurs : une nécessité autant qu’une passion

D’après une étude commandée en 2015 par la fédération des chasseurs, 8 % des chasseurs seraient des agriculteurs.

RURALITÉ / Même si le nombre de pratiquants est en baisse, la chasse conserve aujourd’hui encore une certaine popularité chez les agriculteurs. Entre passion et nécessité de se protéger contre les ravageurs, la chasse se pratique encore tout au long de l’année à la campagne.

Faute de données disponibles et actualisées, il apparaît aujourd’hui difficile d’estimer le nombre précis d’agriculteurs-chasseurs en France. D’après la dernière étude en date, commandée en 2015 par la fédération nationale de chasse au BIPE, un cabinet de conseil en analyse stratégique et prospective économique, notre pays compterait quelque 82 400 agriculteurs-chasseurs soit 8% de l’ensemble des pratiquants en France. « Il y a encore vingt ou trente ans, la chasse représentait une pratique intimement liée à la culture rurale et attirait donc naturellement les agriculteurs. Aujourd’hui, nous faisons face à une baisse globale des effectifs et la part des agriculteurs se réduit également » explique-t-on du côté de la fédération départementale de chasse de Haute-Savoie.

Un cercle restreint d’agriculteurs-chasseurs

Si le nombre d’agriculteurs-chasseurs est en baisse, pour quelques irréductibles, la pratique de la chasse reste encore d’actualité. C’est le cas de Didier Laurency, éleveur de volailles de Bresse installé en Gaec depuis 1992 à Saint-Usuge (Saône-et-Loire), commune dont il est maire. « Ce qui m’intéresse dans la chasse n’est pas vraiment d’abattre des animaux, c’est plutôt de ressentir cette adrénaline qu’elle procure, de partager toutes les deux semaines avec mon épagneul (chien de chasse, ndlr), une vraie communion en pleine nature », raconte-t-il. Pour d’autres comme Jean-Michel Pouly, éleveur de vaches allaitantes, producteur de vin et président de l’association de chasse de Cogny (Rhône), c’est avant tout la régulation des espèces qui justifie la pratique de la chasse. « La chasse est pour moi indispensable pour limiter autant que possible les dégâts faits sur nos cultures. Dans mon secteur, nous sommes confrontés à plusieurs espèces indésirables comme le lièvre qui vient manger les jeunes pousses. Sur ma propre exploitation, j’ai déjà perdu une vache qui avait attrapé la paratuberculose à cause de ragondins venant uriner dans les cours d’eau », confie-t-il.

Des formations adaptées pour les agriculteurs

« Christiane Lambert (présidente de la FNSEA, ndlr) incite régulièrement les agriculteurs à passer leur permis de chasse. En effet, qui mieux qu’un agriculteur pourrait contribuer à la régulation des espèces ? », interroge Vincent Augagneur, directeur de la Fédération départementale de chasse de Saône-et-Loire. Dans la plupart des fédérations de chasse, des formations au piégeage permettent déjà de connaître les rudiments de la défense non-armée face aux nuisibles. Mais pour ceux qui souhaitent aller plus loin, des formations courtes permettent de passer son permis de chasse. « Ces formations sont organisées à la demande. Les groupes peuvent se positionner sur des dates compatibles avec leur activité principale, pour les agriculteurs on va par exemple éviter les périodes de moissons. La formation se décompose en deux demi-journées à la fois théoriques et pratiques. L’examen est ensuite passé sous le contrôle de l’Office français de la biodiversité. S’il est réussi, l’agriculteur devient alors officiellement chasseur », explique Antoine Herrmann, directeur de la Fédération départementale de chasse du Rhône.

Pierre Garcia

APPLICATION / La géolocalisation des battues en temps réel
L’application Land Share est la première application mobile capable de géolocaliser en temps réel les battues.

APPLICATION / La géolocalisation des battues en temps réel

La saison dernière, la Fédération départementale des chasseurs de l’Isère, le département de l’Isère et Mountain Bikers Foundation ont participé au développement d’un outil au bénéfice de la sécurité et du vivre ensemble en nature. Celui-ci repose sur deux applications mobiles en téléchargement gratuit sur Google Play ou Apple store : Protect Hunt pour les chasseurs et Land Share pour les pratiquants sportifs. Équipé d’un smartphone et d’un boitier numérique, le responsable de battue définit en amont ses zones de chasse sur l’application Protect hunt. Le jour de la battue, il sélectionne la zone retenue et déclare le début de chasse. Une fois la donnée saisie, Protect hunt alimente dans un délai maximum de 4 minutes, une seconde application : Land Share destinée aux pratiquants sportifs. Le randonneur, sportif, vététiste ou autre utilisateur est ensuite alerté dès lors qu’il s’approche d’une zone de battue, généralement définie à 800 m de distance (paramètre modifiable). Particulièrement novatrice, Land Share est la première application mobile du marché capable de géolocaliser en temps réel les chasses collectives (ou battues) au grand gibier.

Le département de l’Isère moteur

Ces applications sont actives depuis mi-octobre 2019 sur les zones tests choisies en Isère, un secteur de 120 km2 proche de Paladru et un second entre Saint-Jean-de-Bournay et Bourgoin-Jallieu. Si au départ, cet outil a été pensé pour les pratiquants de pleine nature afin de les aider à localiser en temps réel les chasses en battue, aujourd’hui « d’autres fonctionnalités ont été apportées comme le marquage des postes », explique Olivier Arguimbau, développeur à la société Fintech, sur le site de la Fédération de la chasse de l’Isère. Ces applications numériques viennent ainsi renforcer les affichages par panneaux apposés sur les lieux de la battue en cours. En phase d’expérimentation lors de la précédente saison de chasse, cet outil sera cette année généralisé à l’ensemble du département isérois. Une nouvelle avancée de taille vers une meilleure cohabitation au coeur de la nature.

Amandine Priolet