ARCHÉOLOGIE
De la vigne, 500 ans avant J.-C. !

Anaïs Lévêque
-

ALBA-LA-ROMAINE / Des fouilles archéologiques menées par l’Inrap1 à Alba-la-Romaine révèlent que la vigne y était cultivée pour produire du vin dès l’âge du fer (Ve siècle avant J.-C.) ! Une découverte qui bouscule les modèles établis car elle vieillit significativement le développement de cette culture en France et plus particulièrement dans le sud du département.

De la vigne, 500 ans avant J.-C. !
Une vue des fouilles réalisées en 2014 à La Grande Terre à Alba-la-Romaine. Crédit photo Inrap

Le développement de la viticulture en France a longtemps été associé à la romanisation de la Gaule, suite à l’arrivée des Grecs à Marseille vers 600 avant J.-C. Ils établissent alors des comptoirs de commerce le long de la Méditerranée et dans la vallée du Rhône qui leur permettent de diffuser leur culture du vin, développée dans les Iles Grecques et dans la Grande-Grèce (côtes méridionales de la péninsule italienne). À cette époque, le vin est utilisé dans toutes les cérémonies et réservé aux élites. Il est admis que les Grecs partagent aussi leur savoir-faire et que la viticulture s’étend rapidement en Gaule dès le Ier siècle avant J.-C, le vin gaulois rencontrant un vif succès jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à l’image de la répartition des amphores d’époque retrouvées lors de fouilles.

Mais depuis fin juillet 2020, on sait désormais que la vigne était cultivée dans le sud de l’Ardèche dès l’âge du fer (Ve siècle avant J.-C.) ! Ils ne ramassaient pas seulement les fruits de vignes sauvages, ils en cultivaient pour produire du vin. Une précocité surprenante dans un secteur aussi éloigné des grands axes commerciaux d’époque...

Cette découverte est le fruit d’une recherche interdisciplinaire (voir ci-contre) réalisée par l’Inrap entre 2013 et 2015, à la suite de fouilles archéologiques menées sur prescription de l’État (Drac2 Auvergne Rhône-Alpes) au lieu-dit La Grande Terre à Alba-la-Romaine. Un secteur ardéchois réputé aujourd’hui pour la culture de la vigne et la production de Côtes du Rhône.

Ceps, raisin, pépins, jus, macération...

Dans le comblement d’un fossé, les archéologues ont trouvé sur ce site des ceps de vigne domestiques carbonisés, des pépins de raisin, des pollens de vigne et des traces organiques de vin rouge à l’intérieur de céramiques. Les analyses réalisées sur ces éléments ont permis de remonter à la première moitié du Ve siècle avant J.-C. Tous carbonisés, les 32 charbons de ceps de vigne et les deux pépins de raisin récupérés ont été datés entre - 765 et - 410 ! Ces datations se concentrent sur les deux périodes de l’âge du fer : le premier âge du fer (de - 800 à - 450) et le second dit période de la Tène (de - 450 au changement d’ère).

L’étude de ces charbons et pépins a permis de comprendre qu’il existait à cette époque des vignes sauvages à Alba-la-Romaine mais que des vignes dites domestiques y étaient aussi cultivées. « C’est à partir du résultat des analyses des charbons qui les qualifié de ceps de vigne que nous avons commencé à être très vigilants et que nous avons trouvé des indices de toute la chaîne opératoire du vin », indique Fabien Isnard, archéologue à l’Inrap et responsable de l’opération de fouilles. « Quand on regroupe tous ces éléments, on se dit qu’il y avait ici du vin dans tous ses états dès le Ve siècle avant J.-C. : ceps, raisin, pépins, jus, macération... »

Les céramiques, quant à elles, ont contenu sur cette même période du raisin blanc et noir, du jus de raisin des deux couleurs également, et du vin macéré. Certains morceaux de céramiques viennent de loin, d’Iles grecques, du nord de l’Italie, de l’extrême sud de la France, à l’image des amphores vendues par les Grecs. Tout porte à croire que les Gaulois produisaient du vin à Alba, qu’ils l’échangeaient avec les Grecs, se transmettaient des savoir-faire...

« Une tradition viticole »

Cette précocité de la vigne en Sud Ardèche est une « découverte majeure pour l’histoire de la viticulture en France », estime Audrey Saison, archéologue au MuséAl d’Alba-la-Romaine. « Nous comprenons qu’Alba, qui est aujourd’hui une région viticole, l’est depuis encore plus longtemps que ce que l’on imaginait. Dès l’Antiquité, le vin y était présent. Les agriculteurs y cultivent des terres depuis 2 500 ans. Nous sommes vraiment dans une tradition viticole. »

Que l’on ne s’y trompe pas ! « Nous ne sommes pas face à la plus vielle vigne de France ou les plus anciens vignobles, mais nous comprenons qu’au moment où les Grecs arrivent et développent leurs sites côtiers, de petits sites en dehors des grands axes commerciaux du vin, comme c’est le cas à Alba-la-Romaine, produisent eux-aussi leur vin. Ils ne faisaient pas que l’acheter, ce n’est pas forcément les Grecs qui sont venus leur montrer comment cultiver la vigne », ajoute Fabien Isnard. « Nous sommes les premiers à le montrer avec le site de La Grande Terre car nous avons réussi à récupérer assez d’éléments allant dans ce sens, mais nous connaissons d’autres sites. Beaucoup de choses se passent entre le nord et le sud de la France au Ve siècle avant J.-C. C’est une période charnière où les axes de commerce se développent énormément. Ils se mettent tous à produire du vin en même temps ! »

D’autres sites archéologiques rhodaniens laissent en effet présager une culture de la vigne tout aussi précoce, comme à Tournon-sur-Rhône et à Lyon-Vaise. Pour l’heure, La Grande Terre est le seul site à l’intérieur de la Gaule qui atteste de la présence de la vigne avant le Ve siècle avant notre ère. « Il faut toujours une première découverte... », rappelle Audrey Saison, « … qui amène toujours à d’autres questionnements. » Des travaux sont menés sur les cépages qui pouvaient être cultivés et les techniques de vinification. Pour les amateurs et les plus curieux, le MuséAl prépare une exposition pour 2022 qui mettra en lumière la découverte de ces traces de vigne précoce dans l’histoire de la viticulture et les vins ardéchois.

Anaïs Lévêque

1. Institut national de recherches archéologiques préventives.
2. Direction régionale des Affaires culturelles.

Situé à Alba-la-Romaine, le musée et site archéologique de MuséAl sont axés sur la mise en valeur des vestiges de l'Antiquité. Plus d'infos sur le site Internet : http://www.museal.ardeche.fr/

Fabien Isnard, archéologue à l'Inrap et responsable de l'opération de fouilles

Fabien Isnard, archéologue à l'Inrap et responsable de l'opération de fouilles

Débris de vigne carbonisée, retrouvés à La Grande Terre

Débris de vigne carbonisée, retrouvés à La Grande Terre
Crédit photo Inrap

Pépins de raison carbonisés

Pépins de raison carbonisés
Crédit photo Inrap

IDENTIFICATION / Une recherche interdisciplinaire

Depuis une dizaine d’années, l’archéologie est une discipline scientifique qui se développe davantage sur une recherche interdisciplinaire. Elle réunit des archéologues, mais aussi des spécialistes sur les reliefs et ce qui les façonne (géomorphologue), sur l’étude des graines et des semences (carpologue), sur le comportement des sociétés humaines (anthropologue), sur la science des végétaux (botaniste), sur les pollens et les spores fossilisés (palynologue), sur la datation du bois pour mieux comprendre les changements climatiques et environnementaux (dendrochronologue). Toute une batterie de disciplines scientifiques qui apportent beaucoup d’informations nouvelles et ont permis de mieux identifier les indices retrouvés sur le site de La Grande Terre à Alba-la-Romaine.

Vestiges bio-archéologiques, d’ateliers, de forges...

Parmi les traces de raisin récupérées sur ce site, des vestiges bio-archéologiques de la même époque ont aussi été retrouvés. Ils révèlent la présence de blé, d’orge, de vesce, de lentille et de noisette. L’environnement forestier y était déjà façonné et transformé sous l’action d’activités agropastorales. D’autres éléments laissent imaginer la présence d’ateliers d’artisanat de fibules (broche permettant d’accrocher un pan de vêtement, qui était le bijou emblématique des Romains), d’éléments de bracelets et de parures.

Plus ancien encore, la présence de fossés et de résidus d’installations de forges et d’ateliers attestent également d’une occupation importante sur ce site au cours de la Protohistoire, une période située juste après la Préhistoire, entre 3000 et 120 ans avant J.-C.

A.L.