HÉLICICULTURE
Manquera-t-on d’escargots pour Noël ?

Les producteurs d’escargots font peu parler d’eux, et pourtant ! La filière souffre du réchauffement climatique et de l’inflation. Rencontre avec des héliciculteurs ardéchois.

Manquera-t-on d’escargots pour Noël ?
Spécialité phare de la cuisine française, le beurre d'escargot persillé est un incontournable des fêtes. C’est Marc-Antoine Carême, le célèbre cuisinier d’origine bourguignonne, qui en rendit célèbre la recette, lors d’un dîner donné en 1814 en l’honneur du tsar de Russie.

C’est l’emblème de la gastronomie française… Premiers consommateurs au monde, les Français avaleraient 25 000 à 35 000 t d’escargots chaque année. Pourtant, plus de 90 % sont importés, depuis l’Europe centrale et les pays de l’Est notamment. La France compte quelques 400 producteurs, insuffisants pour approvisionner tout le marché national. Cette année particulièrement, la production est en berne. L’escargot pourrait ainsi se faire rare sur les tables du réveillon…

Sécheresse : les escargots aussi, en bavent !

Installés à Saint-Remèze depuis 11 ans au sein des « Escargots des Restanques », Cyrille et Valérie Delabre déplorent une année noire. « On a essayé de faire en sorte d’éviter les mises au parc lors des grosses chaleurs, explique cette dernière. Mais même après la mi-août, les températures sont restées très élevées y compris la nuit. Cela a engendré de grosses mortalités, notamment sur les plus jeunes. C’est la période de développement de l’appareil génital des naissains, ils sont donc très fragiles. » Résultat : la ferme a perdu « près de 60 % » de sa production.

Héliciculteur à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux, Marc Lafosse dresse le même constat : « Avec le changement climatique, il est plus difficile de produire aujourd’hui qu’il y a 10 ans. J’essaie de m’adapter : depuis 3 ans, j’ai installé des filets d’ombrage sur les parcs. Malgré tout, j’ai eu des mortalités. On observe aussi une sensibilité accrue à certaines maladies, comme la bactériose. »

Installé à Saint-Félicien où il élève 80 000 escargots, Mike Vergnes souligne : « Aujourd’hui, on ne peut plus produire en continu de mai à octobre comme on le faisait auparavant ; on est obligé de renoncer à un mois de croissance durant l’été pour éviter les fortes chaleurs. »

Dans le Nord de la Drôme, à Albon, Patrice Lambert enregistre plus de 30 % de pertes. « On a pourtant mis en place des semis de ray-grass où les escargots peuvent se réfugier pour trouver un peu plus de fraîcheur et d’humidité. Mais ça n’a pas suffi. » 

Valérie et Cyrille Delabre sont héliciculteurs à Saint-Remèze. Crédit photo: OT Gorges de l'Ardèche Pont d'Arc.
Valérie et Cyrille Delabre sont héliciculteurs à Saint-Remèze. Crédit photo: OT Gorges de l'Ardèche Pont d'Arc.

Des coûts de production qui flambent

Les héliciculteurs subissent aussi les hausses de prix, en particulier sur les emballages (conserves métalliques, verres…), mais également sur le beurre, « dont le coût a plus que doublé en un an », déplore Marc Lafosse. Pour Patrice Lambert, le modèle des héliciculteurs transformateurs est menacé : « Cela fait 33 ans que je suis installé et je n’avais jamais connu de temps aussi difficiles. J’ai dû renoncer à des salons comme le marché de Noël de Lyon que je n’ai jamais raté depuis 25 ans. »

Une filière encore peu structurée

Malgré ces difficultés, l’héliciculture a peu d’aides. « Comme nous avons de très petites surfaces, nous ne touchons rien de la Pac », souligne Valérie Delabre. Marc Lafosse enchaine : « Notre filière manque de structuration  et de références techniques, ce qui nous oblige à beaucoup tâtonner… On n’a pas non plus d’outils spécifiques adaptés à notre production, rien n’est mécanisé. ». Depuis quelques semaines toutefois, un regroupement des héliciculteurs français est initié.  

Mylène Coste

Pénurie : pourquoi le conflit ukrainien n’arrange rien…

Pénurie : pourquoi le conflit ukrainien n’arrange rien…

Derrière la Pologne, l’Ukraine était devenue depuis quelques années l'un des principaux fournisseurs d'escargots. En 2020, le pays totalisait plus de 400 fermes qui en produisaient jusqu’à 1000 t, dont la quasi-totalité était exportée vers l’Union européenne. Mais la crise sanitaire, et plus récemment le conflit avec la Russie, ont contraint nombre d’héliciculteurs à abandonner leur activité. Depuis la guerre en Ukraine, les escargotiers européens s’approvisionnent désormais en Roumanie, en  Lituanie, en  Pologne et en Hongrie. Mais ces pays ont eux aussi pâti de la sécheresse et ont du mal à absorber toute la demande. 

Sécheresse : les pertes d’escargots bientôt reconnues en calamités ?

Dans le cadre de sa tournée départementale pour évaluer les pertes causées par la sécheresse, le comité départemental d’expertise des calamités agricoles a visité la Ferme des Restanques, à Saint-Remèze. Fabien Clavé, chef du service Agricole à la DDT, indique : « Nous avons constaté des pertes de l’ordre de 50% et nous avons demandé la reconnaissance dans le dispositif des calamités. Le comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) devrait se prononcer soit courant décembre soit le 18 janvier. Il précise : Le taux de perte n'est qu'indicatif et les indemnisations se feront au prorata des pertes constatées sur chacune des exploitations en fonction de leur moyenne olympique. » Affaire à suivre…

 

« La reproduction est fortement perturbée par le climat » 

ENTRETIEN / Mike Vergnes, héliciculteur à Saint-Félicien et membre du groupe national de prévention de la mortalité chez les escargots.

Quelles sont les recommandations pour faire face aux fortes chaleurs ? 

Mike Vergnes : « Nous avons observé qu’en période de forte chaleur, la densité de population a beaucoup d’impact : à partir de 200 escargots / m2, le risque s’élève, à moins qu’on ait de l’ombrage. Plus il y a d’escargots, plus les problèmes sanitaires sont importants et les mortalités élevées. Il peut y avoir un lien avec les excréments. On préconise également d’éviter d’arroser car l’humidité encourage les escargots à se mettre en mouvement et à aller manger, plutôt que de rester immobiles et d’économiser de l’énergie. Le combo chaleur et humidité est aussi une bombe à pathogènes et à maladies. »

Et concernant la reproduction ?

M.V. : « C’est peut-être sur la reproduction que l’impact du changement climatique est le plus inquiétant. Normalement, les escargots se reproduisent au printemps avec les orages. Les pics de ponte arrivent généralement 48 heures avant les grosses pluies ! Or, avec les printemps de plus en plus secs qu’on connait depuis plusieurs années, la reproduction est fortement contrariée. Même en maîtrisant les températures et l’hygrométrie en bâtiment, on ne parvient pas à recréer la baisse de la pression atmosphérique qui engendre ces pics de ponte. Aujourd’hui, beaucoup de reproducteurs baissent les bras. Les producteurs ont donc recours à des reproducteurs à l’étranger, dans l’Est de l’Europe notamment. Mais là-bas aussi, le climat pose des problèmes ! »

Propos recueillis par M.C.