RENCONTRES
Les circuits courts, une fausse bonne idée ?

Organisées par la fondation Carasso du 21 janvier au 11 mars, les 3es Rencontres de l’alimentation durable se sont interrogées sur les systèmes alimentaires à construire pour nous préparer et répondre aux crises à venir. Le développement des circuits courts fait partie des solutions. Mais ces derniers sont-ils suffisants pour assurer la sureté alimentaire des populations ?

Les circuits courts, une fausse bonne idée ?
« Les nombreuses crises sanitaires qui ont secoué le milieu agroalimentaire depuis l’affaire de la vache folle ont suscité un regain d’intérêt pour le local auprès des consommateurs », rapporte Yuna Chiffoleau de l’Inrae. DR

Reterritorialiser l’alimentation. Ce concept peut se définir comme la manière de produire localement afin d’assurer les besoins alimentaires d’une population et la résilience et aussi comme la capacité du système alimentaire à maintenir une alimentation saine et suffisante pendant les crises. « L’idée de reterritorialiser a germé dans l’esprit des aménageurs de la ville de New York dans les années 1920 quand ils s’inquiétaient de savoir, si une crise devait survenir, comment ils pourraient nourrir toute cette population », raconte Yuna Chiffoleau, directrice de recherche en sociologie à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae). « Cette sureté alimentaire n’est aujourd’hui pas et plus prise en compte par les collectivités territoriales », s’inquiète Arthur Grimonton, co-fondateur des Greniers d’Abondance, un nom choisi en référence aux greniers construits au XVIIIe siècle pour conserver le blé nécessaire à l'alimentation annuelle des 120 000 Lyonnais de l'époque. Loin de fustiger les agriculteurs, lui-même reconnaît que le système agricole « dépend de trop nombreux acteurs pour vivre et produire en autonomie ». Et d’ajouter : « Nous importons les deux-tiers de notre azote et la quasi-totalité du phosphate. La France ne possède plus de constructeur de tracteurs et l’agriculture dépend beaucoup des énergies fossiles ».

Exemples de réussite

Heureusement, l’Histoire nous montre qu’il existe de nombreux exemples de réussite de reterritorialisation. La coopérative des Fermes de Figeac (Lot), créée en 1985, en est l’un des meilleurs exemples. « Nous n’étions qu’une poignée mais nous avions cette ambition de redonner de la valeur à ce territoire en améliorant le revenu de nos adhérents », témoigne Dominique Olivier, directeur de cette coopérative jusqu’au 31 décembre dernier. S’il se dit « prudent » sur la notion de circuit court, il raconte avoir développé dès 1995, au sein de la coopérative, des rayons pour des produits locaux alimentés par des circuits courts. L’objectif était alors de faire un million de francs (150 000 €) de chiffre d’affaires. « Aujourd’hui, nous en sommes à six millions d’euros », se réjouit-il. Interrogé sur le terme de résilience, il explique que « le produit est secondaire. La résilience est le lien qui existe avec le consommateur, c’est lui qui est générateur de valeur ». 

Enjeu électoral

Il est également vrai que les nombreuses crises sanitaires qui ont secoué le milieu agroalimentaire depuis l’affaire de la vache folle « ont suscité un regain d’intérêt pour le local auprès des consommateurs », rapporte Yuna Chiffoleau de l’Inrae. Mais convaincre les élus de s’intéresser au sujet est compliqué car « ils sont souvent en concurrence les uns les autres. Chacun veut sa légumerie, son maraîcher », poursuit-elle. Il arrive en effet que les enjeux électoraux aient tendance à prévaloir sur la résilience et sur la mise en place d’une véritable stratégie à long terme comme les projets alimentaires territoriaux (PAT). De plus, la relocalisation de la production se heurte parfois à des législations trop tatillonnes. C’est le cas pour les abattoirs qui doivent répondre aux mêmes exigences techniques et sanitaires en France alors que dans d’autres pays, « il existe un règlement pour les petits abattoirs et un autre pour les gros », précise-t-elle.

Enfin, reterritorialiser et ancrer la résilience va nécessiter de renouveler les générations car on le sait, la moitié des agriculteurs devrait partir à la retraite d’ici 2030. Il faudra aussi éviter que le concept de local ou de circuit court ne soit finalement récupéré par les principales enseignes de la grande distribution. « Leur fonctionnement est antinomique avec la reterritorialisation mais elle reste malgré tout incontournable », concède Arthur Grimonton. Faire sauter ce verrou ne sera pas facile sachant que les grandes enseignes concentrent, à elles seules, 90 % des achats alimentaires des Français. « Même quand elles achètent local, elles refusent de changer leurs règles de commercialisation, notamment celle du “zéro défaut” pour les fruits et légumes », se désole Yuna Chiffoleau. 

Christophe Soulard

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