PRÉDATION
« Travailler ensemble pour que l’élevage reste sur le Coiron »

Dans le cadre de l’appel national à la mobilisation sur la gestion du dossier loup, la FDSEA et Jeunes agriculteurs (JA) Ardèche ont réuni des éleveurs, les représentants du monde agricole et les élus à Sceautres. Un temps d’échanges pour évoquer les moyens de protection face à la présence confirmée d’un loup sur le Coiron, et la gestion à plus long terme de cette problématique.

« Travailler ensemble pour que l’élevage reste sur le Coiron »
Les syndicats FDSEA et JA Ardèche appellent à réformer le plan national d’actions sur le loup (2018-2023), notamment sur les mesures de protection des élevages et les méthodes de comptage.

Une visite de terrain était organisée, vendredi 15 octobre à Sceautres sur l’exploitation de Damien Chaussignand, dans le cadre de l’appel national à la mobilisation lancé par la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA) sur la gestion du dossier loup. Dans ce domaine, l’Ardèche connaît « un surcroit d’attaques cette année », rappelle la FDSEA et JA Ardèche. Une dizaine d’attaques ont eu lieu sur le secteur du Coiron depuis le printemps. Pour une majorité d’entre elles, la responsabilité du loup n’est pas écartée et sa présence confirmée par la préfecture depuis fin septembre.

Ensemble, organisés et prudents

« Certains éleveurs seraient bien descendus à Privas avec des tracteurs et des camions remplis de fumier mais nous avons préféré faire quelque chose de plus pédagogique, temporiser et expliquer calmement les conséquences de la prédation sur nos activités d’élevage, notamment sur un secteur comme celui du Coiron qui est difficile à travailler. Ici, les techniques d’élevage ne sont pas compatibles avec les loups. Les troupeaux y pâturent une très grande partie de l’année dehors, nuit et jour », explique Benoît Breysse, président de JA Ardèche. « Nous ne sommes pas face à une meute », rappelle le préfet de l’Ardèche, Thierry Devimeux. « Nous sommes probablement face à un loup seul, jeune et peu farouche, qui a dû quitter sa meute fin avril. L’idée n’est pas de le chasser pour le tuer mais de faire en sorte qu’il s’en aille, gérer l’urgence et préparer l’après. Le loup fait des dégâts, provoque de l’émotion, c’est bien normal, mais ne brûlons pas les étapes. »

Des réunions techniques ont été organisées par la direction départementale des territoires (DDT) et l’Office français de la biodiversité (OFB) avec les éleveurs, pour les accompagner dans la protection de leurs troupeaux. « Aujourd’hui, nous savons à quoi nous en tenir, la présence du loup est confirmée. Des clôtures électrifiées vont être distribuées, installées et contrôlées. Des autorisations de tirs de défense simple vont être données et les délégations de tirs là où elles seront nécessaires vont être gérées », a déclaré la présidente de la FDSEA Christel Cesana. Elle a salué le sang-froid des éleveurs ces dernières semaines, ainsi que la rapidité et l’efficacité des réponses apportées par les services de l’État. « Nous continuerons de travailler ensemble pour que l’élevage reste sur le Coiron. Le loup fera bien ce qu’il voudra. » Le président de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche, Benoit Claret, d’ajouter : « Nous avons besoin d’être ensemble, nombreux, organisés, de bien garder les pieds sur terre face à ce sentiment d’impuissance que provoquent des attaques de loup, pour pouvoir prendre les bonnes décisions qui sont autorisées ».

Spécificités de territoire et complexité des mesures de protection

Les syndicats appellent à réformer le plan national d’actions sur le loup (2018-2023), notamment sur les mesures de protection des élevages et les méthodes de comptage. De nombreux représentants du monde agricole et élus ardéchois expriment le fait que la cohabitation avec le loup est impossible sur le territoire. Tous apportent leur soutien aux éleveurs, qui se demandent comment travailler dans un espace fortement pâturé comme celui du Coiron si de grands prédateurs puissent venir s’installer ? « Il ne faut pas mettre en opposition les territoires prédatés mais le débat sur le loup n’est pas le même que l’on soit en Ardèche ou en Savoie. Le changement des méthodes de comptage des loups ne changerait rien ici », ajoute Benoit Claret. « Le loup est un sujet très européen qui nous échappe, avec des élus européens déconnectés de la vérité. La société française s’abandonne aussi à penser que nous pouvons survivre, se protéger. »

Christel Cesana appelle à mettre à disposition des éleveurs des chiens de protection et un large réseau pour épauler les délégations de tirs, mais aussi des aides à l’emploi ou un service de remplacement. « Arriver à éloigner un loup avec des tirs de défense simple est très complexe et prend beaucoup de temps, des mois », s’inquiète-t-elle. Pour l’éleveur Damien Chaussignand, victime d’une attaque sur son troupeau ovin le 25 septembre : « Est-ce normal de pérenniser une présence humaine jour et nuit ? L’astreinte que les tirs de défense représente pour les éleveurs est énorme et usante. Quand il y a de la peur, de l’énervement et de l’usure, il y a du danger ».

Image troupeau
Une visite de terrain a été organisée sur l’exploitation de Damien Chaussignand à Sceautres, qui a installé des clôtures électrifiées autour d’un parc de pâturage pour les brebis.
Un pâturage quasiment constant et une bergerie excentrée
Pour l’heure, Damien Chaussignand a installé un parc de petite taille clôturé en 3 fils à proximité de l’exploitation.

Un pâturage quasiment constant et une bergerie excentrée

TÉMOIGNAGE / Installé en élevage bovin et ovin sur le Coiron, Damien Chaussignand fait partie des éleveurs qui ont subi des attaques sur leurs troupeaux récemment. Les moyens de protection contre la prédation bouleversent l’organisation de son exploitation.

Sur l’exploitation de Damien Chaussignand, 9 brebis sont toujours portées disparues, après une attaque sur un lot de 172 ovins dans la nuit du 25 septembre. « Le matin, j’en ai retrouvé qu’une seule vivante dans le parc et une autre morte. J’ai mis des jours à rassembler les autres. Elles s’étaient dirigées vers les falaises, égarées dans les bas-fonds, coincées dans les rochers… Il m’en manque encore neuf », retrace l’éleveur qui ne laisse plus son troupeau ovin en extérieur la nuit. Installé sur 270 hectares à Sceautres, Damien Chaussignand dispose de quatre blocs principaux de pâturage, dont trois blocs situés à 4 et 7 km du siège de l’exploitation pour les vaches. Un quatrième bloc de 140 ha, d’un seul tenant et proche de l’exploitation, est utilisé pour les brebis et les vaches. Il est situé en partie sur le plateau du Coiron et dans les pentes des contreforts : « La visibilité est bonne sur le plateau mais devient limitée à cause du relief et du boisement dans les contreforts. La présence des falaises peut rendre les attaques de loups meurtrières », explique Gaëlle Grivel, conseillère spécialisée en production ovine à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

« Il faudra les sortir la nuit »

Les brebis de Damien Chaussignand pâturent quasiment toute l’année, nuit et jour, du 1er avril jusqu’à début décembre, puis toute la journée le reste de l’année, sauf si le temps est mauvais en janvier et février. Les agnelages s’effectuent sur deux périodes, de mi-février à mi-avril pour les 2/3 du troupeau, puis de mi-octobre à mi-décembre. L’éleveur conduit en moyenne 2 à 5 lots de brebis au pâturage : agnelles ; 2 lots d’agnelés, 1 lot de pleins ; 1 lot de vides. À l’approche des agnelages aujourd’hui, « je vais les rentrer mais après, il faudra les sortir la nuit. Je n’ose y penser », annonce-t-il. Disposées en plusieurs lots, les vaches pâturent, quant à elles, de mi-avril jusqu’à mi-novembre (avec les veaux), les génisses tout au long de l’année, et celles de 2 à 3 ans de mi-janvier à mi-novembre. Les vêlages s’étalent de fin août à fin janvier (essentiellement entre septembre et novembre) et s’effectuent pour 35% en extérieur dans le but d’avoir de meilleures conditions sanitaires, à proximité du bâtiment ou sur des parcelles à plus de 4 km.

Avec une bergerie excentrée par rapport aux blocs de pâturage, rentrer les brebis tous les soirs prend beaucoup de temps, en traversant le hameau matin et soir. Une mission presque impossible à certaines périodes de l’année, par manque de temps, indique l’éleveur, trop occupé par les activités de son exploitation (agnelage, fourrages, etc.), ainsi que l’été pour assurer un apport alimentaire suffisant aux troupeaux.Les garder en intérieur implique aussi de les nourri et de pailler tous les deux jours.

Les parcs qui sont clôturés de « grillage » ne suffisent pas à se protéger de la prédation, ajoute-t-il. « Électrifier l’ensemble des parcs demande énormément de travail, pour les installer et les entretenir », avec deux passages de débroussailleuse par an minimum permettant de les maintenir ouverts. À proximité de l’exploitation, un seul parc de petite taille est clôturé en 3 fils, « mais un vrai loup ne sera pas empêché d’y rentrer », estime Damien Chaussignand. Aucun chien de protection n’est présent pour le moment sur son exploitation. « Nous en avons eu un par le passé, avec qui ça se passait très bien, mais ce n’est pas toujours le cas, et cela peut poser des problèmes supplémentaires avec les randonneurs et les riverains. » Un mode de protection qui est loin de faire l’unanimité auprès des éleveurs.

A.L.