LOI EGALIM
Patrick Bénézit : « La prise en compte du coût de production reste la priorité »

Alors que les négociations commerciales entre les transformateurs et la distribution sont closes depuis un peu plus d’un mois, le point avec Patrick Bénézit, le secrétaire général adjoint de la FNSEA.

Patrick Bénézit : « La prise en compte du coût de production reste la priorité »
Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. ©Actuagri

Quel premier bilan peut-on tirer des négociations commerciales qui viennent de se terminer ?

Patrick Bénézit : « Le problème de ces négociations commerciales, c’est que les agriculteurs en sont, en quelque sorte, exclus, puisqu’elles se déroulent avant tout entre les transformateurs et les distributeurs. Vu de notre chapelle, nous les regardons comme une guerre de parts de marché sur fond de baisse des prix. Une chose est cependant certaine, malgré notre position inconfortable, la pression syndicale a permis que les demandes de déflation soient limitées, quelques-unes annulées et parfois que l’on obtienne des hausses de prix qui tiennent compte, même si cela reste rare, de l’augmentation des prix de base, comme ceux de l’alimentation animale. Ces négociations ne concernent toutefois pas les marques de distributeurs (MDD) et plusieurs catégories de produits bruts non transformés. Remettons aussi ces négociations commerciales en perspective avec le coup d’arrêt à la guerre des prix grâce à l’encadrement des promotions et à l’augmentation du seuil de revente à perte (SRP), dont nous avons obtenu la prolongation en fin d’année dernière. Je rappelle que les États généraux de l’alimentation (EGA) ont permis de freiner cette guerre des prix. La meilleure preuve est qu’ils ont entraîné une hausse de 2 % sur les prix payés par le consommateur. Ce qui a généré une valeur globale de quatre milliards d’euros (Md€). Or selon toute vraisemblance, une immense partie de ces 4 Md€ est restée dans les caisses de la grande distribution. Une petite partie a sans doute été redistribuée auprès des transformateurs. Rares sont les agriculteurs à avoir pu bénéficier de cette redistribution. »

Le rapport Papin est désormais sur la table du ministre de l’Agriculture. Quelle est l’approche de la FNSEA sur ce rapport ?

P.B : « Le rapport Papin comporte des propositions intéressantes qui vont dans le sens de celles que nous portons. La vraie réforme portée par Serge Papin est la non-négociabilité de la matière première agricole dans le prix discuté entre industriel et distributeur, assortie de contrats pluriannuels. Cette proposition aurait vocation à sortir du jeu de dupes des négociations commerciales concernant la part qui revient aux agriculteurs. Cela pose tout de même des questions de compatibilité juridique et aussi de conséquences sur nos entreprises de transformation. En se penchant bien sur ce rapport qui, je le rappelle, a été demandé par le ministre de l’Agriculture, et en faisant une analyse approfondie, il faut se rendre à une évidence : le résultat de la loi Egalim ne répond pas encore suffisamment aux attentes légitimes des agriculteurs. Tous les observateurs établissent le même constat. Il faut renforcer le cadre réglementaire pour atteindre rapidement les objectifs de la loi Egalim. Certes, l’idée de base de cette loi va dans le bon sens. Mais elle a été contournée, court-circuitée par les distributeurs qui captent toujours plus de valeur ajoutée et qui ne la redistribuent pas en amont, c’est-à-dire aux agriculteurs. C’est pourquoi, il faut renforcer les dispositions législatives et réglementaires afin que la fixation du prix en marche avant soit une réalité. C’est pourquoi, il faut démarrer la construction du prix à partir des indicateurs de coût de production qui existent et qui doivent être produits par les interprofessions ou par les services de l’État. C’est la condition sine qua non pour bâtir le prix en marche avant. »

Et l’autre étape ?

P.B : « La deuxième étape, c’est d’utiliser ces indicateurs dans le cadre des contrats entre d’un côté les agriculteurs et de l’autre le premier acheteur. Ainsi, on construit le prix qui doit revenir aux agriculteurs, avec une réelle prise en compte du coût de production. Une fois ce prix ancré, il est naturellement répercuté jusqu’en aval, c’est-à-dire au distributeur et au consommateur. Rappelons que l’on parle ici que de quelques centimes pour les consommateurs. Regardez les producteurs d’œufs de l’Ouest. Ils ont manifesté début avril pour réclamer une augmentation d’un centime par œuf. Et nous éleveurs de bovins, nous sommes dans une situation identique : nous nous battons aussi pour quelques dizaines de centimes voire quelques centimes supplémentaires sur un kilo de viande ou par litre de lait. C’en est presque indécent que de telles demandes ne soient pas entendues. »

Que manque-t-il dans ce rapport et cette loi Egalim ? Quelles corrections y apporter ?

P.B : « Un autre sujet important est celui des litiges contractuels : la médiation telle qu’elle est exercée aujourd’hui ne fonctionne pas suffisamment. Il faut prévoir une issue aux conflits qui demeurent après la médiation. Le rapport Papin va dans ce sens en proposant de renforcer la médiation. Tout le monde doit être d’accord sur la mise en place d’un arbitrage public avec des sanctions clairement identifiées. C’est une demande que nous formulons depuis plus de deux ans et je pense qu’elle convient parfaitement à la situation que nous vivons aujourd’hui. »

Pensez-vous que l’État parvient à bien appliquer l’actuelle loi Egalim ?

P.B : « Il faut que l’État, par la multiplication des contrôles de la DGCCRF, fasse respecter la loi. Car toujours plus de déflation aboutit à ce que le consommateur achète toujours moins cher. Or, il ne consacre que 13 % de son budget global à l’alimentation. En bout de chaîne, il ne revient quasiment rien dans la poche des agriculteurs. C’est pourquoi, la prise en compte du coût de production reste la priorité sur laquelle l’État doit être intransigeant. Par ailleurs, à la FNSEA, nous nous étonnons de l’attitude de l’Autorité de la concurrence. Il y a quand même deux poids deux mesures : elle autorise les regroupements ou les fusions de grands groupes de distribution et de leurs centrales d’achat, mais elle est en revanche très sévère vis-à-vis des producteurs sur d’éventuelles ententes ou système d’organisation qui nous permettrait de peser. »

En termes de calendrier, les prochaines négociations vont commencer au mois d’octobre prochain. Il reste moins de six mois. Quelles sont vos attentes ?

P.B : « De Serge Papin au ministre de l’Agriculture, des agriculteurs au chef de l’État, chacun constate que la Loi Egalim n’a pas apporté les résultats escomptés en matière de revenu agricole, que les négociations commerciales ressemblent toujours à une foire d’empoigne dont nous sommes tributaires. Il devient par conséquent urgent de renforcer la loi Egalim, avant la fin de l’actuelle session parlementaire, sur la base des propositions formulées depuis plus de deux ans par la FNSEA. Ensuite, ce ne sera plus possible en raison de la rentrée qui sonnera le départ de l’élection présidentielle de 2022 mais aussi des prochaines négociations commerciales. Il y a vraiment urgence, surtout quand on sait que le tiers des exploitants gagne moins de 350 euros par mois. L’alimentation que paie le consommateur doit revenir jusqu’au producteur, et ne pas s’arrêter au niveau des grandes surfaces ! Le président de la République a pris l’engagement que la question du coût de production aboutirait à la fin de son quinquennat. Si l’objectif devait ne pas être atteint, ce serait un échec. »

 Propos recueillis Christophe Soulard