FILIÈRE LAITIÈRE
« On se prépare à des jours difficiles »

P. Olivieri
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FILIÈRE LAITIÈRE / Les signaux des marchés laitiers internationaux ne portent guère à l’optimisme pour les prochains mois. Décryptage de la situation française et européenne avec l’Idele.

Hormis la France, aucun pays européen n’a, pour l’heure, appelé à une limitation de la production.
Hormis la France, aucun pays européen n’a, pour l’heure, appelé à une limitation de la production.

Dans un webinaire (exposé interactif sur le net) de l’Institut de l’élevage (Idele), Gérard You, chef du service économie des filières, n’a pas masqué des prévisions plutôt pessimistes pour la filière laitière dans les semaines et mois à venir, avec des facteurs de déséquilibre du marché qui devraient s’intensifier. S’agissant de la collecte avant la pandémie, les livraisons françaises de lait étaient dans la moyenne des cinq dernières années, légèrement au-dessus (+ 1,2 %) au premier trimestre 2020. Une productivité avec un cheptel plutôt réduit (- 1,5 % de vaches laitières au 1er février 2020 par rapport à février 2019), mais portée par un prix du lait incitatif, notamment. Le confinement et l’importante perturbation des circuits de commercialisation ont conduit, depuis le 17 mars, l’interprofession laitière à lancer des incitations à une réduction de la production avec l’objectif d’essayer de lisser le pic printanier.

Pas de freinage de la collecte dans l’UE

Des appels à la modération diversement affirmés par les opérateurs. « Les grands groupes laitiers et PME ont envoyé des signaux plutôt faibles, d’autres ont activé des incitations à la baisse par le prix, d’autres, notamment dans les zones de montagne où les AOP fromagères sont très présentes, ont adressé des signaux forts, voire très forts, avec des ODG (organismes de défense et gestion des AOP) qui ont acté des baisses importantes de fabrication », décrit l’expert. Si début avril, l’Idele note un ralentissement de la collecte, « c’est plus la situation climatique qui a joué suite à un mois de mars doux mais sec, des nuits plutôt fraîches, un vent du Nord, qui ont freiné la pousse de l’herbe et donc la production laitière », analyse Gérard You. Le retour de la pluie devrait changer la donne avec des conditions fourragères propices. « C’est maintenant qu’on va pouvoir mesurer l’effet de l’incitation à la modération de la production », indique-t-il. En Europe, la collecte a été dynamique cet hiver. « On va probablement vers une croissance moins rapide mais une croissance quand même avec des volumes supplémentaires alors que la consommation va marquer le pas et l’export aussi », analyse Gérard You. Pour l’heure, la consommation est restée dynamique dans l’Hexagone, les estimations du paneliste IRI font état d’une hausse des ventes de 20 % des produits laitiers sur les cinq premières semaines du confinement. « Globalement, les achats des ménages compensent en volumes1 ce qui n’a pas été consommé en restauration hors foyer », précise l’économiste. L’industrie agroalimentaire a elle réduit ses achats sans qu’on mesure cette baisse ; les exportations ont également ralenti (potentiellement de 25 %).

Achats encore dynamiques, mais inquiétudes à l’export

Les premiers temps du confinement, les ventes de produits laitiers stockables se sont envolées (crème, beurre,…) avant de retomber. La consommation de fromage a elle aussi été d’abord importante avant de se stabiliser. Les fromages AOP ont fait les frais de l’arrêt des circuits traditionnels et de ventes à la coupe. Ailleurs en Europe, la consommation des ménages a enregistré des hausses de 16 % (Espagne) à 32 % (Italie) ces six dernières semaines. S’agissant de l’export, pas de données disponibles sur mars et avril, mais l’Idele avait déjà constaté un fléchissement sur les deux mois précédents sauf pour le beurre. Autant de signaux « déjà préoccupants qui vont s’aggraver en mars et avril, redoute Gérard You. On est dans une situation de production nettement excédentaire par rapport aux débouchés solvables, sans signe de freinage de la production, avec des circuits perturbés, des exportations ralenties et des stocks de produits de report… ». Autant de signaux qui devraient susciter une réaction forte et rapide de la Commission européenne. Or si des aides au stockage ont été décidées par Bruxelles, l’enveloppe allouée (30 M€) est jugée très en-deçà des besoins. « Ça va permettre de reporter la mise en marché mais ce n’est pas ça qui va résorber les volumes qui arrivent, tranche le chef de service de l’Idele. Probablement, va-t-on vers le déclenchement de l’intervention avant l’été. »

Réaction molle et tardive de l’UE ?

Quid du second semestre 2020 ? Beaucoup d’interrogations demeurent. Un ajustement tardif de la production européenne est à craindre avec, pour l’heure, aucune incitation à lever le pied hormis en France. Les États-Unis devraient connaître un ralentissement de la production, au contraire maintenue dans l’Océanie « si aucun incident climatique n’intervient ». D’où la question de l’activation de l’article 2019 du règlement européen qui prévoit une aide à la réduction de la production. Un mécanisme qui avait été activé en 2016 mais bien trop tardivement pour porter ses fruits. « La puissance publique pourrait agir pour peu que les pays membres se coordonnent rapidement, pour l’heure, il n’y a pas de signaux en ce sens », déplore l’Idele. n P. Olivieri 1. Mais pas en prix, le prix de l’emmental râpé étant inférieur à celui d’un fromage AOP vendu à la coupe.

1. Mais pas en prix, le prix de l’emmental râpé étant inférieur à celui d’un fromage AOP vendu à la coupe.

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Un collectif pour soutenir les fromages AOP

À l’initiative du Conseil national des appellations d’origine laitière (Cnaol), en partenariat avec la Fédération nationale des producteurs de lait, la Fédération nationale ovine et la Fédération des éleveurs de chèvre, un collectif « Soutenons nos fromages, nos terroirs, nos producteurs » s’est constitué afin de soutenir les 50 appellations d’origine protégée (AOP), les 10 indications géographiques protégées laitières (IGP), ainsi que tous les opérateurs frappés par la crise sanitaire. Ce collectif a pour ambition de se mobiliser et d’appuyer les différentes démarches entreprises pour éviter le gaspillage alimentaire, favoriser les achats solidaires et toutes les solutions favorisant l’écoulement des stocks.

Prix du lait

Selon l’Idele, le prix du lait qui était stable en début d’année va connaître un tassement ce printemps et s’élever à environ 330 €/t, soit le niveau du printemps 2018 et 2019. Sur le marché des produits industriels, le cours de la poudre maigre, après s’être effondré, s’est stabilisé à + 210 €/t au-dessus du seuil d’intervention, « mais la dégringolade est-elle stoppée ? » s’interroge Gérard You. Les cours du beurre ont perdu 900 €/t en six semaines, « mais depuis 15 jours on note un rebond de 60 €, soit une cotation au marché spot de 440 €/t ».