GEL DE PRINTEMPS
Rebondir vite

A.Lévêque
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Après leur passage en Nord Ardèche au lendemain de l’épisode de gel qui a sévi durant les nuits du 6 au 8 avril, les responsables professionnels et les élus locaux se sont rendus sur des exploitations arboricoles et viticoles près d’Aubenas et en Sud Ardèche.

Rebondir vite
Une visite était organisée sur l’exploitation arboricole de Stéphane Leyronas, à Saint-Étienne-de-Fontbellon. Le 7 avril au soir, il a installé des bougies dès 22 h, un canon à air chaud et l’aspersion, pour protéger ses jeunes vergers de pêche, prune, kiwi, cerise et pomme qui allaient entrer en production cette année, sans succès.

Àtravers ces visites de terrain orga-nisées le 16 avril à Saint-Étienne-de-Fontbellon, Saint-Martin et Saint-Just d’Ardèche, les responsables professionnels et les élus locaux tenaient à être présents sur l’ensemble du dé-partement. Les visites ministérielles, régionales et professionnelles s’étaient en effet concentrées en Nord Ardèche, au lendemain de l’épisode de gel. En se déplaçant dans le sud du département, ils ont pu constater l’ampleur des dé-gâts causés par ce gel particulièrement long et intense, soutenir les agriculteurs et échanger sur l’adaptation du monde agricole face aux aléas climatiques. L’ensemble des cultures végétales du département ont été touchées par le gel. Les pertes de récolte sont estimées entre 60 et 100 % en arboriculture et viticulture. Des impacts ont été observés sur les jeunes châtaigneraies, notamment les variétés hybrides. Les conséquences économiques sont grandes pour les pro-ducteurs et le territoire, a prévenu la présidente de la FDSEA Christel Cesana qui appelle à réagir vite et à préparer l’avenir : « Derrière chaque agriculteur se trouvent de nombreuses structures économiques de coopération et de transformation. Des recours peuvent être faits auprès des banques et des assurances, mais une aide rapide à la hauteur des dégâts doit être apportée aux producteurs sinistrés. Le dispositif des calamités agricoles doit également s’adapter à la situation exceptionnelle de ce gel ».

Accompagner et reconstruire 

À court terme, des exonérations de charges sont réclamées pour éviter l’endettement des exploitations durement frappées par cet évènement naturel. « Nous allons rebondir mais nous avons besoin d’être accompagnés pour faire face aux charges de structures et aux investissements, pour continuer d’entretenir les cultures, et répondre à une année blanche sans salaires pour de nombreux agriculteurs », a ajouté Bernard Habauzit, élu à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche et responsable du dossier des calamités agricoles. Le végétal risque de pousser d’autant plus qu’il n’a pas de fruit, s’inquiètent les producteurs. De premières aides devraient arriver d’ici trois mois, a annoncé le gouvernement. Des enveloppes d'urgence seront également mis à disposition des préfets d'ici fin avril.

« Nous devons également construire un schéma d’accompagnement et de reconstruction », a indiqué le président de la Chambre d’agriculture, Benoit Claret. La mise en place de services d’accompagnement technique et de mises en connexion avec les marchés est en réflexion, en lien avec le projet alimentaire territorial. « Le marché des fruits et légumes sera complexe cette année, il y en aura très peu mais il n’est pas envisageable qu’il y ait, cet été, sur les étals, d’autres produits que des produits ardéchois. »

Combien d’années faudra-t-il pour se remettre de ce gel ? Bien que les dégâts sur les cultures ne puissent être précisément caractérisés pour le moment, cette question est dans tous les esprits. De nombreux producteurs s’attendent à ce que leurs vergers et les vignes ne retrouvent pas de rendements corrects avant 5 ans, que les marchés soient bouleversés... « Pour la viticulture, le plus dur arrivera entre 2022 et 2024. Nous n’aurons pas de volumes, pas de marchés, c’est là que nous aurons le plus besoin d’aide », prévient le président de la fédération des caves coopératives, Cyril Jaquin.

Adaptation aux aléas : « avancer beaucoup plus vite »

Le développement des systèmes de lutte et l’accès à l’irrigation étaient au centre des discussions. La succession des dégâts liés aux aléas climatiques (gel, grêle, sécheresse) réduit considérablement les potentiels de production et la pérennité des exploitations. « Nous avons des jeunes motivés qui s’installent mais nous avons besoin d’avancer beaucoup plus vite pour leur assurer des récoltes à l’avenir. Sans eau, nous n’installerons plus personne en arboriculture », craint Benoit Breysse, président de Jeunes agriculteurs (JA) Ardèche. Cette même urgence est affichée sur l’innovation, notamment sur la résistance des variétés végétales aux changements climatiques et des systèmes de protection. « Il faut saisir ce moment pour mettre à plat la recherche, les problématiques sociétales et d’urbanisme, les dispositifs assurantiels… Il est important de porter ces sujets-là dans le temps, au-delà de celui de l’émotion, et d’amener des solutions pérennes, tous ensemble, coopérations et vignerons indépendants », ajoute le président des Vignerons indépendants, Ludovic Walbaum.

Impulser de nouveaux dispositifs d’assurance

Dans le département, la souscription d’une assurance récolte est bien développée en viticulture, soutenue financièrement et encouragée par des coopératives, mais elle repose sur trop peu de cotisants. Sur le canton de Bourg-Saint-Andéol, 30 % des exploitations viticoles cotisent à une assurance climatique et le gel impacte en moyenne 50 % de leur récolte ces dernières années. Ce gel de printemps 2021 permettra-t-il d’impulser de nouveaux dispositifs d’assurance récolte accessibles à tous les agriculteurs ? En reposant sur des franchises de base très élevées et des rendements de référence sans cesse impactés par les aléas, l’assurance récolte doit « évoluer et mieux rassembler », s’accordent à dire tous les responsables professionnels. Ils réclament « un vrai plan d’urgence » : « Nous avons besoin d’un fonds qui engage collectivement et donne les moyens d’avancer. Même pour ceux qui sont assurés, y compris par le biais des VCI1 en viticulture, il est de plus en plus difficile d’équilibrer les comptes », indique Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA. Groupama, aussi, alerte sur un système à flux tendu : pour 1 milliard d’euros de cotisations assurance récolte, 1,8 milliard d’euros de sinistres ont été couverts ces 10 dernières années. « Ce système assurantiel a été construit pour une période qui n’existe plus et personne n’en sort indemne. Ce gel nous oblige à aller plus vite et tant mieux », indique la présidente de la fédération Groupama de l’Ardèche. « En arboriculture, si nous avions trouvé la bonne formule pour rembourser correctement les pertes et proposer des cotisations à des prix abordables, nous l’aurions mis en place, mais ce n’est pas le cas. »

Le débat d’une assurance récolte obligatoire doit avoir lieu au sein de la profession, ont encouragé les responsables professionnels. « L’assurance est une obligation de survie pour l’agriculture, dans toutes les filières. La seule couverture possible aujourd’hui, c’est le groupe, la mutualisation et la coopérative », a indiqué le président de la Chambre. Il a évoqué « un fonds de mutualisation basé sur les fonds européens et français et les cotisations d’assurances récolte » et « un système assurantiel qui intègre les aléas successifs ».

Annonces et solidarité des élus

« Le moment que nous vivons est celui de la cohésion mais il est aussi et plus que jamais celui de l’action », estime le président du Crédit agricole Sud Rhône-Alpes, Jean-Pierre-Gaillard. « Nous savons régler "l’instant" avec des mesures d’avance de trésorerie, de report, etc, mais c’est le moment de définir de nouveaux défis structurels et de conduire un projet de réforme globale de l’agriculture, qui sécurise les exploitations, la souveraineté alimentaire et l’aménagement du territoire ». Comment coordonner les actions en tant qu’élus ? « Nous devons former et afficher une union sacrée. Le soutien moral apporté aux agriculteurs n’est pas inutile mais il ne suffit pas, il faut construire de nouveaux dispositifs d’aide », a indiqué le député Hervé Saulignac. « Du structurel et plus de mesurettes », a précisé l’élu départemental du canton de Bourg-Saint-Andéol, Pascal Terrasse. « Il faut des actes maintenant et des réflexions à mener sur le long terme, sur les retenues collinaires notamment », a ajouté la sénatrice Anne Ventalon. Le député Fabrice Brun d’insister : « L’irrigation est la première des assurances récolte ». Il s’est dit aussi « prêt à porter l’idée d’une assurance récolte obligatoire qui doit passer par un débat très large, y compris au sein de la profession ».

Anaïs Lévêque

1.       Volume complémentaire individuel.

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ILS ONT DIT /

« Ces aides doivent s’inscrire dans la durée »

Philippe Faure, président du syndicat ardéchois de l’appellation Côtes-du-Rhône

« Les aides apportées à court terme sont importantes, particulièrement en arboriculture pour finir l’année, mais vu la puissance du sinistre, ces aides doivent s’inscrire dans la durée, au moins sur 5 ans, pour éviter l’endettement des exploitations. »

« Des conséquences sur plusieurs années » 

Stéphane Leyronas, arboriculteur et viticulteur à Saint-Etienne-de-Fontbellon

« La végétation n’était pas tant en avance que cela ici, mis à part la vigne, mais il a fait très froid, autour de -5°C, il y avait toujours de la glace le lendemain à 14 h », indique Stéphane Leyronas, installé à Saint-Etienne-de-Fontbellon. Le 7 avril au soir, il a installé des bougies dès 22 h, un canon à air chaud et l’aspersion, pour protéger ses jeunes vergers de pêche, prune, kiwi, cerise et pomme qui allaient entrer en production. « Aucun système de protection n’a fonctionné, tout a gelé. Les arbres ont beaucoup souffert, les pêchers surtout, je crains qu’ils ne développent de la cloque. Je n’ai jamais connu de gel aussi intense, il va avoir des conséquences sur plusieurs années ! »

« L’assurance récolte, c’est l’assurance de notre revenu »

Estelle Privat, jeune viticultrice installée avec Julien Chausse à Pradons et Saint-Sernin (Gaec du Bas Muraliet)

« L’assurance récolte, c’est l’assurance de notre revenu. Elle est primordiale quand on est jeune installé hors cadre familial comme nous, mais si la franchise est proposée à hauteur de 50 %, mieux vaut changer de métier. Il faut que les politiques se mettent en marche pour soutenir ce système. »

« On se demande bien ce qu’il va falloir faire maintenant contre le gel… » 

Christophe Guigue, arboriculteur à Saint-Just-d’Ardèche

« Cela fait 45 ans que nous protégeons nos vergers du gel avec l’aspersion mais cette nuit-là, le gel s’est installé très longtemps avec un courant d’air très froid, jusqu’à -5°C/-6°C à certains endroits », indique Christophe Guigue, producteur de kiwis, pommes et grenades sur 40 ha à Saint-Just-d’Ardèche. Il estime avoir perdu au minimum 80 % de sa récolte. « En 2003, on a fait un forage pour installer le goutte à goutte car on était impacté par la sécheresse. En 2014, on a investi dans les filets de protection pour protéger les vergers des insectes. On se demande bien ce qu’il va falloir faire maintenant contre le gel… »

« Nous ne pourrons plus travailler d’ici quelques années » 

Philippe Roman, vigneron à Saint-Martin-d’Ardèche

« C’est la seconde année consécutive que nous gelons », s’inquiète Philippe Roman en observant ses parcelles viticoles à Saint-Martin-d’Ardèche. L’an passé, il a perdu environ 40 % de sa récolte. Cette fois-ci, il estime que le gel a impacté 80 % de son vignoble. « Les températures sont descendues jusqu’à -5°C/-6°C. Nous ne savons pas encore si le végétal a pris. Certains bourgeons vont redémarrer mais je pense qu’ils ne donneront guère de fruits, les coursons pourraient se fendre aussi. Nous ne sommes pas totalement désespérés mais avec ces aléas, l’application des ZNT… Nous ne pourrons plus travailler d’ici quelques années. »

Propos recueillis par A.L.