FILIÈRE LAIT
Les éleveurs ardéchois planchent sur le changement climatique

Mylène Coste
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FILIÈRE LAIT / Comment appréhender et s'adapter au changement climatique en élévage laitier ? C'est la question que se sont posés une dizaine d'éleveurs ardéchois, mardi 1er décembre, lors d'une conférence organisée en visio par la Fédération départementale des producteurs de lait (FDPL) et le Creil Auvergne Rhône-Alpes.

Les éleveurs ardéchois planchent sur le changement climatique
Assèchement des prairies, manque de fourrage... Le changement climatique est déjà une réalité pour les élevages laitier ardéchois.

« Évaluer les impacts du changement climatique sur les élevages laitiers et proposer des pistes d’adaptation dans les différents systèmes » : tel était, selon les mots du président de la FDPL de l'Ardèche Hervé Morfin, l'objectif de la visioconférence du 1er décembre. Une formation organisée dans le cadre de Climalait, un programme initié par le Cniel1 et mené par l’Institut de l’Élevage et visant à trouver des pistes d'adaptation aux évolutions du climat.

Car il est une certitude : il faudra s'adapter ! Le changement climatique est déjà une réalité et les éleveurs ardéchois, malgré leurs différences (altitude, relief, conditions pédoclimatiques, irrigation...) en ressentent déjà tous les effets. « Les étés sont de plus en plus chauds, les prairies naturelles ont été affectées par les années de sécheresse, les mottes ont du mal à se refaire... », soulignait Anthony Feasson, éleveur à Ardoix. « Pour les mêmes cultures, on utilise des quantités d'eau beaucoup plus importantes », s'alarme, quant à lui, Hervé Morfin. « Les rats taupiers pullulent et endommagent les prairies, déplore quant à lui Sébastien Comte, éleveur à Saint-Étienne-de-Lugdarès. Les hivers, plus doux, leur sont sans doute plus propices. »

Afin d'anticiper les changements, la Chambre d'agriculture a effectué un travail de prospective via l'outil ClimaXXI mis en place par le réseau des Chambres d'agriculure. 

Des températures en nette hausse

Que disent ces prévisions ? « En Ardèche, la hausse des températures va se poursuivre : à 400 m d'altitude, la température moyenne annuelle qui est aujourd'hui de 11°C devrait augmenter d'1,1 °C à échéance 2021-2050, puis de 3,9°C à horizon 2071-2100. En montagne (1150 m), elle est aujourd'hui de 6,6°C et devrait s'accroître de 1,3 °C à échéance 2050, de 2,6 °C en 2100. »

Parallèlement à cette hausse des températures, le scénario de ClimaXXI prévoit une diminution drastique des nombres de jours de gel : - 1/3 en 2050 puis -2/3 en 2100 à 400 m ; - 1/5 puis de -1/3 à 1000 m.

Conséquence de cette hausse des températures, le stade de mise à l'herbe en montagne devrait être avancé de 9 à 20 jours, les foins de 12 à 22 jours. En Nord-Ardèche (400 m), ce gain de précocité sera de 5 à 13 jours sur la mise à l'herbe, de 5 à 10 jours sur l'ensilage et la fauche, et de 10 à 22 jours pour les foins : « Il fera plus chaud en avril et mai, la pousse va s'accélérer rapidement avec un premier cycle plus court, ce qui va compliquer la gestion du pâturage, souligne Emmanuel Forel. Notre été commencera beaucoup plus tôt, et la coupe des foins se jouera entre avril et fin mai à 450 m. »

Un déficit hydrique qui s'intensifie

« Ces tendances auront pour corollaire un doublement du nombre de jours chauds (à plus de 25 °C) à 400 m d'ici la fin du siècle. Ils vont même quadrupler à 1000 m, indique Emmanuel Forel. Cela va poser des problèmes pour les graminés prairiales qui supportent mal la chaleur : on a pu le voir ces dernières années avec des ray-grass qui se mettent à épier quand il fait trop chaud. Les dactyles, fétuques élevées et luzerne seront à privilégier. »

Côté pluviométrie, l'Ardèche devrait rester un département arrosé avec une certaine stabilité des précipitations, voire une légère augmentation des précipitations. « Mais cette stabilité s'accompagne d'une très forte variabilité interannuelle, difficile à gérer. », signale le conseiller de la Chambre.

Les fortes chaleurs et la transpiration des plantes et l'évaporation des sols (évapotranspiration) auront pour corollaire un déficit hydrique toujours plus grand. « Ce déficit va particulièrement se creuser l'été, informe Emmanuel Forel.

« L'évolution à horizon 2070-2100 dépendra de ce que l'on fait actuellement en matière de bilan carbone »

Il affirme : « Quoi que l'on fasse aujourd'hui, le scénario d'évolution climatique est fixé jusqu'en 2050, et l'on ne pourra pas infléchir la tendance d'ici là. Toutefois, l'évolution à horizon 2070-2100 dépendra de ce que l'on fait actuellement en matière de bilan carbone ».

Quelles pistes d'adaptation pour les élevages ?

Avec de fortes chaleurs et une sécheresse qui s'intensifie, en particulier l'été, la dégradation des prairies naturelles devrait se poursuivre. « Côté prairies temporaires, il faudra s'intéresser à d'autres espèces plus tolérantes à ces conditions: fétuque, dactyle méditerranéen... affirme Emmanuel Forel. Le blocage de pousse de l'herbe durant l'été va s'amplifier en montagne, comme on le vit déjà en Nord-Ardèche où il se fait déjà de plus en plus de luzerne, de métaye. »

Il est toutefois bien difficile de définir une stratégie pour l'Ardèche : « Selon la disponibilité en eau (retenues collinaires), le système de production et de rotations ou encore le relief, chaque exploitation devra trouver des pistes d'adaptation différentes ».

Autre piste d'adaptation, la mise en place d'engrais verts peut permettre d'apporter davantage de matière organique au sol et d'améliorer la rétention d'eau.

Si la filière doit s'adapter au changement climatique, elle a aussi un rôle à jouer pour en diminuer les effets. « L'élevage laitier est souvent décrié pour être fortement émetteur de carbone via le méthane. Mais en réalité, on se rend compte que dans nos systèmes d'élevage extensif, ces émissions sont en partie compensées par l'absorbtion du carbone par les prairies », affirme Emmanuel Forel. D'ailleurs, dans son plan de filière France Terre de Lait, l'interprofession laitière se donne pour ambition de stocker davantage de carbone tout en diminuant ses rejets. 

Mylène Coste

1. Centre national interprofessionnel de l'économie laitière

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Cultiver moha, sorgho ou maïs à 1 000 m ?
Avec davantage de chaleur en montagne, les éleveurs pourraient demain envisager de faire des cultures d'été en altitude.

Cultiver moha, sorgho ou maïs à 1 000 m ?

FOURRAGE / Avec une hausse des températures qui devrait s'amplifier à l'horizon 2050, la possibilité de faire des cultures d'été en zone d'alitude est à considérer.

« La disponibilité en chaleur augmente fortement, y compris en montagne. Ce peut représenter une opportunité pour faire du maïs, estime Emmanuel Forel. Aujourd'hui, on cultive déjà du maïs à Saint-Agrève, bientôt sans doute à Coucouron ! D’autres éleveurs testent également avec réussite des doubles cultures méteil-moha qui permettent de sécuriser les stocks tout en restant dans des systèmes fourragers typés herbe ». Il ajoute : « Une étude réalisée par le Pep Bovin lait en 2014, a montré que les systèmes laitiers de montagne qui arrivent à intégrer correctement du maïs (rendement >10 tMS/ha et en complément de l’herbe) étaient plus résilients face aux aléas climatiques. Le choix de la qualité des terre est primordial pour réussir dans cette démarche ».

Il poursuit : « Plus bas, la question se pose de cultiver des variétés plus tardives, qui sont aussi les plus productives : cela peut représenter une opportunité. Cependant il faut être en mesure de conduire la culture correctement notamment au niveau irrigation. La réflexion doit alors porter sur la meilleure allocation de la ressource en eau ».

Un bémol toutefois : les journées à plus de 30°C de température seront de plus en plus fréquentes, or le maïs est sensible aux températures trop élevées.

L'acceptation sociale de ces évolutions techniques doit également être intégrée à la réflexion, car elles peuvent constituer des ruptures dans le paysage agricole local et générer des réticences. Un effort de communication et de pédagogie est à envisager.

Le changement climatique au cœur des préoccupations de la filière

AGRICULTURE DURABLE /

La résilience au changement climatique est au cœur de France Terre de Lait, le plan de filière élaboré par l'interprofession laitière suite aux États généraux de l'alimentation. La filière s'engage ainsi à diminuer son empreinte carbone de 17 % par litre de lait sortie Usine. Le programme « Ferme laitière bas carbone », vise à mettre en place divers outils (conseils, formations aux diagnostic carbone pour les éleveurs, échanges de bonnes pratiques, réseau national de conseillers carbone) et mobiliser toutes les exploitations laitières d'ici à 2025. Autre objectif : réduire la consommation énergétique des fermes grace aux énergies renouvelables. 

Selon le Cniel, la filière aurait déjà réduit son empreinte carbone de 24 % en 1990 et 2010, et économisé 20 % de volumes d’eau depuis 10 ans. Par ailleurs, 100% des lisiers et fumiers seraient utilisés en engrais naturels.