PRÉVISIONS MÉTÉO
Scruter le ciel pour comprendre les aléas climatiques

Amandine Priolet - Pierre Garcia
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PRÉVISIONS MÉTÉO / Suscitant des attentes de plus en plus fortes, la prévision météorologique reste en réalité méconnue de nombreux Français qui la voient, à tort, comme une science exacte. Mise au point avec François Lalaurette, directeur des opérations chez Météo-France.

Scruter le ciel pour comprendre les aléas climatiques
Lors de la tempête Alex d’octobre 2020, toutes les équipes de Predict étaient mobilisées pour aider les communes sinistrées. Crédit photo : Predict
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François Lalaurette, directeur des opérations chez Météo France. Crédit photo : Météo-France

Comment fonctionne aujourd’hui la prévision météorologique ?

François Lalaurette : « Les premières prévisions météorologiques, ce sont des hommes qui ont regardé le ciel pour y trouver des signes précurseurs. Mais le vrai développement de la météorologie est né de l’essor des télécommunications au XIXe siècle et du partage d’informations entre des stations continentales. Nous nous sommes alors aperçus que lorsqu’ils se déplacent, les grands systèmes de pression atmosphérique engendrent généralement des conséquences logiques qui permettent d’effectuer des prévisions météorologiques. À cette approche physique s’est ajoutée au début du XXe siècle une approche plus mathématique. Les ordinateurs puissants qui sont apparus dans la deuxième moitié du XXe siècle ont au fil du temps permis d’obtenir des calculs de plus en plus précis, de faire tourner des modèles permettant de comprendre rapidement comment la situation atmosphérique va évoluer d’heure en heure. »

Quel est le niveau de précision des prévisions météorologiques ?

F. L. : « Au début du XXe siècle, les travaux d’Edward Lorenz ont fait émerger le concept d’effet papillon : si l’on fait tourner les mêmes équations plusieurs fois, on finit par obtenir des résultats différents. C’est exactement ce qu’il se passe au niveau de la météorologie, il suffit de très peu de choses pour basculer d’une situation à une autre. Soyons clairs : la prévision météorologique parfaite est impossible. Nous disposons d’indicateurs perfectionnés comme des radars ou des satellites mais la question est de savoir ce que l’on veut prévoir. Si l’on veut connaître la localisation et l’intensité d’un orage, une donnée qui peut intéresser les agriculteurs par exemple, l’échéance c’est une heure avant, pas plus. À l’autre bout de l’échelle en matière de prévisions saisonnières, nous ne sommes aujourd’hui capables de diffuser que des tendances car les conditions atmosphériques en Europe ne nous fournissent pas assez de signaux. Les données les plus précises sont celles à l’échelle d’une semaine. On estime que tous les dix ans, nous sommes capables de gagner un jour de prévision. »

Quels sont les progrès technologiques espérés pour les années à venir ?

F. L. : « Depuis quelques années, nous parvenons à mieux comprendre certains processus physiques qui influencent les mouvements atmosphériques comme la thermodynamique. Au niveau technologique, nous ne pouvons qu’espérer que la course à la précision se poursuivra grâce aux nouvelles générations de calculateurs. Sur le plan météorologique, l’enjeu est de parvenir à enrichir en continu nos observations et d’ici 2030, nos satellites géostationnaires devraient être capables d’opérer des sondages d’une précision égale aux satellites de plus basse altitude ce qui rendra nos prévisions plus précises. Nous travaillons par ailleurs sur des observations dites d’opportunité concernant notamment les perturbations de réseaux liées aux conditions atmosphériques. Ce type d’observations pourraient à l’avenir être extraites directement des réseaux sociaux sur lesquels les utilisateurs communiquent des informations très localisées. »

Quelle est la différence entre la prévision de conditions météorologiques classiques ou extrêmes ?

F. L. : « Il y a encore vingt ans, nous en étions encore à savoir s’il y aurait une tempête ou non. La tempête de 1999 en est le parfait exemple. Aujourd’hui, nous sommes capables de mettre un territoire en alerte trois ou quatre jours à l’avance. Mais la météo n’est pas une science exacte et la tempête Alex de 2020 nous l’a prouvé. Nous avons été en mesure de prévoir que la région méditerranéenne serait touchée mais nous n’avions pas idée de l’épisode dramatique qui surviendrait dans les Alpes-Maritimes. Les attentes sont d’autant plus grandes pour les phénomènes météorologiques extrêmes mais nous ne pouvons pas pour autant classer un territoire en alerte au moindre signal inquiétant. L’expérience tend quand même à prouver que si l’on n’était pas là, la prise de décision serait quand même beaucoup plus compliquée pour les collectivités territoriales. »

Comment gérez-vous justement les attentes croissantes de la population ?

F. L. : « Nous essayons de dialoguer avec le plus grand monde et d’expliquer notre métier. Aujourd’hui il faut le reconnaître, c’est une pédagogie avec laquelle nous avons encore du mal. Nous devons parvenir à faire comprendre que si la prévision météorologique n’est pas une science exacte, ce n’est pas le fait des hommes mais bien de l’instabilité de l’atmosphère. En fonction de l’échéance ou de la situation à laquelle nous sommes confrontés, nous sommes plus ou moins sûrs de nous. Une chose est sûre, le réchauffement climatique va s’accélérer dans les vingt prochaines années voire même plus si nous ne prenons pas les mesures nécessaires. Les évènements climatiques extrêmes comme les épisodes caniculaires, les tempêtes, les sécheresses, les inondations ou encore la grêle vont donc se multiplier et nous devons nous y préparer. La connaissance des acteurs de terrain à un échelon très local, en complément de données plus globales fournies par Météo France, va donc se révéler encore plus cruciale dans les années à venir. »

Pierre Garcia

Météo : Groupama-Predict, un nouvel outil pour la gestion de crise
De g. à d. : Thomas Schramme, directeur métiers entreprises, collectivités et associations de Groupama et Alix Roumagnac, président de Predict depuis le siège de Montpellier. Crédit photo : Predict

Météo : Groupama-Predict, un nouvel outil pour la gestion de crise

ASSURANCES / Le 12 janvier dernier était organisée une visite virtuelle au siège de Predict à Montpellier. L’occasion de présenter au grand public cet outil de prévision météorologique et de gestion des risques qui a notamment fait la preuve de son efficacité lors de la tempête Alex de 2020.

Née en 2006, la société Predict a vu le jour grâce à l’appui technique de trois poids lourds français : Météo-France pour la météorologie, Airbus pour l’activité spatiale et BRL pour l’hydraulique. En quelques années, Predict s’est affirmée comme un acteur incontournable dans l’assistance aux collectivités territoriales, aux industriels et aux particuliers pour les risques d’inondations. Forte de son succès, la société s’est progressivement ouverte à d’autres phénomènes naturels potentiellement destructeurs comme les tempêtes, les submersions marines, les sécheresses, les chutes de neige et même plus récemment les pandémies. Avec l’augmentation du nombre de phénomènes climatiques extrêmes, Predict avait naturellement vocation à se rapprocher du monde de l’assurance. À la recherche d’une nouvelle offre de service pour ses assurés, Groupama, premier assureur du monde agricole, a été le premier à se laisser séduire en 2007.

Predict mobilisé lors de la tempête Alex

Depuis la vigie, le coeur opérationnel de Predict disposant notamment d’une salle de prévision météorologique, le président de la société, Alix Roumagnac, et le directeur métiers entreprises, collectivités et associations de Groupama, Thomas Schramme, ont présenté le 12 janvier dernier le service Groupama-Predict. Cas pratique choisi : la tempête Alex d’octobre 2020. Touchant d’abord la Bretagne, cette tempête a ensuite engendré un épisode méditerranéen exceptionnel qui a causé des dégâts majeurs principalement dans les Alpes-Maritimes. Durant cette crise, le service Groupama-Predict s’est déployé en trois temps. Avant même le début de la tempête, une phase préventive a permis de mesurer la vulnérabilité de chaque territoire. Particuliers, agriculteurs et commerçants se sont vu remettre des fiches de consignes. Les municipalités ont quant à elles été aidées dans la mise en place de leur plan communal de sauvegarde, un document de gestion de crise exigé par les préfectures. « Environ 7 700 communes ont été contactées individuellement. L’idée était surtout de pouvoir prendre contact avec les équipes municipales nouvellement élues pour leur expliquer la procédure à suivre en cas de crise », a expliqué Thomas Schramme. Lorsque la tempête est arrivée, le service Groupama-Predict s’est ensuite déployé sur la base des prévisions météorologiques effectuées depuis la vigie. Au total : 6 500 communes ont été alertées et 578 000 SMS ont été envoyés aux assurés concernés. « Ce dispositif comprend cinq échelons, toutes les communes n’ont pas reçu le même niveau d’alerte », a précisé Alix Roumagnac. « L’application mobile permet de visualiser en temps réel l’évolution de la situation et les collectivités territoriales peuvent aussi l’utiliser pour informer leurs administrés des actions engagées et mettre à jour leur plan communal de sauvegarde. »

Les assurés pleinement satisfaits

Au moment de dresser un premier bilan, l’offre de service proposée par Predict s’est révélée précieuse pour les communes les plus touchées. « Grâce aux informations que nous avons reçues, nous avons pu engager une reconnaissance terrain tout au long de l’évènement. Nous avons alerté la population via notre automate d’appels en masse Gedicom. Un centre d’accueil d’urgence a été ouvert au gymnase pour héberger les sinistrés de la route », raconte Jean-Marc Grilli, adjoint à la sécurité à la mairie de Saint-Martin-du-Var (Alpes-Maritimes). Une fois la tempête passée, l’accompagnement ne s’est pas arrêté là pour autant. Les assurés Groupama les plus touchés ont rapidement été contactés par les services de Predict afin de pouvoir leur prêter assistance. « Le dimanche, les satellites d’Airbus sont passés sur le site et dès le début de la semaine suivante, Groupama a pu organiser des rendez-vous avec ses assurés. Au total, plus de quatre mille personnes ont été mises en sécurité », se félicite Alix Roumagnac. S’appuyant sur des retours particulièrement positifs, Groupama souhaite désormais pouvoir développer ce service à l’ensemble des marchés et entités du groupe. Ce sera chose faite d’ici la fin de l’année.

Pierre Garcia

Des outils pour prévoir les caprices du ciel
169 générateurs à vortex sont actifs dans les cinq départements couverts par Prévigrêle : Ardèche, Drôme, Gard, Vaucluse et Bouches-du-Rhône.

Des outils pour prévoir les caprices du ciel

ARMES ANTI-GRÊLONS, STATIONS MÉTÉO / Alors que le monde agricole est entré dans une nouvelle ère en raison du changement climatique, quels outils technologiques peuvent permettre aux agriculteurs de protéger leurs cultures des aléas ?

Pour protéger leurs cultures face à l’augmentation des aléas climatiques, les agriculteurs ne cessent de chercher de nouvelles solutions. L’association Prévigrêle, membre du réseau formé par l’Association nationale d’étude et de lutte contre les fléaux atmosphériques (Anelfa), propose des générateurs à vortex : ces armes anti-grêlons consistent à ensemencer en noyaux glaçogènes artificiels d’iodure d’argent les couches basses de l’atmosphère, de façon à multiplier le nombre de cristaux de glace et d’en diminuer ainsi les dimensions. Pour une efficacité et une protection optimale, il est préconisé d’implanter des générateurs tous les dix kilomètres. Pour l’heure, Prévigrêle dénombre 169 outils sur cinq départements : les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, la Drôme, l’Ardèche et le Gard (voir témoignage en chandelle). Dans la Drôme (27 générateurs), le réseau s’étend peu à peu. L’ODG Grignan Les Adhémar s’est équipée : « Nous avons souhaité installer un système de lutte anti-grêle sur tout le territoire pour protéger l’appellation. Il manquait trois postes pour réaliser un maillage : La Roche-Saint-Secret, Réauville et Clansayes. Pour nous, c’était fondamental. Mais il faut une union forte de l’ensemble du territoire », prévenait Philippe Bonetto-Fabrol, vigneron à La Garde-Adhémar, dans les colonnes de L’Agriculture Drômoise en mars 2019. Ces systèmes de protection permettent également d’avoir une vision sur l’évolution des aléas. En effet, à réception des plaques grêlimétriques impactées, l’Anelfa mesure l’intensité d’une chute de grêle à un endroit donné et réalise des synthèses sur les journées grêlées, la venue des orages, l’efficacité des générateurs et de la prévision ainsi que sur les améliorations à apporter aux réseaux.

Une révolution pour le milieu viticole

De son côté, la coopérative Ecovigne, filiale d’Oxyane, utilise la météo connectée pour assurer la pérennité de la filière viticole. Les viticulteurs du Beaujolais, Mâconnais, Bugey bénéficient depuis 2018 d’un réseau de plus de 75 stations météo Weenat sur leur territoire. « Dans notre métier, la météo est l’élément que nous regardons le plus, parfois plusieurs fois par jour. Pour avoir une production agricole de qualité, nous nous devons d’être beaucoup plus précis. C’est pourquoi notre coopérative Ecovigne s’est dotée de stations météo. Cela permet à nos viticulteurs d’anticiper leur travail », explique Laurent Nalies, responsable commercial. Alors que les vignes souffrent majoritairement du mildiou et de l’oïdium, la forte densité des stations météo figure ainsi tel un outil d’aide à la décision. Depuis toujours, les agriculteurs se focalisent sur la pluviométrie et les températures. D’autres paramètres entrent désormais en jeu. En effet, les traitements phytosanitaires sont aujourd’hui optimisés, en fonction des pluies à venir certes, mais aussi de l’hygrométrie et du vent, etc. « Tous les aspects sont pris en considération pour ajuster le travail dans les vignes, limiter les coûts et avoir plus de prophylaxie », ajoute Laurent Nalies. « Notre ADN est d’apporter de la pérennité à nos entreprises. Nous avons comme objectif de poursuivre la multiplication du nombre de capteurs, afin de pouvoir affiner les données », conclut Laurent Nalies. Ces données, tant actées que prévisionnelles, permettent aussi de gérer efficacement la période des vendanges. Il conviendra ainsi, à tous les viticulteurs bénéficiant de ce service, d’adapter leur stratégie de production.

Amandine Priolet

Générateur à vortex : « un outil indispensable »
Michel et Justin Roussin, vignerons à Tulette (Drôme), sont membres du réseau Prévigrêle. Un des générateurs à vortex est installé sur leur exploitation.

Générateur à vortex : « un outil indispensable »

TÉMOIGNAGE / Vigneron à Tulette dans la Drôme, Michel Roussin fait partie du réseau Prévigrêle depuis de nombreuses années. L’un des postes, situé auparavant derrière la cave Costebelle, a été déplacé à plusieurs reprises. Il est aujourd’hui installé au coeur même de sa ferme. « Nous sommes trois responsables. Nous sommes reliés avec la station météo de l’Anelfa, basée à Toulouse. Lors des prévisions de risques orageux, nous recevons des alertes téléphoniques nous indiquant les horaires de mise en route et d’arrêt. En moyenne, nous allumons le générateur quinze fois par an », prévient Michel Roussin. L’appareil est utilisé sur une période moyenne de six mois, d’avril à la fin octobre. Dès sa mise en route, le générateur diffuse des millions de particules d’iodure d’argent qui atteignent jusqu’à 10 000 mètres d’altitude. « Cela permet de dissoudre les plaques de glace dans l’atmosphère, directement dans les nuages où se forme la grêle », souligne l’agriculteur. « Les grêlons qui touchent nos sols sont alors plus petits, parfois plus tendres. Certes, cela n’empêche pas les dégâts, mais cet outil, que je juge pour ma part indispensable, permet de les diminuer fortement », note-t-il. Chaque année, l’Anelfa récupère les boîtiers informatiques des générateurs pour dresser un état des lieux, analyser la grosseur des grêlons par le biais de la plaque en Siporex (béton cellulaire), etc. « Auparavant, les orages arrivaient en juillet et août. Désormais, ils se déclenchent de plus en plus tôt dans la saison, parfois dès le mois de mai… quand les vignes ont commencé à bourgeonner ! », constate Michel Roussin. Pour protéger son exploitation de 37 hectares de vigne, Michel Roussin bénéficie donc depuis plus de quinze ans d’un générateur à vortex grâce à l’investissement de la mairie et du Comité des vignerons de Tulette. « Cela coûte environ 1 800 € par an, souligne Michel Roussin. Il ne protège pas seulement les cultures agricoles mais aussi tous les bâtiments, voitures, etc. Je trouve donc dommage que certaines communes ne veulent pas s’équiper d’un tel outil ». Pour atténuer fortement les impacts de la grêle, un réseau dense de diffuseurs est nécessaire pour protéger le territoire. « Selon moi, il en manque pour obtenir un maillage suffisant. Il est préconisé d’en mettre un tous les sept kilomètres pour être réellement efficace », ajoute-t-il. Plusieurs communes autour de Tulette en sont déjà équipées : c’est le cas de Suze-la-Rousse, Nyons, Visan, Vinsobres et Bouchet. D’autres n’ont cependant pas encore franchi le pas…

A.P.