BOVIN LAIT
Les producteurs de lait bio inquiets pour leur avenir

Du lait déclassé et des prix en baisse… La filière lait bio rencontre de sérieuses difficultés. Dans ce contexte, l’avenir de Biolait interroge les producteurs.

Les producteurs de lait bio inquiets pour leur avenir
Les éleveurs de Biolait sont inquiets pour l'avenir de la filière bio.

Il s’est installé en 2020, passionné et plein d’entrain. Deux ans plus tard, l’enthousiasme a laissé place au doute et à l’inquiétude. Paul Besseas, 26 ans, élève 45 montbéliardes en bio à Quintenas, et fait partie des rares jeunes du territoire à avoir choisi l’élevage laitier. « J’ai repris la ferme de mon oncle, qui ne faisait que de l’allaitant. Moi, j’ai voulu passer en lait. Certes, c’est beaucoup de travail, mais je suis passionné et c’est ce dont j’avais envie. » Tout naturellement, il s’est tourné vers Biolait lors de son installation : « À l’époque, le marché du lait bio se portait bien. Je me suis lancé avec un prévisionnel de 430 à 450 €/1000 l en moyenne sur la première année, avec un objectif de croissance de + 10 € par année. Mon projet d’installation paraissait très raisonnable à l’époque… » 

Le prix du bio en dessous du conventionnel

Mais le scénario ne s’est pas déroulé comme prévu. Depuis près d’un an, les prix du lait bio sont loin d’être à la hauteur : « On était sur un prévisionnel 2022 à 402 €/1000 l en prix moyen de base, et on est bien en dessous. On est passé en avril à 346 €… C’est moins que le conventionnel ! » En effet, en avril et mai, le prix standard du lait bio est passé en deçà du prix du conventionnel. Pour la même période, d’autres opérateurs ardéchois affichaient un prix de base en conventionnel entre 390 et 402 €/l.  

Tandis que les prix du bio stagnent, ceux du conventionnel grimpent. Cette hausse s’explique par un ralentissement de la production à l’échelle mondiale, et notamment en Australie et Nouvelle Zélande où les aléas climatiques ont limité la pousse de l’herbe. Dans le même temps, la demande chinoise a augmenté, et le conflit ukrainien a accentué le déséquilibre entre l’offre et la demande.

« Peu de perspectives à court terme »

Face à cette situation, Paul Besseas est inquiet : « Lors de mon installation, j’ai investi dans un bâtiment de 400 000 €. Je pensais ne pas avoir de mal à le rentabiliser, mais aujourd’hui ça se complique. Si ça continue comme ça, je peux tout arrêter. » 

Paul Besseas envisage de changer de laiterie. C’est ce qu’a fait François Coste, l’un de ses confrères. Éleveur laitier à Cheminas, ce dernier a décidé d’arrêter la bio pour repasser en conventionnel avec la Fruitière de Domessin. « Mais ce n’est pas si simple ! J’ai dû payer des pénalités pour non-respect de contrat, de l’ordre de 8 % du chiffre d’affaires. Il a aussi fallu trouver une coopérative qui accepte de me prendre, et remettre en question tout mon modèle d’exploitation. »

Le marché spot au secours du lait bio

La situation n’est pas propre à Biolait, mais touche toute la filière bio. Dans un contexte généralisé d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat, la consommation de lait bio s’essouffle, et en particulier beurre et crème. Dans le même temps, la collecte de lait bio poursuit sa hausse en 2022 et représente désormais 5,4 % de la collecte française. Un chiffre qui pourrait grimper jusqu’à 6 % en 2023, selon le Cniel1.

Faute de débouchés, les déclassements vers le lait conventionnel qui ont débuté en 2021 se poursuivent, chez Biolait comme chez Lactalis, Sodiaal ou encore Agrial, qui représentent 70% de la collecte nationale bio. En résumé, la filière conventionnelle en manque de lait absorbe des volumes à la bio, qui en a trop. Ces déclassements sont assortis de baisse des prix payés au producteur. 

Des mesures de limitation trop tardives ?

« Face à l’érosion des débouchés, Biolait a mis en place des aides à la limitation volontaire de la production, explique Vincent Perrier, éleveur à Vernosc-les-Annonay et responsable de secteur chez Biolait. Ceux qui y ont émargé ont pu garder les prix. En production constante on a un peu baissé, mais on a transféré du prix de base vers la qualité », explique-t-il. Il précise : « Ces dernières années, quand le marché était porteur, on a décidé collectivement de redistribuer tous les bénéfices dans les fermes. Mais nous n’avons pas gardé de quoi amortir une crise comme celle que l’on vit, et que l’on n’avait pas vu venir. »

Là-encore, Biolait ne fait pas exception. L’entreprise n’a pas plus fait preuve d’anticipation qu’Agrial, Sodiaal ou Lactalis. Tous ont aujourd’hui mis fin à leur dispositif d’aide aux conversions à l’AB. Mais, même ralentie, l’offre de lait bio devrait continuer à augmenter l’an prochain. 

Un signal pour les autres filières agricoles

La crise du lait bio est aussi un signal pour les autres filières qui seraient tentées de s’engouffrer massivement vers la bio, sans certitude d’avoir une demande suffisante pour absorber l’offre. D’autres filières (céréales, viande bovine…) voient d’ailleurs elles aussi l’écart se rétrécir entre les prix du bio et du conventionnel, du fait du contexte national et international.

M.C.

ILS TÉMOIGNENT...

Anthony Feasson, 30 ans, éleveur à Ardoix

Anthony Feasson, 30 ans, éleveur à Ardoix

« Lorsque je suis passé en bio avec Biolait, en 2017, le marché était porteur et les prix étaient satisfaisants. Mais aujourd’hui, les prix de base sont tombés très bas, alors que les coûts de production n’ont pas cessé d’augmenter, plus encore en bio ! On est obligé de renoncer aux achats de concentrés mais du coup, on ne peut pas faire de bons taux. Et avec la sécheresse, on a du mal à être autonome en fourrage... C’est une situation catastrophique. »

Antoine Ribes, éleveur à Éclassan 

Antoine Ribes, éleveur à Éclassan 

« C’est vraiment dommage car le modèle de Biolait était intéressant et les producteurs y avaient leur place. Passer en bio a demandé beaucoup d’efforts et aujourd’hui je ne me vois pas faire machine arrière. On avait tout misé sur la bio en pensant que cela nous apporterait de la valeur ajoutée. Aujourd’hui la valeur ajoutée n’y est pas, n’y est plus. Mais quand on va en grande surface, on voit que les prix du lait et des yaourts, ont augmenté… Il y a donc bien des gagnants dans cette histoire. »

Jérôme et Stéphane Duchier, éleveurs associés à Saint-Alban-d’Ay

Jérôme et Stéphane Duchier, éleveurs associés à Saint-Alban-d’Ay

« Nous sommes chez Biolait depuis 2016, et jusqu’ici on était plutôt satisfait d’avoir fait ce choix. Le problème n’est pas propre à Biolait, mais au marché bio qui est en perte de vitesse, et pour toutes les filières. Si on nous avait dit un jour que les prix en bio passeraient en dessous du conventionnel, on ne l’aurait pas cru ! »

La « voie Biolactée » s’obscurcit

Pionnière en matière de lait bio, la société Biolait a été créée en 1994 en Loire-Atlantique, par une poignée de producteurs. L’ambition des fondateurs était d’éviter que la filière bio ne soit accaparée par quelques grands acheteurs conventionnels, qui fixeraient les prix et délaisseraient les zones de collecte les plus difficiles d’accès. Biolait a longtemps été portée par un marché bio dynamique. En 2020, la société comptait 1400 fermes adhérentes dans 74 départements et collectait 300 millions de litres de lait, soit 30 % du lait bio produit en France. En Auvergne-Rhône-Alpes, elle compte une centaine de producteurs, dont une quinzaine en Ardèche. 

L’entreprise n’a pas de collecte en conventionnel. Elle s’est démarquée par ses engagements sur l’environnement, le bien-être animal ou encore l’alimentation 100 % française des troupeaux. Elle livre une centaine de clients dont les enseignes Biocoop, System U ou encore Auchan. Toutefois, certains de ses anciens clients comme Sodiaal ou Eurial, ont mis fin à leur contrat pour développer leur propre collecte bio. L’essoufflement de la consommation de lait bio a remis en question la « voie Biolactée » qui a longtemps été vectrice de valeur et de sens pour les éleveurs.

 

Biolait a récemment lancé le repère "Il lait là" apposé sur les emballages, et permettant aux consommateurs d'identifier leur lait et de soutenir leur filière.
Biolait a récemment lancé le repère "Il lait là" apposé sur les emballages, et permettant aux consommateurs d'identifier leur lait et de soutenir leur filière.

4 100

C'est le nombre d'éleveurs qui produisaient du lait bio en 2021, soit 1,23 milliards de litres. Selon le Cniel, ils pourraient être 4 550 en 2023, pour une collecte potentielle de 1,40 milliards de litres de lait.