EXPERIMENTATION
La dendrométrie au service de l’irrigation en verger

Lancé en 2021, le projet Denver vise à définir si l’utilisation de la dendrométrie, qui permet de mesurer le stress de l’arbre, peut apporter des réponses pour optimiser le pilotage de l’irrigation dans un contexte de réduction de la ressource en eau. 

La dendrométrie au service de l’irrigation en verger
Le dendromètre mesure en temps réel les micro-variations de diamètre des branches et permet de calculer l’amplitude maximale de contraction journalière liée à l’état hydrique de l’arbre. ©Baptiste Labeyrie CTIFL

Jusqu’où peut-on aller en matière de réduction des apports d’eau au verger sans conséquences durables pour l’arbre ? Cette question est cruciale dans un contexte où l’impact des changements climatiques sur la disponibilité des ressources en eau n’est plus à démontrer.  Dans le cadre de l’appel à projet Pepit1, le CTIFL a lancé en 2021 une étude sur l’utilisation de dendromètres en verger. Baptisé Denver, ce projet vise à « étudier une nouvelle approche du pilotage de l’irrigation et ainsi de nouvelles stratégies de conduite de vergers économes en eau en utilisant de nouveaux outils de mesure de l’état hydrique des arbres », indique la Chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes. 

Pêchers, noyers, pommiers et châtaigniers étudiés

Le projet est mené sur quatre sites et quatre productions : à la station d'expérimentation fruits Auvergne-Rhône-Alpes (Sefra) d’Étoile-sur-Rhône (Drôme) sur pêchers, à la station d'expérimentation nucicole (Senura) de Chatte (Isère) sur noyers, au verger expérimental de Poisy (Haute-Savoie) sur pommiers et avec la chambre d’agriculture de l’Ardèche sur châtaigniers. En février, à l’occasion de la journée technique organisée par la Sefra, Baptiste Labeyrie, ingénieur de recherche au CTIFL, a présenté le dispositif expérimental mis en place sur pêchers. « L’utilisation de dendromètres n’est pas nouvelle. Dès les années 1980, les chercheurs de l’Inrae ont identifié le potentiel de cette technologie pour détecter le stress de l’arbre et piloter l’irrigation à partir de ses besoins réels », commente-t-il. Le coût de ces équipements, au regard des économies à réaliser sur le coût de l’eau, n’ont jusqu’à présent pas incité à leur développement. Aujourd’hui, les enjeux sont différents : il s’agit désormais pour les producteurs de conduire leurs vergers dans un contexte de ressource en eau réduite, en s’assurant qu’il n’y ait pas d’incidence sur la croissance des arbres.

Réduire de 30 % les apports 

L’outil utilisé dans le cadre du projet Denver est le Pepipiaf. Ce capteur mesure en temps réel les micro-variations de diamètre des branches et permet de calculer l’amplitude maximale de contraction journalière liée à l’état hydrique de l’arbre. Il permet également de mesurer la croissance journalière et donc la capacité de l’arbre à réaliser la photosynthèse. « À partir de ces indicateurs, nous pouvons détecter si l’arbre est en stress ou pas », poursuit l’ingénieur. En 2021, il a testé deux modalités sur le verger expérimental de la Sefra à Étoile-sur-Rhône. « Nous avons choisi de travailler sur une variété précoce (Pamela cov). En pêcher, nous savons que les restrictions d’eau sont possibles, surtout en post-récolte. Cela nous permet donc une période d’expérimentation assez longue. Le nord de la parcelle a été conduit avec une irrigation normale et le sud avec une irrigation réduite (grâce à des électrovannes, ndlr) en se servant des données du Pepipiaf », explique-t-il. Les pluies récurrentes en 2021 ont cependant évité les conditions de stress hydrique. Baptiste Labeyrie annonce tout de même avoir réduit de 17 % les apports d’eau sur la modalité sud. « L’objectif pour les prochaines saisons est de réduire de 30 % au minimum ces apports, sans affecter la croissance de l’arbre », précise-t-il. 

Jusqu’où aller en termes de restriction ? 

Pour l’instant, la dendrométrie est très peu utilisée par les arboriculteurs pour le pilotage de l’irrigation, notamment à cause de son coût (un capteur coûte presque 1 000 euros et il faut en prévoir plusieurs à l’échelle de l’exploitation). « On manque également de références objectives sur les données issues des dendromètres pour construire une stratégie de pilotage. L’idéal serait aussi d’avoir un outil pour déclencher à distance l’irrigation en fonction des données recueillies. Mais nous n’en sommes pas encore là », reconnaît l’ingénieur de recherche. C’est donc tout l’enjeu du programme Denver. « Aujourd’hui, les producteurs pilotent les apports d’eau en fonction des données sur l’ETP fournies par les organismes techniques. À la Sefra, nous travaillons également sur le pilotage de l’irrigation à partir des tensiomètres. Ces méthodes permettent de garder les arbres en confort mais jusqu’à présent on ne regarde pas ce qui se passe au niveau de l’arbre et jusqu’où il est possible d’aller en termes de restriction d’eau », souligne Baptiste Labeyrie. Dans un contexte où les mesures de restriction pourraient être de plus en plus drastiques, un pilotage plus fin, capable d’identifier s’il y a un risque d’affecter à terme le potentiel de production du verger, est essentiel. L’ingénieur précise également que la dendrométrie pourrait être utilisée pour estimer le niveau de stress des arbres après un épisode de gel et donc les risques de mortalité. Autant d’effets du changement climatique que les arboriculteurs devront prendre en compte dans la conduite de leurs vergers. 

Sophie Sabot

1. Pepit : Pôle d’expérimentation partenariale pour l’innovation et le transfert, piloté par la Chambre régionale d’agriculture et la Région avec les membres du partenariat Recherche Innovation Développement. La Région soutient financièrement les projets.

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Baptiste Labeyrie, ingénieur de recherche au CTIFL, pilote le projet Denver sur l’utilisation de la dendrométrie en verger. ©AD26