APICULTURE
Joannes et Romain, « bergers d’abeilles » d’un côté à l’autre du Coiron

Marin du Couëdic
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Apiculteurs professionnels à Privas et à Mirabel, Joannes Boulon et Romain Loiselet ont réuni leurs activités en Gaec en février 2021. Au Rucher des Pastoureaux, les deux trentenaires partagent désormais leurs essaims, leurs équipements, leurs savoir-faire et leur passion des abeilles.

Joannes et Romain, « bergers d’abeilles » d’un côté à l’autre du Coiron
Le deux associés entretiennent et contrôlent la production de 500 ruches en agriculture biologique.

Le Rucher des Pastoureaux ou des « petits bergers », du patois au Français. Le nom du Gaec de Romain Loiselet et Joannes Boulon n’a pas été choisi par hasard. Les deux apiculteurs se présentent volontiers comme des « bergers d’abeilles », transhumant leurs ruches d’une région florale à une autre comme les pasteurs nomades promènent leur troupeau des plaines aux montagnes. On peut même lire la mention sur leurs pots de miel, tout près du label agriculture biologique.

Ce miel bio, Joannes et Romain le récoltent main dans la main entre Privas et Mirabel, d’un côté à l’autre du plateau du Coiron. Tous deux apiculteurs amateurs dans les années 2010, passés professionnels en 2018 pour le premier et 2019 pour le second, ils se sont associés en Gaec en février 2021. « On a commencé par se prêter du matériel et se donner des coups de main avant de se mettre à transhumer ensemble. Petit à petit, c’est devenu évident de s’associer », rembobine Joannes, ingénieur agricole de formation. « On s’est retrouvés sur une approche locale, qualitative et technique de l’apiculture. Le fruit de notre travail, c’est notre production agricole mais aussi la bonne santé de notre cheptel », complète Romain, ancien rééducateur sportif.

A la tête d'une exploitation de 550 ruches, les deux trentenaires commercialisent du miel et du pollen frais écoulé en demi-gros, magasins bio et épiceries fines. Une petite partie de la production est aussi vendue en direct via le Stolon du Vernas, réseau d’achat de produits bio et locaux en ligne basé à Chomérac et au marché de producteur d’Alba-la-Romaine.

« Valoriser la flore qui nous entoure »

Pour ces passionnés, qui ont découvert l’apiculture très jeunes dans le cadre familial, la dimension locale de cette activité revêt une importance particulière. « Pour nos miellées, on essaye de valoriser la nature qui nous entoure. C’est stimulant de découvrir la diversité des floraisons et des biotopes de ce territoire », soulignent-ils.

Si leur curiosité peut les amener à récolter du miel d’acacia en Isère ou du miel de lavande dans le Sud Drôme, la grande majorité de production est réalisée en Ardèche. Le miel de printemps est notamment produit autour du Coiron. « Cela ne nous intéresse pas d’avoir nos ruches trop loin de chez nous. On se sentirait comme un berger loin de son troupeau. C’est aussi un choix de vie pour être plus présents pendant la saison apicole », expliquent ceux qui sont tous deux pères de famille.

Renouveler le cheptel et élever des reines

En hivernage jusqu’au début du printemps, leurs colonies sont disséminées entre Privas et le Sud Ardèche. Après les longues journées du printemps et de l’été passées auprès des abeilles, c’est une période pendant laquelle Romain et Joannes se consacrent davantage à la vente, au travail en atelier et à la préparation de la saison à venir. L’occasion aussi d’affiner leurs compétences techniques. « Pour tenir économiquement, l’apiculteur doit aujourd’hui avoir la capacité de renouveler son cheptel et d’élever des reines », expliquent ceux qui se sont notamment formés auprès de l'association Agri Bio Ardèche. « L'agriculture biologique engendre des contraintes importantes sur la conduite des ruches (traitements, emplacements…). Cela nous rend globalement moins productifs, mais l’impact sur la qualité du miel et de l’environnement est certain. »

Moins d'un an après la création du Gaec et malgré une récolte 2021 calamiteuse (lire ci-dessous), les deux associés réussissent à se dégager chacun un salaire. « Pour devenir apiculteur professionnel, il n'y pas besoin de foncier ni de gros investissements mécaniques mais les premières années sont compliquées. Il faut être au point techniquement et ne pas compter ses heures. » Des difficultés qui n'entament pas le moral des deux apiculteurs, plein d'idées pour la suite : « Nous aimerions démarrer des petites transformations, peut-être du pain d’épice et du nougat. À moyen terme, l’idée est aussi de développer un système d’élevage qui nous permette de vendre des essaims. »

RÉCOLTE / 2021, une année désastreuse pour l'apiculture

Avec une récolte atteignant à peine les six tonnes de miel en 2021, le Rucher des Pastoureaux a essuyé 50 à 60 % de pertes comparé à leur capacité de production. « À cause des gelées tardives et des pluies estivales, les abeilles n'ont pas pu bénéficier des floraisons. Certaines miellées comme l'acacia n'ont tout simplement pas existé », soupirent Romain Loiselet et Joannes Boulon. Pour tenir, les apiculteurs associés ont « heureusement » pu compter sur leur stock de l'année précédente. À l’échelle nationale, environ 10 000 tonnes de miel ont été récoltés, soit moitié moins que 2020. Loin de quoi satisfaire l’appétit des Français, largement pourvu par l'import à l'étranger (40 000 tonnes de miel par an). Un constat qui rappelle celui de la récolte 2019, également calamiteuse. « On est forcément inquiets avec ces mauvaises années qui se rapprochent, reprennent les professionnels ardéchois. Mais d'une certaine façon, cela nous stimule et nous force à être créatif ».

SANITAIRE / L’abeille, si fragile face aux prédateurs et aux aléas climatiques

« Les abeilles souffrent. » Année après année, les apiculteurs constatent les dégâts causés par les prédateurs sur les fragiles butineuses. « Le principal fléau est le Varroa destructor, un acarien qui s’installe et se reproduit au cœur même des ruches. Les apiculteurs doivent faire avec lui et tenter de limiter son impact », explique Joannes Boulon, apiculteur et technicien sanitaire apicole. « L’hiver dernier, plusieurs de nos ruchers ont aussi été décimé par le frelon asiatique, autre prédateur très dangereux », ajoute son associé Romain Loiselet. Ces professionnels ardéchois s’aperçoivent également de l’impact du changement climatique et de l’appauvrissement de la biodiversité sur les abeilles. « Il y a de moins en moins de fleurs sauvages et les ressources en pollen sont de plus en plus pauvres. Au printemps, il peut y avoir des épisodes de froid pendant lesquels les abeilles ne trouvent plus de quoi se nourrir, nous devons nous en apercevoir rapidement pour sauver les colonies. »