PATRIMOINE
Quand les Ardéchois cultivaient du tabac...

Roger Roure
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PATRIMOINE / Dans les années 1930, et jusque dans les années 1970, l'Ardèche comptait un certain nombre de producteurs de tabac, notamment dans le Sud. Roger Roure, ancien agriculteur à Laurac-en-Vivarais, revient sur cette culture aujourd'hui disparue dans le département.

Quand les Ardéchois cultivaient du tabac...
Une manoque de tabac : c'est le nom que l'on donnait des assemblages de tabac constitués de 25 feuilles.

Introduit dans l’Hexagone en 1556, le tabac est alors appelé herbe angoumoisine ou herbe pétun. En France, le service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (Seita) est créé en 1926. La consommation du tabac se développe avec le service militaire obligatoire à partir du XIXe siècle : il fait alors parti de la ration du soldat.

En avril 1970, dans le cadre de la politique européenne, le monopole du tabac est aboli. Après la privatisation du Seita en 1995, toute participation de l’Etat à son capital est abandonnée. Aujourd’hui, il reste très peu de producteurs de tabac. La bascule a notamment eu lieu en 2010, lorsque Bruxelles a coupé les aides européennes de soutien à cette filière.

La culture du tabac en Sud-Ardèche

Dès les années 1930 et jusqu’aux années 1960 voire 1970, bon nombre d’exploitations du Sud-Ardèche cultivaient le tabac. Moi-même, j’ai beaucoup de souvenirs de cette époque, les jeunes étant mobilisés pour les travaux de cette culture.

La préparation du semis avait lieu au mois de mars et devait être soignée. Certaines années, on stérilisait la terre en la chauffant sur une hauteur de 15 cm, principalement pour éviter les problèmes de courtilières et nématodes. Le semis était protégé par des chassis en vitrex, et à sa levée, le danger venait des escargots et des limaces, qui le dévoraient. Une fois le jour tombé, nous partions à la chasse à la limace avec une lampe électrique !

Les plants étaient ensuite transplantés en plein champ vers la mi-mai. La culture du tabac étant très encadrée, un vérificateur passait régulièrement sur le terrain – sans prévenir de son passage – pour contrôler l’état de la plantation. En cas de problème, un rapport nous était envoyé. Parfois, le rapport ordonnait la destruction obligatoire : il était interdit de garder les plats du semis une fois la plantation terminée.

L’entretien de la culture était basé sur un apport de matières organiques et notamment un bon dosage de NPK, un binage régulier pour éliminer les herbes (il n’y avait pas de désherbant à l’époque) et des arrosages fréquents jusqu’à la récolte.

La récolte : tout un art !

Fin juillet, les plantes atteignaient une hauteur maximum de 1,80 m avec l’apparition d’une fleur à l’extrémité, que l’on devait couper pour favoriser le développement des feuilles. La récolte, en juillet – août, se pratiquait en trois passages : d’abord, les feuilles du bas, ensuite celles du milieu appelées les « médianes », puis celles du haut, « les couronnes ». C’est de cette période que j’ai conservé les plus grands souvenirs : notre travail de jeunes saisonniers consistait à enfiler feuille par feuille des guirlandes en fil de fer pour être ensuite positionnées dans des séchoirs. Nous recevions une petite récompense en fonction du nombre de guirlandes réalisées !

Une fois sec, le tabac était stocké jusqu’au mois de novembre. Venait alors le temps du triage feuille par feuille qui occupait les soirées de novembre et décembre. Le tri se faisait en fonction de la couleur, et de l’épaisseur pour confectionner des manoques, à savoir des assemblages de 24 feuilles liées entre elles par une 25e feuille. On confectionnait ensuite des ballots à l’aide d’une moule démontable.

Quelques fois, en raison d’un fort vent du Nord, on était obligé de produire de la vapeur pour pouvoir manipuler les feuilles sans risque de les briser.

La livraison avait lieu en janvier et février, dans la région de Montélimar. Tous les lots étaient vérifiés et classés. Pour espérer la meilleure rémunération, il fallait obtenir un classement 44. Mon père, qui était président départemental des planteurs de tabac, avait pour rôle essentiel de résoudre les litiges dus au classement des lots au moment de la livraison.

Le souvenir de nos anciens…

La culture du tabac demandait beaucoup de main-d’œuvre et avait un gros avantage : en cas d’orage de grêle, la récolte était assurée sur la base des trois dernières années de récolte par la Seita.

Dans les années 1970, la culture du tabac a été abandonnée pour laisser place à celle des arbres fruitiers et au développement du vignoble.

Je conserve toujours le souvenir des anciens qui « prisaient » (ils introduisaient du tabac dans le nez), ou chiquaient (mastiquaient le tabac dans la bouche). Et bien sûr, ils fumaient soit à la pipe soit à la cigarette.

Roger Roure

HISTOIRE / Lorsque Christophe Colomb a découvert le tabac...

Le tabac fait partie des plantes américaines dont l'introduction sur le Vieux continent a profondément bouleversé les habitudes de vie des Européens. Découvert en 1492 par Christophe Colomb lors de son arrivée à San Salvador, le tabac sera reconnu au XVIe siècle pour ses vertus médicinales… Vertus largement controversées au siècle suivant, lorsque sa consommation atteint les milieux populaires.