ENTRETIEN
« Les vétérinaires ruraux dépendent aussi des éleveurs ! »

Déborah Prévost, vétérinaire rurale à Privas et vice-présidente du syndicat régional des vétérinaires d'exercice libéral, livre son analyse sur les difficultés à recruter des jeunes.

« Les vétérinaires ruraux dépendent aussi des éleveurs ! »
« Le salaire et le lieu compte finalement peu. Ce que veulent les jeunes vétérinaires, c'est être heureux dans le travail et d'y trouver du sens », affirme Déborah Prévost.

Comment expliquez-vous ce manque d’attrait pour la rurale ?

Déborah Prévost : « C’est une tendance au niveau national, qui vaut aussi pour l’activité canine dans une moindre mesure. On vit un vrai changement sociétal, avec une jeune génération qui veut avant tout être heureux au travail, avec des horaires limités et une moindre pénibilité… Et finalement, le salaire et l’endroit où ils travaillent importent peu, tant qu’ils sont heureux au travail. Il est vrai qu’aujourd’hui, les vétérinaires ruraux ne comptent pas leurs heures ! Avec mon mari, qui est aussi mon associé, exercer la rurale est un réel engagement qui prend tout de temps et nous isole. Combien de fois nous avons dû quitter le restaurant ou partir de chez nos amis en plein milieu d’un repas pour une urgence ?! Les gardes et astreintes, la nuit et le week-end, sont une vraie contrainte que les jeunes, bien souvent, ne veulent plus assurer. »

Que faire pour pérenniser les gardes et astreintes ?

D.P. : « Les gardes sont non seulement contraignantes du point de vue personnel, mais aussi déficitaires financièrement. J’ai fait le calcul : embaucher une personne pour les assurer me coûterait plus de 80 000 €, quand cela ne nous rapporte que 7000 € par an ! En canine, elles sont plus facilement mutualisables sur un bassin de plus d'1h30 et sont donc plus rentables . Si l’on pouvait bénéficier d’aides financières pour assurer ces gardes rurales, ce serait déjà une très bonne chose. »

La mutualisation des gardes pourrait-elle être une solution ?

D.P. : « Sur le principe, l’idée est bonne. Mais concrètement, elle est difficile à mettre en œuvre. En effet, depuis Privas, il nous serait impossible de réaliser une garde aux Vans ! Pourquoi ne pas mutualiser dans un secteur proche ? Mais dans mon cas par exemple, ma consœur privadoise a des compétences que je n’ai pas forcément avec les équins et je ne m’imagine pas la remplacer sur des interventions d’urgence avec les chevaux. En revanche, un système de filtrage des appels pour trier les urgences pourrait être une bonne chose. »

Qu’est ce qui peut être mis en place pour attirer les jeunes ?

D.P. : « Pour ma part, j’ai travaillé pendant des années à nouer des liens avec l’Ecole vétérinaire de Lyon, et depuis peu avec celle de Toulouse. J’y donne des conférences, ce qui me demande aussi du temps, mais permet de motiver des élèves à faire des stages chez nous. Les aides et facilités de logement sont aussi intéressantes. Depuis quelques années, la mairie de Privas nous met à disposition des logements pour nos salariés et stagiaires à Privas pour 90 €/semaine, ce qui peut être déterminant dans le choix de stage des étudiants. »

Les éleveurs et les vétérinaires ruraux sont donc interdépendants ?

D.P. : « Totalement. En Ardèche le nombre d’élevages est insuffisant pour pouvoir faire de la rurale une activité rentable. D’autre part, les éleveurs n’ont pas toujours les moyens financiers de faire intervenir les vétérinaires. Cela crée un cercle vicieux car moins on intervient, plus on perd en compétence. Pour ma part, j’ai une spécialisation rurale et ovins-caprins, mais je ne les mets pas en œuvre. »

Quel rôle les éleveurs peuvent-ils jouer ?

D.P. : « Le lien qu’on noue avec les éleveurs est déterminant pour convaincre les jeunes vétérinaires de faire de la rurale. Se sentir bien accueilli, c’est important ! Parfois, on peut aussi regretter que les éleveurs ne nous appellent que pour les « urgences », mais vont ailleurs pour acheter leurs médicaments, etc. Pour ma part, je suis très attachée à nos éleveurs ; quand on noue une relation de confiance, quand on reçoit un « merci », notre travail prend tout son sens. »

Propos recueillis par Mylène Coste

13


C’est le nombre de cabinets vétérinaires revendiquant une activité rurale régulière, en Ardèche. C’est 5 de moins qu’il y a six ans, et parmi eux, 4 ont prévu de cesser leur activité d’ici 2030.

On compte 36 cabinets vétérinaires en Ardèche. 24 cabinets des départements limitrophes (Drôme, Loire, Gard, Haute-Loire) interviennent en rurale.