VITICULTURE
Du lait de vache contre l’oïdium et le mildiou ?

Après le paillage en laine de mouton, le test de la moutarde ou encore celui du slip, le groupe Dephy viticulture des côtes-du-Rhône septentrionales n’a pas fini de nous surprendre. Dernier essai en date : le traitement de la vigne avec du lait de vache contre les maladies. Le point avec Denis Duclaut, qui a tenté l’expérience.

Du lait de vache contre l’oïdium et le mildiou ?
Denis Duclaut a testé le traitement au lait de vache contre l'oïdium et le mildiou, dans ses vignes à Sarras

« Ce qui est beau dans ce métier, c’est de faire des expériences et de prendre des risques », affiche Denis Duclaut. Vigneron à Sarras, il cultive 5 ha de vignes essentiellement en vin de pays, mais aussi en Saint Joseph. Coopérateur à la cave de Saint-Désirat, il élève également un troupeau de 45 montbéliardes dont le lait est livré à Danone, et cultive des céréales (blé, orge, maïs pour l’ensilage) entre les deux rives du Rhône. Cette année, il a testé une nouvelle alternative pour lutter contre les maladies de la vigne : le traitement au lait de vache.

Pas de différences significatives 

« J’ai fait l’expérience sur de petites surfaces, environ 20 ares, ce qui m’a permis de comparer avec des traitements plus classiques sur le reste des vignes, explique l’intéressé. Comme j’ai des laitières, j’avais du lait directement disponible sur l’exploitation. J’ai utilisé du lait entier, avec un dosage à environ 15 l/ha en traitement plein. »  Le vigneron a ainsi fait 5 passages durant la saison. En parallèle, il a traité le reste des vignes contre l’oïdium avec des produits de biocontrôle (2 passages) et des fongicides (3 passages)1 en début de saison. « J’ai eu un peu d’oïdium dans une parcelle de blanc, mais globalement je n’ai pas eu de problème d’oïdium. Le traitement au lait de vache semble avoir bien fonctionné, et il n’y a en tout cas aucune différence de résultat », reconnait Denis Duclaut. Pour le mildiou, il n’a effectué aucun traitement cette année :  « Avec une météo favorable comme cet été, on peut se permettre de se passer de produits. »

Écologie et économies

Amandine Fauriat, conseillère viticulture à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche et animatrice du groupe Dephy, confirme : « J’ai effectué trois suivis dans les parcelles traitées au lait et les autres : le premier sur feuilles et grappes début juin, le deuxième sur grappes mi-juillet (50 grappes sur chaque modalité) et enfin sur grappes début septembre, juste avant la vendange. Quelle que soit la modalité, je n’ai pas observé de problème de maladies, et il n’y a pas de différence significative entre les deux types de traitement. »

Outre l’aspect écologique, le traitement au lait est aussi intéressant en termes financiers : « le prix du lait est à environ 0,35 € le litre alors que le soufre est au moins à 1,25 € / l, voire bien plus », souligne Denis Duclaut.

Vigneron à Cornas, Olivier Clape avait testé le lait contre les maladies de la vigne en 2021, année de forte pression.
Vigneron à Cornas, Olivier Clape avait testé le lait contre les maladies de la vigne en 2021, année de forte pression.

La vigne boit du petit lait

C’est en échangeant avec ses confrères du groupe Dephy que Denis Duclaut a eu l’idée du traitement au lait. En 2021, Olivier Clape tentait déjà l’expérience sur 8 rangées de vignes en bas de coteau, à Cornas. « J’ai utilisé du lait cru d’une ferme bovine de Toulaud, que je récupérais la veille pour le lendemain. J’ai traité les vignes au lait cru avec un atomiseur à dos, en remplacement du cuivre et du soufre, en dosage à 5,6 l/ha, et jusqu’à 8l/ha quand la pression sanitaire était forte, explique Olivier Clape. J’ai toutefois fait un poudrage de fongicide peu après la nouaison quand le risque était fort. Que ce soit le mildiou, l’oïdium ou le black-rot, 2021 a été une année à grosse pression pour la vigne.  Et pourtant, les traitements au lait de vache ont donné des résultats équivalents au traitement cuivre/soufre, et même aux traitements conventionnels. En fin de saison, quelle que soit la modalité de traitement, on avait quelques grappes touchées par le mildiou ou le black-rot mais dans l’ensemble, l’état sanitaire était correct. C’est assez étonnant, et ça donne matière à réfléchir ! Je n’ai pas renouvelé l’expérience cette année, puisque je n’ai pas traité du tout compte tenu de la faible pression. Mais j’aimerais renouveler l’essai à l’avenir, à plus grande échelle. » Il souligne : « Pour le traitement au lait, il est important de bien mouiller le feuillage sur les deux faces de la vigne. »

À son tour, Denis Duclaut a suscité la curiosité dans son entourage : « un voisin m’a déjà dit qu’il comptait tenter le lait la saison prochaine ! »

Mylène Coste

1.      Denis Duclaut a utilisé les produits Difcor, Luna Sensation et Dynali.

Et ailleurs ?

L’utilisation du lait comme fongicide contre l’oïdium en viticulture a été expérimentée dans plusieurs vignobles, notamment en Suisse en remplacement du cuivre contre le mildiou, et en Bourgogne dès 2015, en alternative au soufre contre l’oïdium. Dans les vignes de chardonnay de Bourgogne le lait écrémé a montré de bons résultats même les années où la pression oïdium était élevée. Le mode d’action du lait reste toutefois inconnu. Les molécules grasses du lait de vache agiraient comme une barrière qui bloquerait le mycélium à la surface de la pellicule raisin. « Peut-être que l’acidité du lait a aussi un effet », suppose Denis Duclaut. Le lait de vache peut a priori être associé au cuivre ou au soufre en traitement, mais attention aux huiles essentielles qui peuvent annuler ses effets.

Le lait de vache a été approuvé par la réglementation européenne comme substance de base en juillet 2020. S’il constitue une alternative intéressante aux fongicides, se pose malgré tout la question de la cohérence de l’utilisation d’un produit alimentaire, même local.

Le groupe Dephy côtes du Rhône septentrionales
Le groupe Dephy des côtes du Rhône septentrionales a notamment expérimenté le traitement par drone en fortes pentes

Le groupe Dephy côtes du Rhône septentrionales

Créé en 2016 et composé d’une douzaine de vignerons volontaires, le groupe Dephy est animé par Amandine Fauriat, technicienne à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche. Depuis sa création, le groupe planche sur la réduction, voire l'arrêt des herbicides en forte pente, et a obtenu de très bons résultats. Tout en poursuivant son travail de diminution des produits phytosanitaires, le groupe s’engage dans un travail autour de la relation sol-plante, avec l’objectif de rendre la vigne moins dépendante aux produits phytosanitaires. A cet effet, une formation pour appréhender les potentiels Red-Ox est organisée en novembre par le groupe Dephy. D’autres pistes de travail sont également explorées : biodiversité, produits de biocontrôle, travail du sol... Récemment, un projet avec l’Inrae a été mis en place pour évaluer les risques liés aux nuisibles (cicadelle, drosophile), par des comptages de populations, mis en relation avec les pratiques des parcelles concernées.