TRANSMISSION
Le stage, un atout pour une transmission réussie

Marin du Couëdic
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Le « stage test » proposé par la Chambre d'agriculture est un outil précieux pour favoriser la transmission entre un agriculteur cédant et un candidat hors cadre familial. Exemple à la Ferme des Chevaliers, à Plats, où Nadine et Jean-Luc Berne s’apprêtent à transmettre leur élevage de poules pondeuse bio en toute sérénité.

Le stage, un atout pour une transmission réussie
Elian Jouffret, 33 ans, va reprendre l'exploitation agricole de Jean-Luc et Nadine Berne à l'issue de son stage.

Nadine et Jean-Luc Berne le présentent affectueusement comme leur « fils adoptif ». Installés depuis quarante ans à Plats, près de Tournon-sur-Rhône, ces producteurs de poules pondeuses bio (Earl des Chevaliers) s’apprêtent à transmettre leur exploitation agricole à Elian Jouffret, 33 ans, animateur nature de formation. Une décision apparue comme une évidence, trois ans après leur rencontre avec le jeune homme. « À l’époque, nous avions besoin d’un saisonnier pour nous aider à nettoyer les bâtiments lors du vide sanitaire. Un ami agriculteur nous a conseillé Elian. Entre lui et nous, le courant est vite passé », raconte le couple d’agriculteurs. Petit à petit, une relation de confiance s’installe et les éleveurs font de plus en plus appel à lui pour des coups de main et des remplacements… Jusqu’au printemps 2021. « Quand il a été acté qu’aucune de nos quatre filles ne souhaitait reprendre l’exploitation, nous avons immédiatement pensé à Elian. »

Aujourd’hui, celui qui va reprendre d’ici quelques mois trois des quatre bâtiments agricoles (19 000 pondeuses) travaille au quotidien à la ferme. Il n’est pourtant ni associé, ni salarié… Mais stagiaire de la formation professionnelle, en convention avec la Chambre d’agriculture (lire ci-dessous). « C’est une solution qui nous a paru idéale à tous les trois. Je connaissais déjà bien l’exploitation mais le stage permet d’approfondir mes compétences et de devenir progressivement autonome sur l’ensemble des activités de la ferme, du ramassage des œufs au suivi des animaux en passant par le protocole sanitaire », explique le futur aviculteur.

« Confiance et continuité »

« De notre côté, l’idée est de diminuer petit à petit la charge de travail jusqu’à mon départ à la retraite, d’ici quelques années », précise Nadine Berne, 59 ans. Son mari, installé depuis 1981, a quant à lui fait valoir ses droits en 2021. « Nous n’aurions pas vendu notre ferme au premier venu. Nous ne voulons pas voir s’écrouler tout ce que nous avons construit ici, poursuit ce dernier. Cette transmission progressive, facilitée par le stage test, a permis ce rapport de confiance et de continuité. »

Cette envie de ralentir petit à petit la cadence et de transmettre l’exploitation familiale a pourtant pris du temps. À la Ferme des Chevaliers, Nadine et Jean-Luc Berne ont tenté une première expérience de stage en vue d’une association avec un neveu il y a presque dix ans. « Le processus n’a pas abouti. C’était trop tôt. Nous étions en pleine activité et ne voyions pas les choses de la même manière qu’aujourd’hui », rembobine Nadine. « Pour s’associer ou transmettre sa ferme, je pense qu’il faut être prêt. Ce n’était pas encore notre cas », appuie Jean-Luc.

Pour Elian Jouffret, le déclic est venu progressivement. Celui qui « rêve de travailler en extérieur depuis tout petit » a suivi un BTA Gestion de la faune aquatique en Corrèze et un BTS Gestion et protection de la nature à la MFR de Mondy, avant de travailler en tant qu’animateur nature dans la Drôme pendant plusieurs années. Tenté par une reconversion dans l’agriculture, il s’est intéressé en parallèle à une variété de productions - de l’élevage de moutons et de chèvres à la culture de la vigne et des plantes à parfum, aromatiques et médicinales - avant de trouver sa voie dans la filière avicole.

« Une décision mûrement réfléchie »

A-t-il des conseils pour les jeunes « hors cadres familiaux » qui souhaiteraient se lancer ? « Je privilégierais un stage long, d’un an dans l’idéal, pour celles et ceux qui n’ont pas d’expérience significative dans une filière. Je conseille aussi de bien budgétiser son projet car les indemnités de stage n’équivalent pas à un temps plein », rapporte le jeune ardéchois. Financé par la région Auvergne Rhône-Alpes, son stage est rémunéré environ 650 € par mois, montant qu’il complète avec une activité d’animateur à temps partiel.

Côté chefs d’exploitation, Jean-Luc et Nadine Berne insistent sur une décision « qui doit être mûrement réfléchie. Il faut trouver le bon timing, ni trop tôt ni trop tard. Après, il y a le facteur chance pour tomber sur la bonne personne », estiment les agriculteurs.

Aujourd’hui, à quelques mois de l’installation, tous trois se disent satisfaits de ce « stage test », notamment grâce à l’accompagnement de la Chambre d’agriculture, qui aide en parallèle le repreneur à accéder à la dotation jeune agriculteur.

La transmission se passe d’autant mieux que la ferme est en bonne santé financière. Adhérente à la coopérative Valsoleil, qui représente 98 % des débouchés commerciaux, l’exploitation bénéficie d’un contrat qui sera reconduit à l’installation d’Elian Jouffret. Les 2 % de production restants sont écoulés en vente directe (magasins de producteurs à 15 km autour de l’exploitation). Passée en agriculture biologique en 2016, la ferme dispose en effet d’un centre agréé de conditionnement et traçage des œufs depuis la même année.

Si la continuité des activités agricoles est de mise pour la ferme, Elian a déjà quelques projets en tête, en particulier celui de planter des châtaigniers et des noyers afin d’ombrager la parcelle et potentiellement en tirer un revenu complémentaire. « C’est encore à l’étude, ce n’est pas moi qui décide », glisse Elian. Sourire de Jean-Luc et Nadine : « Pas encore ! »

« Anticiper au moins cinq ans avant un départ à la retraite »

INTERVIEW / La Chambre d’agriculture de l’Ardèche accompagne les cédants et repreneurs intéressés par la mise en place d’un « stage test installation transmission ». Le point avec les conseillers Denis Jammes (Nord Ardèche) et Marie-Céline Herail (Sud Ardèche).

Qu’est-ce qu’un « stage test » ?

Marie-Céline Herail : « Il s’agit d’un stage de la formation professionnelle, indemnisé par Pôle emploi ou financé par la Région Auvergne Rhône-Alpes, dans le cadre d’un projet de reprise ou d’association agricole. Il ne coûte rien à l’exploitant. Le stage se déroule sur une période de six mois à un an et permet une transmission sur l’ensemble des questions liées à l’exploitation : la production, l’entretien, les réseaux de commercialisation ou les questions administratives. C’est un outil qui permet une transmission progressive et vise à professionnaliser le futur jeune agriculteur avant l’installation. »

Denis Jammes : « Le stage test permet aussi de se poser les bonnes questions et de s’assurer que les objectifs sont partagés du côté de l’agriculteur cédant comme du repreneur. Le but n’est pas forcément de réaliser 100 % d’installations à la sortie. Il y a d’ailleurs possibilité d’arrêter le stage à tout instant, d’un côté comme de l’autre. »

Que conseillez-vous aux chefs d’exploitation et aux porteurs de projets intéressés ?

M.-C.H : « Ces stages sont particulièrement intéressants lorsque le candidat à la reprise a bien mûri son projet. Il ne s’agit pas d’un stage de découverte du monde agricole. De l’autre côté, le chef d’exploitation doit jouer le jeu : le stagiaire n’est pas un salarié mais un futur repreneur ou associé. Le cédant doit l’impliquer dans les prises de décision pour petit à petit lui laisser les rênes de la structure. »

D.J : « L’une des clés, c’est l’anticipation. De la même manière qu’une installation se prépare, une transmission devrait aussi se préparer, au moins cinq ans avant le départ à la retraite. Trouver la bonne personne peut prendre du temps. La Chambre d’agriculture est d’ailleurs en mesure d’aider les cédants qui en font la demande pour les mettre en relation avec des porteurs de projet1. »

C’est un outil qui se développe en Ardèche ?

M.-C.H : « Il y a une jolie dynamique sur le territoire. Seize stages test ont eu lieu sur le département en 2021, avec des projets variés, en association ou en reprise, sur tout type de productions, végétales ou animales. Aujourd’hui, il y a cinq stages en cours et trois qui vont bientôt être mis en place dans le Sud Ardèche. »

D.J : « Nous avons une dynamique d’installation relativement forte en Ardèche, comparée à d’autres départements. Compte tenu des nombreux agriculteurs qui vont partir à la retraite dans les 5-10 ans qui viennent, les stages test devraient se développer. C’est l’une des solutions pour favoriser le renouvellement des générations en agriculture. »

1 Contacter le Point Accueil Transmission ; Tél. 04 75 20 28 30 ; [email protected]

Propos recueillis par M.D.C

REPÈRES / Les chiffres-clés en 2021

  • 16 stages test se sont déroulés en Ardèche au cours de l'année 2021.
  • 11 stages se sont terminés au cours de l’année, 6 d’entre eux ont débouché sur l'installation effective du candidat.
  • 5 stagiaires ont été financés par la région Auvergne-Rhône-Alpes, 11 ont été indemnisés par Pôle emploi.
  • 11 stages s'inscrivaient dans le cadre d'un projet d’installation sociétaire, 5 dans le cadre d'une transmission individuelle.

CONJONCTURE / La filière avicole en proie à un contexte économique et sanitaire difficile

La flambée des coûts des matières premières, notamment des céréales pour l’alimentation animale, impacte fortement la filière avicole, avec des prix de vente qui n’évoluent pas au même rythme. « Nous restons confiants même s’il y a évidemment un peu d’inquiétude. L’œuf a toujours eu des hauts et des bas », estiment les gérants de l’Earl des Chevaliers, producteurs de poules pondeuses bio à Plats. Selon eux, « il suffirait d’augmenter le prix d’un œuf d’un centime pour que la filière aille mieux ».

Côte sanitaire, l’influenza aviaire reste depuis l'automne à un niveau de risque « élevé » d’introduction du virus par l’avifaune sur le territoire national, avec pour conséquence le confinement des poules. Important passage migratoire, la vallée du Rhône est particulièrement à risque.