ANALYSE
Comprendre les différents dispositifs européens d’aide à l’agriculture

Depuis 1962, la politique agricole commune (Pac) définit un cadre européen en matière d’aides à l’agriculture pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Parfois complexe à appréhender, ce paquebot administratif exerce pourtant une influence très concrète sur la vie des professionnels, que ce soit via des aides directes ou par un soutien au développement rural. Éléments de compréhension.

Comprendre les différents dispositifs européens d’aide à l’agriculture
Tous les sept ans, l’Union européenne révise la stratégie d’attribution des fonds européens pour répondre aux enjeux des territoires et des populations et aux nouveaux défis de l’Union européenne. ©DR

La Pac est structurée autour de deux piliers. Représentant environ 80 % de l’ensemble des dépenses, le premier pilier vise à apporter des mesures de soutien aux marchés et aux revenus des exploitants agricoles. Il est entièrement financé par le Fonds européen agricole de garantie (Feaga), qui est doté pour la période 2021-2027 d’une enveloppe de 258,6 milliards d’euros. En France, c’est le ministère de l’Agriculture qui s’assure de l’application de la Pac. Le principal organisme payeur du Feaga est l’Agence de services et de paiement (ASP). De son côté, FranceAgriMer est l’organisme payeur des aides visant au soutien des marchés et des aides liées aux organisations communes de marché. Depuis 2014, les paiements directs aux agriculteurs se font à l’hectare, avec un montant uniformisé à l’échelle régionale. Ces paiements directs doivent également être complétés par des paiements verts pour un minimum de 30 % de l’enveloppe globale. Des paiements couplés à la production d’un montant maximal de 13 % de l’enveloppe des paiements directs peuvent aussi être mis en place par les États membres afin de soutenir leurs filières agricoles fragiles ou stratégiques.

Les Régions françaises à la manoeuvre

L’ASP a également en charge le paiement du deuxième pilier de la Pac qui est consacré au développement rural. Provenant du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), le deuxième pilier représente environ 20 % du budget total de la Pac, avec une enveloppe de 85,4 millions d’euros pour la période 2021-2027. Les mesures du second pilier s’articulent autour de six priorités : soutenir l’innovation, améliorer la viabilité des exploitations agricoles, promouvoir l’organisation de la chaîne alimentaire, préserver les écosystèmes, soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de CO2 et accroître le développement des zones rurales. Ces six priorités sont issues d’un cadre plus large intégrant d’autres fonds européens comme le Fonds européen de développement régional (Feder), le Fonds social européen (FSE), le Fonds de cohésion et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Dans un souci de décentralisation propre à la France, la gestion des budgets Feader a été confiée par l’État aux conseils régionaux. Néanmoins, un cadre national vient proposer des orientations communes aux programmes de développement rural régionaux. Les conseils régionaux s’appuient par ailleurs sur les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) et les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) qui travaillent conjointement à l’instruction et au contrôle des demandes d’aide.

L’importance du réseau rural national

L’État reste autorité de gestion de deux programmes nationaux de ce deuxième pilier : le programme « réseau rural national » et le programme « gestion des risques et assistance technique ». Le réseau rural national (RRN) est une composante essentielle de la politique de développement rural contenue dans le second pilier de la Pac. En France, la mise en oeuvre de cette politique s’inscrit dans un Programme spécifique réseau rural national (PSRRN), géré par le ministère de l’Agriculture en collaboration avec le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et Régions de France. Son objectif : contribuer aux réflexions autour des enjeux des territoires ruraux. Pris sur des crédits du Feader, le PDRR comprend différents volets d’intervention dont le Leader, pour Liaison entre actions de développement de l’économie rurale, qui soutient des projets s’inscrivant dans une stratégie locale de développement des zones rurales.

Pierre Garcia avec CapEye et le MAA

Feader : les priorités de la Région Auvergne Rhône-Alpes
Pierre Picard, président de Jeunes agriculteurs Auvergne Rhône-Alpes. ©Haute_Loire_Paysanne

Feader : les priorités de la Région Auvergne Rhône-Alpes

AURA / Pour mobiliser autant de fonds Feader que durant la précédente programmation (2014-2020), la Région va augmenter sa quote-part de financement. En collaboration avec la profession agricole, elle a défini ses priorités et opté pour une mise en oeuvre simplifiée et plus rapide des aides à investissement.

Les Régions ont à gérer une partie des fonds Feader alloués à la France, le reste l’étant par l’État. Les enveloppes dédiées au second pilier de la politique agricole commune (Pac) sont relativement stables en euros courants. Toutefois, certaines mesures comme les aides à l’investissement voient les taux de cofinancement européen diminuer. Aussi, pour mobiliser autant de fonds Feader, la Région Auvergne Rhône-Alpes a opté pour une augmentation de son aide publique. Parmi vingt-six interventions au choix des Régions, elle en a retenu onze et a clairement défini des priorités. Il y aura donc moins d’appels à projets. « Nous avons longuement préparé avec les élus et la Chambre d’agriculture ce programme Feader qui met l’accent sur les aides pour des installations de qualité misant notamment sur la formation et l’expérience des candidats et les démarches de progrès inscrites dans leur projet. La région disposera encore de la plus forte DJA (40 000 € en moyenne) et nous visons 800 installations par an. Pour soutenir ces installations que nous espérons durables, la Région doit investir 15 millions d’euros de plus par an que dans la précédente programmation », explique Pierre Picard, président de Jeunes agriculteurs Auvergne Rhône-Alpes. « Grâce au dialogue maintenu, nous avons abouti à des compromis globalement satisfaisants », reconnaît-il en rappelant que « la DJA doit à la fois permettre d’investir dans une entreprise, mais aussi d’assurer un revenu à l’agriculteur ».

Être opérationnel début 2023

La deuxième priorité régionale concerne l’accompagnement face au changement climatique et la préservation des ressources, en renforçant les investissements dans les espaces pastoraux et la modernisation des exploitations d’élevage. D’autre part, pour les productions végétales, les aides concerneront les matériels réduisant ou supprimant l’utilisation des produits phytosanitaires ou bien les systèmes de protection contre les aléas (filets, bâches, serres). Des niveaux d’accompagnement sont encore à ajuster d’ici l’été, mais l’organisation globale du programme Feader est stabilisée. La Région fait à nouveau le choix d’investir massivement dans l’agriculture. Les douze départements, dont les budgets agricoles sont très inégaux, en feront-ils autant ? Les élus régionaux tenteront sans doute de les y inciter. Les dernières négociations vont se poursuivre de façon à valider à temps des consensus pour que l’an prochain ne soit pas une année blanche pour le secteur agricole.

Louisette Gouverne

Aides à l’investissement : plus simples et plus rapides

Avec la nouvelle programmation des fonds Feader (2021-2027), la Région a décidé de recourir à « l’option coûts simplifiés » prévue par des règlements européens. Depuis des mois, des réflexions et évaluations conduites par des techniciens, des organisations professionnelles et la Région ont pour but d’aboutir à ce que le montant de la plupart des aides à l’investissement dans le cadre du Feader soient calculées sur la base de forfaits types correspondant, par exemple au coût d’un bâtiment neuf de « x » m² dans une zone spécifique et selon la situation de l’agriculteur. Les règles européennes prévoient que ces coûts forfaitaires soient établis à partir d’une méthode de calcul « juste, équitable et vérifiable » et fondée sur des données statistiques ou historiques. L’option reste en cours d’instruction et elle devrait fonctionner pour les bâtiments neufs à compter de 2023. Concrètement, cette simplification – qui nécessite au préalable des calculs complexes - suppose des procédures dématérialisées, de ne plus avoir à fournir de devis, ni de factures acquittées. Elle devrait ainsi permettre de diviser par trois le temps passé entre le dépôt d’un dossier et son paiement, estime-t-on dans les services. « Un mois après le dépôt de son dossier, un agriculteur doit être capable d’avoir de la visibilité sur son projet et les fonds seront débloqués rapidement. Nous avons négocié pour que les aides demeurent au même niveau que celles de la précédente programmation », commente David Chauve, secrétaire général de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes. Les négociations ont été âpres. La question de l’indexation des coûts dans ces procédures reste sensible au vu de la situation géopolitique. Toutefois, les professionnels se montrent confiants, eux qui réclamaient depuis des années moins de lourdeurs administratives.

L.G.

La Région Bourgogne-Franche-Comté maintient la DJA à son niveau
Florent Point, président de Jeunes agriculteurs Bourgogne-Franche-Comté. ©JA BFC

La Région Bourgogne-Franche-Comté maintient la DJA à son niveau

BFC / En Bourgogne-Franche-Comté, la nouvelle programmation Pac 2021-2027 bénéficiera d’une enveloppe Feader (mesures d’investissement du second pilier de la Pac) de 254 M€ avec un cofinancement de l’État de 128 M€. L’enveloppe DJA est maintenue mais la fin de l’aide à la vache allaitante basculant vers une aide à l’UGB viendra sans doute impacter le bassin d’élevage charolais.

En Bourgogne-Franche-Comté, la future Pac a fait l’objet de plusieurs échanges entre l’État, la Chambre d’agriculture régionale et le conseil régional. « À la lumière des arbitrages désormais rendus par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, la nouvelle Pac paraît globalement favorable pour la région et pour ses agriculteurs », indique la Draaf Bourgogne-Franche-Comté. Les derniers chiffres du recensement agricole 2020 font apparaître un nombre d’exploitants à la baisse de 23 600 agriculteurs, soit 6 400 de moins qu’en 2010. Le nombre d’éleveurs de bovins allaitants a chuté de 6 300 en 2010 à 4 800 en 2022. Dans ce contexte, « l’accompagnement, notamment à l’installation et à l’investissement, va être un sujet primordial pour les exploitants agricoles de la région », affirme Florent Point, président de JA Bourgogne-Franche-Comté.

L’enveloppe DJA préservée

À la différence de la campagne 2014-2020, la programmation 2021-2027 voit, pour le second pilier de la Pac, les Régions devenir autorités de gestion, uniquement sur les aides non surfaciques et non plus sur l’ensemble du dispositif des mesures Feader. L’enveloppe globale pour la Bourgogne-Franche-Comté avoisine les 254 millions d’euros (M€) avec un cofinancement de l’État de 128 M€, soit un peu plus de 382 M€. « Concernant la DJA, elle sera financée à hauteur de 60 % par le Feader alors qu’elle était prise en charge à 80 % dans l’ancienne programmation. Notre présidente de Région (Marie-Guite Dufay) s’est déjà engagée à se substituer aux désengagements de l’État pour maintenir des capacités d’investissement sur l’installation au moins équivalente à la période précédente, ce qui représente environ 12 M€ sur les six ans », souligne Olivier Ritz, directeur général adjoint au pôle Stratégie du conseil régional Bourgogne-Franche-Comté. Une décision accompagnée d’un choix politique fort pour l’installation avec l’instauration de taux majorés, abondés par le conseil régional, pour les agriculteurs en cours d’installation.

Aides couplées : le bassin charolais impacté

D’après la Chambre régionale d’agriculture, la nouvelle réforme de la Pac devrait impacter plus particulièrement deux départements de Bourgogne-Franche-Comté : la Saône-et-Loire et la Nièvre. « Ces évolutions s’expliquent principalement par la modification des règles pour les aides couplées, avec le changement de l’aide à la vache allaitante qui passe à l’UGB. Pour la filière viande bovine, de nombreux points sont à l’étude pour répondre aux exploitations les plus impactées. C’est maintenant qu’il faut trouver des solutions pour les exploitations devant faire face à ces nouvelles règles », indique-t-elle. L’agriculture biologique (AB) représente aussi un axe fort pour les agriculteurs bourguignons avec une demande d’accompagnement aux conversions mais aussi à la structuration de filières. Les mesures permettant de financer l’AB étant gérées par l’État, l’enveloppe bourguignonne n’est pas encore connue à ce jour. « Il ne faut pas que ce soit juste un objectif politique mais que les agriculteurs puissent réellement en vivre. On constate aujourd’hui que nos filières ne sont pas suffisamment organisées, et ça ne sert à rien de les accompagner, si au bout d’un an les agriculteurs AB sont tous concurrents », estime Florent Point.

Quel accompagnement face au changement climatique ?

Autre attente phare pour la profession agricole de Bourgogne-Franche-Comté : le maintien des budgets destinés à financer les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec). L’enveloppe des Maec forfaitaires, gérée par la Région, est connue (12 M€ de Feader) mais celle des Maec surfaciques ou venant en appui aux zones Natura 2000, gérée par l’État, n’a toujours pas été communiquée. Olivier Ritz conclut : « Les crédits d’animation pour Natura 2000, on les connaît (26,90 M€) mais on ne connaît toujours pas les crédits d’intervention pour les Maec surfaciques. Cette enveloppe est dimensionnante car ce n’est pas la peine de faire de l’animation si on n’arrive pas à accompagner les acteurs des territoires. Nous espérons connaître son montant d’ici septembre 2022. »

Alison Pelotier

PROJETS / Un effet sur le terrain des fonds européens

Loin de se limiter à des grands discours, les aides européennes exercent une vraie influence sur la vie des citoyens. En région Auvergne Rhône-Alpes, nombre de projets ont été financés grâce à ces fonds. Dans l’Ain, le réaménagement du col de la Faucille entre 2014 et 2018 a permis de revitaliser ce lieu touristique en mettant en valeur le patrimoine naturel exceptionnel du site. Plus au Sud en Ardèche, les fonds européens ont contribué à soutenir l’école de projets Éveil (pour Encourager valoriser les expérimentations et initiatives locales) qui propose depuis 2020 un parcours de formation certifiant et qui accompagne des projets entrepreneuriaux innovants. Les fonds européens peuvent aussi apporter une plus-value culturelle. Dans la Drôme entre 2017 et 2019, 157 900 e de fonds Feder ont permis le développement d’une expérience culturelle sensorielle autour du risque d’inondation. Au total, ce sont plus de 1 500 personnes qui ont été sensibilisées pendant deux ans. Souvent oublié des programmes de politiques publiques, le secteur de la culture a également été bien doté en Savoie où un projet culturel inédit entre les villes de Chambéry et Turin a été créé, autour du développement de disciplines comme le cirque ou la danse. L’aspect social se place également au coeur de l’utilisation des fonds européens dans les territoires. En Isère, le projet IsèreADOM, soutenu entre 2015 et 2021 propose, via une plateforme téléphonique et web, l’accès à un bouquet de services d’aides humaines et techniques aux personnes retraitées ou atteintes de maladies chroniques pour éviter leur hospitalisation.

Social, patrimoine et entreprises

Situé en surplomb des Gorges de la Loire et du barrage hydroélectrique de Grangent, le château d’Essalois est un site touristique bien connu des Ligériens. Ici, un projet doté d’une enveloppe de 220 000 €, dont 66 000 € de fonds Feder et 40 000 € de fonds propres de la Région, a été débloquée en 2020 pour l’équiper d’un local d’accueil touristique et de salles d’exposition. Côté entreprises, les fonds européens en région Auvergne Rhône-Alpes ont permis de développer un pôle entrepreneurial à Givors (Rhône). Accueillant des « jeunes pousses » à proximité du pôle multimodal de la commune, ce projet a été pensé pour redynamiser certains quartiers et plus largement l’ensemble de la vallée du Gier. De revitalisation économique, il en a également été question en Haute-Savoie où un projet d’équipement d’un centre de taille à commande numérique a été développé. Grâce à un budget de plus de 250 000 € financé pour moitié par des fonds Feder, l’entreprise Charpentes du Lac a pu industrialiser sa production et ainsi mieux se positionner sur le marché de la construction en bois local. Une vraie plus-value pour son territoire, à l’image de tous ces projets soutenus grâce à des fonds européens.

Pierre Garcia