CAPRIN
2019 : « L’année du lait cru »

Anaïs Lévêque
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CAPRIN / Le 10 septembre à La Voulte-sur-Rhône, l’assemblée générale du syndicat du Picodon AOP a mis en évidence la bonne valorisation de l’appellation et la « nécessité d’une répartition juste et différentielle des prix ». Elle a permis aussi de retracer les actions conduites pour défendre et promouvoir la consommation de fromages au lait cru.

2019 : « L’année du lait cru »
Initialement prévue en mars dernier, l’assemblée générale du syndicat du Picodon AOP s’est finalement tenue le 10 septembre à La Voulte-sur-Rhône.
Article
Karine Mourier-Duvignaud, présidente du syndicat.

« Cette année, nous n’avons pas eu la chance de nous réunir mais les consommateurs ont trouvé nos produits », a souligné la présidente du syndicat du Picodon AOP, Karine Mourier-Duvignaud. Initialement prévue en mars dernier, l’assemblée générale du syndicat s’est finalement tenue le 10 septembre à La Voulte-sur-Rhône. « La crise du Covid-19 a cassé notre élan et engendré une baisse de production. Les tonnages risquent d’être limités pour 2020. »

L’année 2019, quant à elle, aura été « l’année du lait cru », a rappelé Karine Mourier-Duvignaud, à la suite des recommandations données par la Direction générale de l’Alimentation aux cantines scolaires et établissements de restauration collectives visant à éviter la consommation de fromages au lait cru par les enfants âgés de moins de 5 ans.

Maîtriser le risque

Dans ce contexte, le syndicat a conduit différentes actions pour mieux gérer les bactéries Escherichia coli productrices de shigatoxines (dites Stec), pouvant être hautement pathogènes. Fonctionnel dès 2021, l’outil CalMaster permettra notamment de connaître le comportement des souches pathogènes, de la traite à la consommation des fromages, afin de mieux maîtriser le risque. Il servira aussi de base à la mise en place d’un plan d’autocontrôle plus large, comme pour la Listeria et la Salmonelle.

À grand renfort de « communication positive » sur le fromage au lait cru, des éléments de langage ont été apportées aux adhérents pour délivrer des messages positifs aux consommateurs. « Il semble aussi capital d’harmoniser les pratiques d’étiquetage pour informer le consommateur des spécificités de nos produits, relayer les recommandations officielles, tout en restant pragmatique et ne pas stigmatiser les produits », estime la présidente. « L’idée est de susciter un questionnement, une image positive et de réunir tous les fromages autour d’un même logo », agrémenté de la mention « lait cru » de manière lisible.

Les alertes sanitaires sur des fromages au lait cru survenues en 2018, tant en Ardèche qu’au niveau national, ont amorcées des mesures préventives afin de mieux accompagner les producteurs en cas de crise sanitaire : mise en place d’audit pour améliorer les conditions de production en amont, création d’une procédure « alertes », d’un fonds pour accompagner financièrement les producteurs, réflexion sur les modalités d’assurance…

Enfin, le retrait des Stec de type AEEC parmi la liste des bactéries hautement pathogènes a été un vrai soulagement pour les producteurs de Picodon. « Ces souches AEEC représentaient jusqu’à 30 % des destructions », a indiqué Karine Mourier-Duvignaud.

Évolution des plans de contrôle et patrimoine

À la demande de l’Inao1, la fréquence des contrôles externes sera renforcée, passant de 2 % à 5 % actuellement à 10 à 15 %, les niveaux de gravité pour non-conformité étant amenés à disparaître. « Cela risque de peser lourd dans nos budgets. Les contrôles externes sont les seuls à être reconnus au niveau européen mais les contraintes, tant financières et en temps pour le syndicat, deviennent lourdes pour être assumées. » Des dispositions spécifiques devront aussi être mises en place au cahier des charges de l’AOP, a prévenu le conseil d’administration.

Mobilisé depuis 4 ans dans une souchothèque, le syndicat a signé une convention de conservation de 10 souches et 57 consortia avec Actalia en fin d’année 2019. « Il n’y a pas de réel besoin de développer commercialement nos souches, la filière n’est pas demandeuse, mais les Picodoniers sont très intéressés à conserver leur patrimoine ! », annonce Karine Mourier-Duvignaud.

« Faire la différence entre le "tout comme" et LE Picodon » 

Cette assemblée générale était l’occasion de confirmer la « bonne valorisation du Picodon » mais aussi de rappeler la « nécessité d’une répartition juste et différentielle des prix ». L’usurpation du nom et de l’identité du Picodon est un souci majeur rencontré par le syndicat. « Le premier levier de la viabilité de nos métiers, c’est la valorisation de nos produits par des signes de qualité. La question d’un cahier des charges renforcé et exemplaire est essentielle mais il faut aussi éduquer le consommateur sur le label AOP Picodon, lui apprendre à faire la différence entre le « tout comme » et LE Picodon. Nous avons encore beaucoup de fromages de chèvre qui profitent de l’image du Picodon sans rejoindre le syndicat et payer de cotisations… », a ajouté la présidente.

En ce sens, les initiatives se multiplient pour inciter des producteurs caprins à rejoindre le syndicat et se faire mieux connaître auprès des consommateurs. En 2019, l’AOP Picodon s’est illustrée à travers de multiples évènements et animations : Fête des AOP, Salon de l’agriculture, concours de Montfleury, Salon Fou d’Ardèche, Fête du picodon, Tech & Bio, Fête de la Gastronomie à Valence… Des campagnes de promotion spécifiques ont aussi été réalisées : diffusion de nouveaux dépliants, sacs et tabliers avec logo, de Webdocs, films et recette sur la chaîne YouTube du syndicat, mise à jour du site Internet, création d’une carte localisant les producteurs à destination des Offices de Tourisme et opérateurs…

Anaïs Lévêque

1. Institut national de l'origine et de la qualité.

Comment attirer plus ?
Nicolas Revol est venu témoigner des conditions de son installation sur l’exploitation familiale La Ferme de Vidal à Boffres.

Comment attirer plus ?

PERSPECTIVE / Le renouvellement des générations et les installations en AOP Picodon sont des enjeux majeurs pour l’avenir de l’appellation. 

En Ardèche et dans la Drôme, le Picodon n’échappe pas à l’érosion du nombre des exploitations, ce qui alarme les producteurs quant à la pérennité de l’AOP. En 2009, le syndicat rassemblait 271 opérateurs, pour 522 tonnes de production. Dix ans plus tard, ils n’étaient que 167, pour un peu plus de 12 tonnes supplémentaires. D’autres observations suscitent de vives inquiétudes pour le syndicat : « Être paysan devient un nouveau mode de vieNous observons dans les installations et auprès des porteurs de projet des volontés d’autonomie, des projets de vie tournés davantage vers le sens qu’ils veulent donner à leur vie que vers des projets professionnels, ce qui ne colle pas avec le fait de rejoindre une AOP », évalue la présidente Karine Mourier-Duvignaud.

Prévenir de la difficulté des métiers avant l’installation

Tout n’est pas morose pour autant. « Il y a du renouvellement aussi ! », rassure-t-elle. Nicolas Revol, installé depuis le 1er juin dernier à la Ferme de Vidal à Boffres, était venu en témoigner. Licencié de géologie et ancien technicien dans un bureau d’études, ce jeune éleveur caprin vient de rejoindre l’exploitation familiale après avoir pris conscience « des nombreux avantages à être agriculteur ». « En m’installant en cadre familial, il y a forcément un héritage et mes parents me laisse une ferme avec une base solide (matériel, clientèle, etc) mais j’avais aussi besoin d’améliorer les conditions et les outils de travail, la valorisation des produits, tout en maintenant la qualité des Picodons pour que cette installation me corresponde », a expliqué Nicolas Revol. « Il est important de partager la difficulté de nos métiers et l’implication qu’ils représentent dès la période de formation et avant l’installation. Cela permet d’avoir le temps de trouver des solutions, mieux préparer son projet, mais surtout d’améliorer l’image des métiers agricoles et attirer plus. »

Promouvoir et encourager

Cultiver une bonne image du métier et des appellations est primordial pour favoriser la création et la reprise d’exploitations existantes, estime également Daniel Vignon, président du syndicat du Bleu du Vercors-Sassenage (AOP) qui était invité à l’assemblée. Sur ce territoire, la création de la fédération « Graines d’éleveurs » a permis d’encourager les enfants âgés de 6 à 19 ans qui sont passionnés par l’agriculture en les impliquant dans la promotion de la race Villarde et de l’appellation. Ils suivent les éleveurs sur de nombreux évènements, jusqu’au Salon de l’agriculture cette année. « L’idée est qu’ils aient une reconnaissance du monde agricole et un sentiment de fierté à représenter la filière et leur territoire », explique Daniel Vignon. « Pour maintenir nos volumes, nous avons aussi besoin d’impliquer les producteurs qui sont sur notre zone mais livrent à l’extérieur », souligne-t-il. Du côté des élus et des collectivités, « tout le monde joue le jeu, c’est très important pour qu’une AOP puisse vivre et se développer ». Le syndicat a aussi réalisé des micro-films diffusés sur les réseaux sociaux. Ils mettent en lumière les caractéristiques et les atouts des exploitations bovin lait qui ne trouvent pas de repreneurs. Et l’opération a porté ses fruits !

A.L.