ÉCONOMIE
La consommation locale fait masse

Isabelle Doucet
-

ÉCONOMIE / Le Crédit agricole Sud Rhône-Alpes a fait de l’engouement pour les circuits courts le thème de ses dernières rencontres de l’agriculture. 

La consommation locale fait masse
La marque Ishère garantit l'origine locale des produits, la juste rémunération des producteurs et valorise des pratiques respectueuses de l'environnement.

L’attirance pour les circuits courts a retenu toute l’attention du Crédit agricole Sud Rhône-Alpes, qui en a fait le thème de ses dernières rencontres de l’agriculture – en ligne – qui se sont déroulées en novembre dernier. Experts et acteurs de terrain se sont notamment demandés si la crise sanitaire Covid 19 joue un rôle d’amplificateur dans cette forme de relation commerciale. 

Les récentes enquêtes, menées par Cerfrance, ont montré combien le modèle du circuit court avait été plébiscité par le consommateur ces derniers mois. Si la tendance est avérée, portée par une forte demande sociétale, ainsi que l’explique Florence Doucet, responsable filière fruits et légumes, forêt et énergies renouvelables à Crédit Agricole SA, en revanche, la commercialisation en circuit court ne s’improvise pas. « C’est un projet de vie et d’entreprise », insiste-t-elle. Déjà 107 000 exploitations pratiquent la vente directe en France : vente à la ferme, marchés de plein vent, magasins de producteurs ou associations type Amap ; 50% des Français y font des achats régulièrement et 76% au moins une fois par mois. « Il est essentiel de dépasser la sphère des consommateurs aisés qui ont du temps, reprend Florence Doucet. Et c’est une opportunité de renouer le dialogue entre agriculteur et consommateur. »

Prix locaux

L’écueil, pour toucher une clientèle plus large est souvent la question du prix. Philippe Doire, dirigeant de l’Hyper U de Romans-sur-Isère (26) et du Super U d’Alissas (07) tente de concilier pouvoir d’achat et production locale en proposant six fruits et légumes à prix coûtant, permettant aux producteurs d’écouler leurs stocks. « Nous sommes passés de 120 à 200 partenariats », détaille-t-il encore, ayant ouvert ses rayons « à ceux qui en ont besoin ». Mais surtout, le directeur de GMS estime « qu’il est normal que les prix des produits locaux soient 20 à 25% supérieurs, d’autant qu’ils sont sollicités par la clientèle ».

Chaînon manquant

Face à cette tendance, les filières aval se sont mises en ordre de marche afin de pourvoir les systèmes alimentaires du milieu, c’est-à-dire pouvoir approvisionner GMS, RHF1 et professionnels en produits locaux et en quantité, pour satisfaire au-delà du panier individuel. 

« Nous avons bataillé pour mettre en place des approvisionnements de qualité », témoigne Christophe Guèze, PDG des salaisons Guèze à Vernoux-en-Vivarais (07). L’entreprise propose toutes les gammes de produits, de l’étoilé à la restauration collective. Elle est à l’origine de la réintroduction en France de la race porcine mangalitza. « Lorsqu’on est sur des produits régionaux, il n’y a plus vraiment de question de prix. En revanche, le consommateur est exigeant et il ne faut pas tricher », déclare Christophe Guèze. Il regrette cependant qu’il « manque encore des chaînons pour la transformations », notamment d’abattoirs industriels pour la filière porcine.

La coopérative Valsoleil (26) s’est positionnée à l’interface entre les producteurs et les besoins de l’agroalimentaire pour les marchés locaux. « Il n’est pas possible de répondre aux exigences de la loi Egalim sans une organisation de marché durable », plaide Christophe Pelletier, directeur de la coopérative Valsoleil. Pour avoir « le bon produit, au bon endroit, au bon moment », le dirigeant fait valoir l’expertise de la coopérative, capable à la fois de mutualiser, de faire remonter un revenu dans les exploitations, « de maîtriser les coûts intermédiaires » et d’alimenter ces nouveaux marchés que représentent les circuits courts pour la consommation de masse. La (re) création de filières locales passe par « le recensement des outils existants, l’identification des maillons manquants, la définition de process de production et de cahiers des charges », indique encore le dirigeant de Valsoleil.

Démarche de marque

Les Chambres d’agriculture, souvent avec l’appui des départements, ont bien saisi les enjeux de cette envie de produits locaux, qu’elle concerne le consommateur individuel ou les systèmes alimentaires du milieu. Le défi réside bien dans la (ré) organisation des filières. 

C’est le rôle du pôle agroalimentaire de l’Isère (PAA), qui fédère les Chambres consulaires et les collectivités territoriales, dont la mission est la valorisation des activités agricoles et agroalimentaires de l’Isère en développant des relations commerciales de proximité. L’étendard de la démarche est la marque Ishere. « Il y a peu de productions sous appellation en Isère, explique Jacqueline Rebuffet, secrétaire adjointe à la Chambre d’agriculture de l’Isère et administratrice du PAA. La marque est un outil important de différenciation pour le producteur, afin que le consommateur identifie ce produit. Elle est un repère pour des produits équitables et de qualité. » Le Pôle s’est organisé en force commerciale afin de multiplier les référencements dans la GMS. « Mais le prix des productions agricoles est sujet sensible en Isère, précise l’élue. Il est plus élevé car les conditions de productions sont plus difficiles, en raison du relief notamment, et parce que les exploitations sont de plus petite taille. » Le prix à payer est donc celui qui « garantit une production de qualité, respectueuse des hommes, des animaux et de l’environnement ».

Selon le même principe de plateforme, D’Ardèche & De Saison est « à l’interface entre le producteur et le consommateur », indique Jean-Luc Flaugère, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche et président de cette société coopérative. Initiée par la Chambre d’agriculture, elle est en mesure de proposer « toutes les semaines, entre 400 et 450 références sur trois marchés identifiés : la restauration collective, la restauration traditionnelle et la boutique ». La garantie d’origine, de proximité et de saison est autant de promesses tenues au consommateur. « C’est toujours l’agriculteur qui fixe le prix », insiste le président.

La distribution évolue

« C’est un sujet de fond. Le consommateur est prêt à accorder une part plus importante de son budget à l’alimentation, a conclu Jean-Pierre Royannez, président de la Chambre d’agriculture de la Drôme. C’est nouveau, et il faut s’en saisir. » Pour cela, le monde agricole doit être capable d’évoluer dans ses modes de distribution, « avoir une offre plus globale et fixer un prix juste et acceptable pour tous ». Le président pointe aussi quelques obstacles à dépasser comme le besoin en outils de première transformation, la saisonnalité parfois trop courte, la meilleure connaissance des productions ou le travail sur la qualité pour répondre aux attentes des marchés de proximité. 

Le Crédit agricole Sud-Rhône-Alpes, présidé par Jean-Pierre Gaillard, est conscient du « rôle qu’il a à jouer pour accompagner ces mutations ». Il a investi, sur son dernier exercice, 175 millions d’euros dans l’agriculture et l’alimentation et « va continuer » a assuré son président pour lequel il importe « d’additionner nos expertises pour répondre aux besoins ».

Isabelle Doucet

1. Grandes et moyennes surfaces, restauration hors foyer.