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Anti-viande, anti-élevages... ces mouvements qui montent

Mathieu Robert - Étienne Grosjean - Pierre Garcia
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SOCIÉTÉ / Depuis plusieurs années, les associations de défense  des animaux cherchent à se professionnaliser pour mieux se faire entendre. Spécialiste de la radicalité et de la « nébuleuse animaliste », le chercheur Fabien Carrié décrypte le mouvement animaliste dont l’émergence a introduit en France l’articulation entre végétarisme et cause animale.

Anti-viande, anti-élevages... ces mouvements qui montent
Un manifestant défilant lors de la journée mondiale pour la fin du spécisme cet été à Paris. ©L214
Article ITW
Fabien Carrié est maître de conférences à Paris-Est Créteil, chercheur au LIPHA, chargé de recherche au FRS-FNRS et membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité. ©Astrid di Crollalarza

Quelle est la place du végétarisme dans l’ensemble de la cause animale ?

Fabien Carrié : « La cause animale est ancienne et n’est pas homogène. L’articulation systématique entre le végétarisme et la cause animale date vraiment des années 1970. En Grande-Bretagne, le végétarisme a d’abord été une affaire de spiritualité et de philanthropie. En France, il s’est développé au début du XXe siècle, largement sur des questions hygiénistes. Dans le mouvement de protection animale qui commence à se structurer au XIXe siècle, la question du végétarisme n’est pas centrale. Si quelques auteurs et militants ont pu dès cette période élaborer des critiques systémiques de l’exploitation animale, qui refusait dans un même mouvement les actes de cruauté et de maltraitance envers les animaux domestiques, la chasse à courre et la consommation de viande, ils étaient toutefois très marginaux et peu audibles. La tendance dominante était plutôt à des critiques sectorielles, les militants de la cause animale se focalisant sur des pratiques spécifiques comme la violence des charretiers envers leurs chevaux ou la cruauté des jeux des classes populaires, dans un but de moralisation du peuple. C’est avec le mouvement contemporain de défense de la cause animale qui se développe dans les années soixante-dix dans le monde anglo-saxon, que se fait le lien avec le végétarisme. En France l’importation de ces idées est plus tardive et les militants seront d’abord rejetés par le monde de la protection animale, notamment sur la question végétarienne qui est incomprise. »

Comment situer la naissance de L214 et du Parti animaliste dans l’histoire du mouvement animaliste français ?

F.C. : « Le mouvement animaliste contemporain naît dans les années soixante-dix autour de penseurs comme l’américain Peter Singer et sur fond de crise des organisations établies de la cause animale anglophone. En France, il est importé à la fin des années quatre-vingt, notamment par des militants lyonnais, proches des mouvements squats et anarchistes, qui fonderont entre autres la revue Les cahiers antispécistes. Ces militants cherchent initialement à se rapprocher du mouvement français de protection des animaux, en vain. Ils se tournent surtout vers les militants anarchistes et les milieux intellectuels par lesquels ils sont également rejetés. Les années quatre-vingt-dix sont celles d’échecs à faire gagner leurs idées en influence dans l’espace public français malgré de nombreuses initiatives, comme la traduction en 1993 du classique de Peter Singer, Animal Liberation. Dans les années 2000, la sociologie du mouvement français de protection animale change et des liens se nouent avec les militants du mouvement animaliste contemporain. C’est de cette période et de cette rencontre que naissent la Veggie Pride ou l’association L214. Par la suite, les militants, notamment chez L214, vont peu à peu se professionnaliser. Et, depuis quelques années, on ressent qu’une partie du mouvement animaliste cherche comment faire entrer ses idées dans l’espace public, notamment après les déconvenues rencontrées dans le milieu intellectuel et auprès des groupes anarchistes et d’extrême-gauche. »

Où se situent politiquement les militants animalistes ?

F.C. : « La sociologie du mouvement animaliste contemporain en France, ce sont plutôt des personnes situées à gauche. Du fait de son histoire, les militants se revendiquant comme apolitiques ou de droite ne sont pas nombreux. La dynamique générale du mouvement fait qu’elle est liée à d’autres thèmes comme le féminisme ou l’anticapitalisme. Il y a d’ailleurs régulièrement des tentatives d’entrisme à gauche ou chez les Verts et le dialogue avec les écologistes est fréquent. En 2010 par exemple, le député vert Yves Cochet avait défendu avec d’autres l’idée d’une journée sans viande en intégrant notamment des motifs moraux liés à la question animale dans l’argumentaire. À l’inverse, il y a aussi des débats récurrents aux Estivales de la question animale sur le positionnement du mouvement. Certains souhaiteraient qu’il soit moins marqué à gauche pour toucher davantage de monde. Une partie du mouvement historique français de la protection animale pouvait être proche de la droite et de l’extrême droite, de manière informelle, ce qui a d’ailleurs été l’une des sources des mauvaises relations avec les nouveaux militants animalistes des années 1980 - 1990, plutôt proches des anarchistes. »

Comment peut évoluer le mouvement dans les années à venir ?

F.C. : « Il est évidemment impossible de préjuger de l’avenir. On peut toutefois se poser la question des conséquences des actions violentes sur le futur du mouvement français. En Grande-Bretagne dans les années 2000, une série d’actions criminelles conduites par des groupuscules ou militants isolés avait amené à un raidissement judiciaire avec l’incarcération de chefs de file du mouvement et à l’essoufflement de la lutte contre l’expérimentation animale. La comparaison a ses limites : l’intensité et la violence de la contestation d’alors en Grande-Bretagne sont sans commune mesure avec les quelques cas de saccages de boucheries et de poissonneries en France. La réaction des autorités et des institutions publiques françaises est pour le moment très éloignée des mesures prises en Angleterre. Mais il semble assez clair que les actions récentes ont contribué à renforcer l’attention de la justice et des services de renseignement français envers le mouvement animaliste français, évolution qui avait déjà été préparée depuis la fin des années 2000 par les préconisations d’Europol, qui inscrit les « extrémistes » animalistes comme cinquième plus grande menace terroriste en Europe. »

Propos recueillis par Mathieu Robert
(entretien réalisé en 2019)

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Des steaks végétaux produits par la start-up française « Les Nouveaux Fermiers ». ©Les Nouveaux Fermiers

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Parallèlement à la montée des discours anti-élevage, les investissements dans les substituts à la viande explosent. Des liens sont établis entre entrepreneurs et organismes militants et la France figure aujourd’hui parmi les premiers financiers de cette nouvelle industrie.

Pendant que les attaques contre l’élevage se multiplient, que les antispécistes et les promoteurs du véganisme trouvent un écho croissant dans les médias visant à détourner les consommateurs de la viande, des entrepreneurs misent aujourd’hui des sommes colossales pour développer la « viande cellulaire » ou « viande de synthèse ». D’après eux, l’alimentation de demain pourrait passer par la fabrication d’une « fausse » viande composée de protéines végétales qui, peu à peu, se substituerait à la « vraie » viande issue de l’élevage. Une trentaine d’entreprises travaillent sur ce sujet, essentiellement aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Israël, et certaines ont même déjà convaincu la grande distribution. Ainsi, le négociant américain Cargill a investi 12 millions d’euros (M€) dans la start-up israélienne Aleph Farms. En France, on estime que 50 M€ ont déjà été investis avec le soutien de BPI France et de la Banque européenne d’investissement.

Existe-t-il un lobby organisé de la viande de synthèse ? Se servirait-il des militants anti-élevage pour faire valoir sa cause ? Les faits sont pour le moins troublants à l’image de Xavier Niel, instigateur du référendum sur les animaux et moteur du lancement des Nouveaux Fermiers, qui figure parmi les investisseurs de la première ligne de production française de substitut de viande ouverte en septembre. Connue pour ses vidéos chocs, L214 dispose quant à elle de puissants moyens financiers dont notamment le soutien appuyé de l’Open Philanthropy Project, fondation défendant des alternatives à la viande ayant offert 1,4 M€ à l’association en 2017.

Une viande de synthèse pas si « écolo »

De leur côté, les organisations agricoles dénoncent ce conflit d’intérêt sans pour autant nier qu’il faudra demain davantage de protéines végétales pour nourrir la planète. Ainsi, la FNSEA et la filière oléo-protéagineuse plaident en faveur d’un « plan protéines ambitieux » et d’un objectif d’autonomie protéinique à l’échelle européenne. Aujourd’hui, elles pointent surtout du doigt les limites des substituts à la viande. Quid de son impact sur la santé quand on sait que la viande rouge constitue le premier apport en protéines, zinc, fer et en certaines vitamines ? Quid également des impacts sociaux et économiques du démantèlement de l’élevage ? Quid enfin du bilan environnemental de la viande de synthèse qui, selon une étude de l’Université d’Oxford publiée en février « pourrait être plus néfaste à long terme que l’élevage conventionnel en raison de l’énergie nécessaire à la production des incubateurs » ? Celle-ci précise d’ailleurs que l’élevage émet principalement du méthane, un gaz vingt-cinq fois plus polluant que le CO2 mais qui ne demeure dans l’atmosphère que douze ans au lieu d’un siècle pour le gaz carbonique. La conclusion des chercheurs parle d’elle-même : « Les émissions de gaz à effet de serre par unité de viande cellulaire sont uniformément supérieures à celles de la viande de boeuf ».

Étienne Grosjean

Les députés se penchent sur le délit d’entrave

L’Assemblée nationale a créé au début de l’été une mission d’information sur les moyens permettant de juguler les entraves à l’exercice de certaines activités légales comme l’agriculture, la chasse, l’abattage ou le commerce de viande. Présidant cette mission d’information, le député de l’Ain Xavier Breton (LR) a récemment précisé l’orientation des travaux dont les rapporteurs seront Martine Leguille-Balloy (députée LREM de Vendée) et Alain Perea (député LREM de l’Aude). D’après Xavier Breton, la mission s’attachera notamment à dresser un état des lieux du phénomène d’entrave à des activités légales et de son évolution au cours des dernières années, à étudier dans quelle mesure les actions d’entrave sont constitutives d’infractions existantes et à proposer des pistes pour améliorer l’efficacité de la réponse pénale.

É.G.

NOTEZ-LE / Végétariens, végétaliens, végans… comment les différencier ?

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Adopté par environ 2 % des Français, le régime végétarien peut se définir classiquement comme un régime alimentaire qui exclut la viande, les poissons et les fruits de mer. Pour autant, ce terme générique regroupe en réalité différents types de régimes alimentaires ayant chacun leurs subtilités. Le pesco-végétarisme, tout d’abord, proscrit la consommation de viande mais pas celle de poisson ou de crustacés. L’ovo-végétarisme tolère quant à lui la consommation d’oeufs et le lacto-végétarisme celle de produits laitiers. Combinés, ces deux régimes alimentaires forment ce que l’on appelle l’ovo-lacto-végétarisme. Pour d’autres, le régime végétarien est principalement motivé par la diminution de la consommation de viande rouge. C’est le cas des pollo-végétariens qui vont consommer des oeufs, des produits laitiers et de la volaille ou encore des semi-végétariens qui ajoutent à ce menu du poisson et des crustacés. Régime alimentaire similaire au semi-végétarisme, le flexitarisme n’abolit aucun aliment mais prône une réduction de la consommation de viande. Environ un tiers des Français se déclarent aujourd’hui flexitariens.

Des formes plus radicales de végétarisme

Pour les végétaliens, le régime végétarien doit être suivi de manière plus stricte. Sont bannis pour eux tous types de produits d’origine animale : viande, produits de la mer, oeufs et produits laitiers. Plusieurs régimes découlent du végétalisme comme le fruitarisme qui consiste à ne consommer que les fruits des plantes et non les plantes mères comestibles comme la salade ou la carotte. Déconseillé pour les enfants, ce régime alimentaire est souvent suivi de manière temporaire par des personnes souhaitant perdre du poids. Dans une démarche de santé, les crudivoriens ou crudi-végétaliens ne consomment quant à eux que des aliments crus, la plupart du temps des fruits et des légumes même si quelques rares crudivores s’autorisent à manger de la viande, des poissons, des oeufs ou des produits laitiers crus. Loin de se limiter à un régime alimentaire strict, les végans (à prononcer « végâne ») vont eux proscrire tous les produits en rapport avec le règne animal. Leur régime végétalien s’accompagne d’un mode de vie qui prohibe les produits obtenus par l’exploitation d’animaux comme les vêtements en cuir, en laine, en soie ou encore en cachemire. Représentant moins de 1 % de la population française, les végans font également la chasse aux produits cosmétiques et aux médicaments testés sur des animaux. Le véganisme ne doit pas être confondu avec l’antispécisme, un concept né dans les années 1970 qui prône un traitement égal pour tous les êtres vivants. Ce concept s’oppose au spécisme qui place l’espèce humaine au-dessus de toutes les autres.

Pierre Garcia