PÂTURAGE
Et si l’on réhabilitait le mûrier ?

Avec la fermeture des filatures, les mûriers ont été peu à peu abandonnés. Pourtant, cet arbre comporte de très nombreux atouts au pâturage, et bien au-delà. 

Et si l’on réhabilitait le mûrier ?
Les valeurs nutritionnelles des feuilles de mûrier sont très intéressantes pour les chèvres: 17 % de MAT et 83 % de digestibilité.

Ce n’est pas un hasard si on l’a surnommé « l’arbre d’or ». Le mûrier a fait la richesse des Cévennes et a pendant longtemps fait partie du paysage et du quotidien des Ardéchois. Aristote disait même qu’il était « l’arbre le plus généreux qu’on connaisse », et pour cause : dans le mûrier, tout est valorisable ! Les racines donnent une belle teinture végétale jaune nuancée, et peuvent être utilisée en tisane pour ses vertus digestives. Les feuilles sont un excellent aliment pour les animaux. Le bois des branches était autrefois utilisé par les boulangers pour la chauffe rapide du four à pain, et le bois du tronc servait à la construction des bateaux et des tonneaux. L’écorce, très filandreuse, servait à la confection du papier de soie. Quant aux mûres blanches, elles sont aujourd’hui vendues à prix d’or, séchées, en magasins bio.

D’excellentes valeurs fourragères

L’Institut de l’élevage (Idele), en lien avec Cap’Pradel, participe à plusieurs études sur le mûrier blanc à la ferme du Pradel. D’emblée, s’impose un constat : le mûrier offre une ressource fourragère tout l’été et au-delà, très intéressante en période de sécheresse quand le fourrage manque.

Les apports nutritionnels des feuilles de mûrier sont très intéressantes : 17 % de MAT et 83 % de digestibilité. « Ses valeurs nutritives sont similaires à celles de la luzerne », estime Lixiane Keller de Schleitheim, ancienne séricicultrice à Saint-Vincent-de-Barrès. « Ce n’est pas pour rien qu’autrefois, les paysans faisaient des fagots de feuilles de mûrier à l’automne pour pouvoir nourrir le troupeau durant l’hiver ! » En 1986 déjà, celle-ci avait participé à une étude sur différentes variétés de mûrier en lien avec L’Inra d’Avignon et la ferme du Pradel.

Source de diversification, la culture du mûrier permet donc de limiter les achats extérieurs de fourrage et de renforcer l’autonomie alimentaire. Et, contrairement à la plupart des espèces de prairie, le potentiel fourrager des feuilles de mûrier se maintient durant l’été et jusqu’à l’automne. Outre le pâturage, il est aussi possible d’ensiler les feuilles de mûrier.

Un atout en période sèche et chaude

Ses racines lui permettent d’aller chercher l’eau en profondeur. D’où sa résilience en période de sécheresse ! Le mûrier apporte aussi de l’ombre aux animaux. « Il sait attendre les dernières gelées de printemps pour faire éclater ses bourgeons » disait le philosophe Pline. Les arbres permettent également de stocker du CO2 et d’attirer des auxiliaires comme la chouette chevêche, et toute une biodiversité animale.

Des variétés productives jusqu’à l’hiver

À côté des variétés traditionnelles cévenoles, certaines variétés hybrides semblent montrer un grand intérêt. Lixiane avait opté pour la variété japonaise « kokuso », très productive. « Au Japon, le qui peut se conduire comme de la vigne (3000 pieds/ha). On le taille de telle façon que les branches restent accessibles du sol et facilite la cueillette. L’autre intérêt est le renouvellement rapide des feuilles après ramassage, rallongeant ainsi considérablement la saison séricicole ; celle-ci n’était possible autrefois qu’au printemps ; avec Kokuso, elle se prolonge jusqu’à l’automne. » Quelle que soit la variété, une taille régulière du mûrier lui permet de rester productif.

Mylène Coste

HISTOIRE

Ardèche, terre de soie

Olivier de Serres parlait en son temps du « trésor de soie », et a incité le roi Henri IV à planter 20 000 pieds de mûriers au Jardin des Tuileries ! 400 ans plus tard, le mûrier blanc reste un trésor à réexplorer.

En Ardèche, la culture du mûrier est présente dès le 14e siècle. Un document daté du 29 août 1361 fait état de l’achat, par un marchand d’Anduze, de cocons privadois. 1709 marque un tournant : alors qu’un gel ravageur décime châtaigniers et oliviers, on se met à planter du mûrier partout où on le peut ; on parle alors de « mûriomanie » ! Au XIXe siècle, on recense 2 millions de mûriers dans le département, 2,5 millions dans la Drôme ! L’Ardèche, située sur le chemin de la soie entre les Cévennes et Lyon, développe alors toutes les étapes de production : la sériciculture, la filature, le moulinage et le tissage. « Dans chaque maison, on rehausse le toit pour installer une magnanerie et produire des cocons, explique Lixiane. Cela permettait de faire rentrer « l’argent frais de l’année », pour payer le mariage d’une fille ou l’achat d’un matériel. »

Avec plus de 400 moulinages, l’Ardèche est à la fin du XIXe siècle le 4e département industriel de France ! Mais la production française commence petit à petit à diminuer, notamment du fait de maladies, notamment la pébrine. L’ouverture du canal de Suez contribue également au déclin de la production. Et l’arrivée sur le marché des fibres de synthèse au début du 20ème siècle sonne le glas de la filière. Après la guerre de 1914-1918, on produit 3 000 à 4 000 t de cocons. En 1945, on n’en produit plus que 500 t. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la fabrication des parachutes redynamise brièvement la production de soie. Le ministère de l’Agriculture de l’époque fait déjà dans le Made In France, et demande aux agriculteurs de produire des cocons : « Des parachutes français tissés avec de la soie française » peut-on lire sur les affiches de propagande. Malgré cela, la production continua à baisser pour ne devenir qu'anecdotique. C'était sans compter sur la détermination de Cévenoles passionnés qui ont réhabilité le mûrier dans les années 1970. « Ainsi soie -t-il ! »     

Bien taillé et entretenu, le mûrier blanc revêt un feuillage dense et bien vert très nutritif. A contrario, un mûrier abandonné (au centre) résiste mal à la sécheresse et jaunit.