MARCHÉ
La filière brassicole bio en pleine ébullition

Pierre Garcia - S.Sabot - Amandine Priolet
-

Le Cluster bio Auvergne-Rhône-Alpes et la chambre régionale d’agriculture organisaient le 16 octobre dernier un webinaire consacré à l’état de la production et du marché de la filière brassicole biologique, aux niveaux régional et national. Tour d’horizon d’une jeune filière qui a tout pour devenir une grande.

La filière brassicole bio en pleine ébullition
Premier pays européen en nombre de brasseries, la France peut notamment s’appuyer sur 560 brasseries certifiées agriculture biologique dont 7 % de brasseries artisanales. (Crédit : AP)

Produit ancré dans nos vies, la bière se conjugue aujourd’hui avec des enjeux contemporains comme la préservation de la santé et de l’environnement grâce au développement d’une filière brassicole française bio. D’après les chiffres du Cluster bio Auvergne-Rhône-Alpes, 11 929 tonnes d’orge brassicole bio ont été collectées en France l’an dernier. Cela représente une hausse de près de 18 % par rapport à 2019, année durant laquelle 10 132 tonnes d’orge brassicole bio avaient été collectées. Avec 2 603 tonnes d’orge bio produites en 2019, la région Auvergne-Rhône-Alpes compte pour 22 % de la production hexagonale. Autre élément essentiel dans la confection de la bière : le houblon. Environ 50 ha sont cultivés en France dont 10 ha par les producteurs de notre région. En 2016, le Cluster bio Auvergne-Rhône-Alpes et Biera & Houblon de France ont mené une enquête pour cerner les besoins des brasseries de la région produisant de la bière bio. En moyenne, les 26 brasseries participantes ont affirmé utiliser 14 tonnes de houblon bio par an. En extrapolant aux 75 brasseries de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le besoin en houblon serait compris entre 605 et 1 156 tonnes soit une surface de production comprise entre 40 et 75 ha, loin des 10 ha aujourd’hui cultivés dans notre région. La demande est donc bien là, tout l’enjeu pour les années à venir sera de parvenir à développer une production à la hauteur.

Un marché jeune mais dynamique

L’an dernier, les Français ont consommé en moyenne 32 litres de bière par habitant. C’est 4 % de plus par rapport à 2009. La progression est notamment visible sur le marché de la consommation hors domicile qui est en hausse de 2,2 % sur la même période, même si la crise du coronavirus devrait faire chuter ces chiffres en 2020. La France se classe aujourd’hui en Europe au huitième rang des pays producteurs de bière. Premier pays européen en nombre de brasseries, la France peut notamment s’appuyer sur 560 brasseries certifiées agriculture biologique dont 7 % de brasseries artisanales. En Auvergne-Rhône-Alpes, le nombre de brasseries bio a notamment bondi de 25 % en à peine un an. Si le bio ne représente aujourd’hui que 1,1 % de l’ensemble du marché en valeur et 0,7 % en volume, il pèse pour 36,7 % de la hausse des ventes en valeur en 2019 et 37,4 % en volume. En dehors des brasseries artisanales bio, les magasins bio revendiquent d’ailleurs une croissance de 9,8 % sur l’année 2020. Les trois premières références nationales représentent à elles seules 10 % du marché.

Accompagner les nouvelles habitudes de consommation

Véritablement ancrée dans son époque, la bière bio répond aux attentes d’une clientèle jeune. Les moins de 35 ans, dont la consommation est en hausse de 3 % en dix ans, sont en passe de devenir les principaux consommateurs de bière bio. Ils représentent 30 % de l’ensemble des consommateurs et sont aujourd’hui à égalité avec les 50-64 ans pour lesquels la dynamique est inversement proportionnelle sur les dix dernières années. Très prisées de ces nouveaux consommateurs, les bières sans alcool bio et les bières aromatisées bio voient leurs ventes progresser de respectivement 10,7 et 3,9 % sur l’année 2019. Avec 33 millions d’euros de ventes en 2019, la grande distribution représente le premier débouché pour les bières mais aussi les cidres et autres boissons alcoolisées bio. On retrouve ensuite la vente directe (15 millions d’euros), la distribution spécialisée bio (7 millions d’euros) et la vente par des artisans et commerçants (2 millions d’euros). Ce nouveau marché peut notamment s’appuyer sur des pionniers comme Jade mais aussi sur des leaders comme 1664 ou Heineken qui ont bien compris l’importance d’investir aujourd’hui le terrain du bio.

Pierre Garcia

Infographie
Malteurs cherchent orge bio et local
Tiphaine et Jean Girardeau devant leur premier tambour, qui servira à la germination et au touraillage (séchage) du malt. Cette malterie cylindrique, courante aux USA, est quasiment unique en France. (Crédit : SS)

Malteurs cherchent orge bio et local

MALTERIE / Jean et Tiphaine Girardeau ont créé l'entreprise « A vos malts ». Leur ambition : transformer d'ici cinq ans 3 000 tonnes d'orge biologique.

A Granges-les-Beaumont dans la Drôme, Jean et Tiphaine Girardeau viennent d'investir un million d'euros pour créer une malterie haut de gamme. En ce début d'année 2021, ils mettent en service un premier tambour, fabriqué sur mesure pour leur entreprise. Ce cylindre géant permet de réaliser la germination et le touraillage, deux étapes délicates du processus de maltage. Ils seront alors en capacité de transformer 550 tonnes d'orge par an, soit une production de 440 tonnes de malt. Mais, les jeunes entrepreneurs visent un développement rapide. « Nous souhaitons installer dès cette année un second tambour. C'est pourquoi nous recherchons 700 tonnes d'orge brassicole bio pour l'été prochain, en priorité d'Auvergne-Rhône-Alpes, mais aussi de Provence-Alpes-Côte d'Azur et Bourgogne-Franche-Comté », annonce Jean Girardeau. « Nous sommes intéressés aussi bien par de l'orge de printemps que de l'orge d'hiver. Nous avons investi dans un procédé de haute technologie qui nous permet de maitriser le maltage des orges d'hiver réputé plus difficile », assure le chef d'entreprise.

Un cahier des charges a été établi à destination des producteurs. Il s'appuie sur les recommandations du syndicat Malteurs de France et porte notamment sur le calibre, le taux de protéines, la pureté variétale, la qualité sanitaire... Les échantillons seront analysés par l'Institut Français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM). Celui-ci réalisera des micro-maltages pour tester le pouvoir diastasique1 de l'orge. Jean Girardeau vise une qualité de malt premium pour que son entreprise devienne une référence auprès des brasseurs locaux. Un univers qu'il connait bien pour avoir co-fondé en 2012 la micro-brasserie le Malting-Pot à Lyon.

Aujourd'hui, il souhaite apporter une réponse aux brasseries qui s'approvisionnent en Belgique ou en Allemagne, faute de trouver du malt bio français. « Avec 340 brasseurs en Aura, le marché est de 8 000 tonnes de malt par an, voire 15 000 tonnes si on inclut les brasseurs de Paca et de BFC », estime-t-il. Jean et Tiphaine Girardeau ont dimensionné leurs locaux pour accueillir d'ici cinq ans cinq tambours. Ils pourraient alors travailler chaque année 3 000 tonnes d'orge biologique en provenance du quart sud-est de la France. Et offriraient ainsi un des maillons manquants pour structurer une filière brassicole régionale, du champ à la chope.

S.Sabot

En savoir plus : www.avosmalts.fr

1. Capacité à produire les enzymes nécessaires à la décomposition de l'amidon.

La Vieille Mûle mise sur le bio et le local
La brasserie artisanale biologique La Vieille Mûle a été créée en 2013. (Crédit : AP)

La Vieille Mûle mise sur le bio et le local

REPORTAGE / Dans la Drôme, le village de Poët-Laval abrite une brasserie artisanale depuis 2013, lieu de convivialité qui a su faire ses preuves au fil des ans.

« Nous sommes convaincus que l’avenir de la planète passera par des cultures raisonnées et biologiques », affirme Rémi Jacquier, gérant de la brasserie artisanale biologique, La Vieille Mûle, à Poët-Laval (Drôme), aux côtés de Cynthia Guerrero. « Il était donc évident pour nous de créer des bières bio, d’autant plus que le process n’est pas plus compliqué qu’en conventionnel. Il s’agit simplement d’une question de coût des matières et de conviction. »

Créée en 2013, la brasserie produit environ 1 700 hectolitres par an. Des chiffres qui progressent au fil du temps. « Nous avons une gamme de cinq bières classiques, à laquelle viennent s’ajouter sans cesse de nouvelles créations (bières à l’avoine, bières élevées en barrique de vin, etc.). Nous aimons surprendre nos clients », s’enthousiasme le brasseur. Une offre de bières diverse et variée qui plait au plus grand nombre puisque chaque année, La Vieille Mûle présente ses créations au Concours Général Agricole, lors duquel elle décroche constamment des médailles. « C’est une belle reconnaissance pour nous, et cela nous permet de maintenir notre niveau de qualité », avoue Rémi Jacquier.

Des partenariats locaux

La qualité, la brasserie drômoise la trouve auprès de ses partenaires locaux : l’orge est cultivée dans un village voisin puis travaillée à la Malterie des Volcans, en Auvergne. Les épices et autres plantes à parfum aromatiques proviennent également des producteurs du coin. Même l’eau utilisée découle de la source de Labry, au cœur même du village. « Nous sommes des supra-convaincus de l’agriculture biologique et locale. De cette façon, nous assurerons la pérennité de notre entreprise », juge-t-il.

Dans ce contexte, la brasserie souhaite à terme maîtriser la filière de A à Z. Elle a d’ailleurs fait un grand pas en 2020 avec l’implantation d’une houblonnière, appuyant ainsi sa démarche de qualité, bio et locale. « Nous avons cultivé notre première parcelle de houblon, dont la récolte a eu lieu en septembre. 600 kg de houblon frais ont été cueillis. Cela représente 5 à 10 % de notre production annuelle. D’ici deux à trois ans, nous avons l’espoir d’en cultiver 50 à 60 %, pour viser à terme l’autonomie », souligne Rémi Jacquier, qui s’approvisionne pour le moment en Alsace ou à l’étranger.

Des ventes à 95 % en local

Les ventes, quant à elles, se font à 95 % au niveau local, par le biais de magasins bio ou de proximité, de restaurants, d’épiceries, etc., ou directement en boutique sur le lieu de brassage.

Et pour affirmer encore davantage leur démarche, Rémi Jacquier et Cynthia Guerrero ont fait construire en mars dernier un hangar agricole en bois, avec isolation naturelle et panneaux solaires sur la toiture. « Nous voulions mettre de la cohérence à notre projet. Les panneaux photovoltaïques nous permettent de produire 60 % de notre consommation annuelle d’énergie », prévient le gérant. Un bâtiment de stockage, mais aussi de séchage et de transformation des houblons, dont la surface plantée devrait s’agrandir d’année en année. 

Amandine Priolet