FILIÈRE LAINE
Un partenariat « qualitatif et vertueux » avec les éleveurs

Anaïs Lévêque
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FILIÈRE LAINE / La Scop Ardelaine s’approvisionne auprès de 154 éleveurs ardéchois et 6 lozériens pour fabriquer ses produits textiles. En organisant les chantiers de tonte et de collecte, elle entretient un lien de confiance avec les éleveurs ovins.

Un partenariat « qualitatif et vertueux » avec les éleveurs
Toute une série de règles sont mises en place sur les chantiers de tonte et de tri pour valoriser au mieux la laine.
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Françoise Milani, directrice en charge du pôle du développement de la laine.

Installée depuis 1982 à Saint-Pierreville, la coopérative Ardelaine s’est inscrite de manière durable dans le paysage de la filière textile artisanale française, notamment sur la préparation de la laine et la fabrication de matelas, d’habits, feutres de paillage, etc. Sans compter les ressources et le dynamisme qu’elle a cultivé pour son territoire, elle a su valoriser un produit qui frôlait la mauvaise réputation... Et « la valorisation de la laine, c’est aussi celle du travail des éleveurs ! », rappelle Françoise Milani, directrice en charge du pôle du développement de la laine.

24 000 brebis tondues / an

Chaque année, la coopérative ardéchoise organise les chantiers de tonte de 24 000 brebis de race Blanche du Massif Central et Mérinos auprès de 154 éleveurs ardéchois et 6 lozériens, sur une moyenne d’1 kg de laine récolté par brebis. Entre mars et juin, les chantiers sont effectués par quatre tondeurs dont un salarié permanent d’Ardelaine qui coordonne la campagne.

Toute une série de règles sont mises en place sur le travail de tonte et de tri pour valoriser au mieux la laine : « Ne pas pailler la bergerie la veille de la tonte, faire transpirer les animaux en fermant le bâtiment, tondre sur une bâche… Ces pratiques nous permettent de ne pas perdre de longueur de fibre, ce qui fera la qualité du fil et l’élasticité de la frisure, mais aussi de ne pas mélanger et mieux conditionner les différentes qualités de laine », indique Françoise Milani.

Longue, courte, blanche, noire…

« On ne fait pas n’importe quoi avec n’importe quelle laine ! » Sa qualité diffère selon la race, l’effectif, l’âge et l’état sanitaire des troupeaux, les conditions d’élevage, qu’il soit plein air ou non. Sur le chantier de tonte, les toisons sont triées une première fois, réservées à la fabrication de matelas, de vêtements ou autres produits textiles, avant d’être pesées.

La laine des brebis de race Blanche du Massif Central, destinée au garnissage de matelas et couvertures, est triée toison par toison : « Elle est assez homogène en Ardèche, avec une bonne élasticité, car issue d’élevages en plein air et de qualité ». La laine Mérinos, quant à elle dédiée aux vêtements, est triée « sur la table » par toison. La laine courte, issue des agnelles, est réservée à du feutre de paillage.

Toutes les laines sont collectées

Une fois les brebis tondues, les éleveurs sont amenés à garder la laine de leur troupeau jusqu’au moment de la collecte en juin. Quel que soit le type et la qualité des toisons, toutes les laines des éleveurs sont rachetées par la coopérative, lavées, aérées, démêlées puis cardées. Les prix d’achat diffèrent mais « ne suivent pas et ne dépendront jamais du marché », souligne Françoise Milani. La laine Blanche du Massif Central est rachetée en moyenne 1 € HT / kg et la Mérinos 1,30 € HT / kg. La Scop tond encore quelques troupeaux ardéchois de Mérinos mais l’explosion du marché de cette laine ces dernières années a incité plusieurs éleveurs à s’orienter vers d’autres structures qui leur proposent des prix plus élevés.

Les prix d'achat d'Ardelaine varient selon la qualité et le tri de la laine, le mode de paiement choisi par les éleveurs, mais aussi leur engagement sur un « contrat qualité » proposé par la coopérative depuis une quinzaine d’années. Dans ce dernier cas, les éleveurs suivent un cahier des charges qui réclame une moindre utilisation de produits externes et de traitements parasitaires sur leur troupeau, et bénéficient d’une meilleure rémunération. Le paiement par bons d’achat, plutôt que par virement bancaire, permet aussi de mieux valoriser la laine de son troupeau.

Des générations d’éleveurs…

Dans cette optique, la coopérative cultive une relation de partenariat « qualitative et vertueuse » avec les éleveurs ovins. « Nous ne sommes pas seulement prestataires de tonte ou collecteur de laine. Nous travaillons avec des générations d’éleveurs qui se succèdent et nous connaissent bien, avec qui nous avons un lien de confiance. Il n’y a jamais eu d’année où nous avons décidé de ne pas collecter leur laine. Il est important pour nous que ce lien s’inscrive dans la durée, que les éleveurs soient fiers de voir leur laine valorisée sur leur propre territoire », indique Françoise Milani.

Anaïs Lévêque

La laine des brebis de race Blanche du Massif Central est destinée au garnissage de matelas :

La laine des brebis de race Blanche du Massif Central est destinée au garnissage de matelas :
La laine des brebis de race Blanche du Massif Central est destinée au garnissage de matelas. La coopérative en produit en moyenne 800 par an.
« Voir notre laine valorisée localement »
À Saint-Joseph-des-Bancs, les brebis de Mickaël Giraud sont tondues par la coopérative ardéchoise depuis plus de 25 ans.

« Voir notre laine valorisée localement »

ÉLEVAGE / À Saint-Joseph-des-Bancs, les 500 brebis de Mickaël Giraud sont tondues par la coopérative ardéchoise depuis plus de 25 ans.

Les campagnes de collecte d’Ardelaine sont bienvenues chez les éleveurs ovins, qui n’ont bien souvent ni le temps ni le matériel pour tondre eux-mêmes leurs animaux. À Saint-Joseph-des-Bancs, Mickaël Giraud élève près de 500 brebis et travaille avec la coopérative ardéchoise depuis plus de 25 ans.

« La tonte est davantage une obligation et une contrainte pour nous », explique l’éleveur. « D’un point de vue sanitaire, nous sommes obligés de tondre nos brebis chaque année avant l’été car cela permet d’éviter le développement des parasites, mouches, miasmes… Il n’est pas bon de leur laisser trop longtemps leur laine mais tondre est un travail pénible, qui n’est pas facile à faire par soi-même, coûteux en matière de matériel et de personnel, alors que les prix d’achat de la laine sont très bas donc cela ne nous rapporte pas grand-chose. »

Avec la coopérative ardéchoise, les brebis de Mickaël Giraud sont tondues « en une seule journée et toute la laine est récupérée », collectée deux à trois mois plus tard. « Travailler avec eux, c’est aussi voir notre laine valorisée localement et faire travailler une entreprise ardéchoise, ce qui est un plus ! »

A.L.

SAINT-PIERREVILLE / Un territoire dynamique

Depuis 40 ans, Ardelaine se développe doucement mais surement dans le paysage de l’industrie textile qu’elle souhaite « éthique et solidaire ». Professionnelle de l’artisanat avant tout, la coopérative s’est aussi beaucoup engagée pour valoriser les ressources locales, dynamiser son territoire et attirer les visiteurs à Saint-Pierreville. Dès le début des années 1990, un espace muséographique est créé pour mettre en lumière les savoir-faire de la filature, en prenant appui sur ses ateliers de fabrication. Aujourd’hui, de nombreuses animations y sont régulièrement organisées : visites guidées, ateliers, stages… Près de la boutique de produits « pure laine », les visiteurs peuvent même flâner entre les rayons d’une véritable librairie ! Sur l’aspect alimentaire, la coopérative n’est pas en reste. Elle a créé un atelier de transformation ouvert aux producteurs locaux et aujourd’hui géré par la conserverie locale et associative « Le Bateleur », ainsi qu’une épicerie et un restaurant « La Cerise sur l'Agneau » qui s’approvisionne en local également. Le développement de telles activités a permis au fil du temps de faire vivre la commune de Saint-Pierreville, où se maintiennent un point postal, des infrastructures, une vie associative, une crèche communale… Et près de 20 000 visiteurs de la coopérative chaque année !

TRAVAIL / La coopération comme ADN

TRAVAIL / La coopération comme ADN

 « Ce qui nous a permis de développer Ardelaine, c’est notre ADN de coopération et le temps que nous avons pris pour décider tous nos choix », souligne Françoise Milani. L’organisation de travail s’y fait de manière horizontale, « sans hiérarchie ni donneur d’ordres » et se régule par des réunions inter ateliers. Tondeur, cardeur, matelassier, comptable… Une dizaine de métiers y sont représentés et chaque atelier dispose de beaucoup d’autonomie sur la gestion du temps de travail, de la relation client, la formation, etc. « Pour travailler en coopération, il faut du lien et de la coordination, avec des personnes référentes qui mettent en lien les équipes entre elles pour relever ce qui fonctionne ou non et pouvoir agir, afin que toutes les équipes soient actrices des problèmes et des solutions à mettre en œuvre. Cela favorise la responsabilité de chacun. »

Les salariés ont un métier et leurs propres compétences, tout en étant amenés à être polyvalents. En matière de formation, Ardelaine s’inscrit dans une dynamique « apprenante » et forme elle-même ses salariés. « Quand nous recrutons quelqu’un, nous le formons à son métier pendant la première année mais aussi à toutes les étapes de travail réalisées dans son atelier, puis à de la vente, la participation de salons, de visites guidées sur le site… Il est nécessaire de découvrir et de comprendre le fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble. La coopération vient aussi de la compréhension. »