MARCHÉS
Les viandes « sens dessus dessous » après le déconfinement

Mélodie Comte
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MARCHÉS / En temps de déconfinement, entre campagne de promotion, cotations au plus haut ou au plus bas : les marchés des viandes ovine et bovine ont vécu une situation complètement inédite.

Les viandes « sens dessus dessous » après le déconfinement
La décapitalisation des vaches allaitantes, entamée en 2017, se poursuit.

Un mois après le déconfinement, l’Idèle donne une première tendance des marchés des viandes bovine et ovine. Les marchés complètement déstructurés pendant cette période maintiennent un comportement instable et inédit. Ainsi, la viande ovine connaît sa « plus forte cotation depuis 20 ans » tandis que le « prix des vaches fortement diminué pendant le confinement repart à la hausse ».

Agneau : une cotation élevée pour la saison

Personne n’aurait jamais cru voir un jour des marchés s’arrêter net en à peine 24 heures. Le Covid-19 l’a fait, déstabilisant plus d’une décennie de commerce de la viande. Les premiers à subir cette crise ont été les éleveurs ovins. La période de Pâques est d’ordinaire la plus porteuse de l’année mais confinement oblige, les grandes réunions de famille n’ont pas eu lieu. « La filière ovine n’a pas connu la forte demande habituelle à cette période », explique Cassandre Matras, animatrice à l’Idele.

Voyant le désastre arriver, l’ensemble des acteurs (FNO, bouchers, cuisiniers...) se sont mobilisés pour promouvoir l’agneau français auprès des consommateurs ayant le temps de se remettre derrière les fourneaux. Cette large campagne de communication a été payante puisque moins d’une semaine après Pâques «la demande a fortement augmenté ». À cela s’ajoute la fin du Ramadan qui fut aussi porteuse pour la filière ovine ainsi que la réouverture de la restauration hors domicile. Résultat, en avril 2020, « la production abattue de viande ovine n’a diminué que de 1 % par rapport à 2019 ». Environ 440 100 agneaux (soit 7900 tonnes équivalent carcasse ) ont été comptabilisés soit - 3 % par rapport à 2019. Après une impressionnante chute des prix dès le confinement et jusqu’à Pâques, la cotation des agneaux n’a jamais été aussi élevée « depuis 20 ans » pour la saison. « Entre le 1er et le 7 juin, le prix de l’agneau est de 6,56 €/kg soit +53 centimes par rapport à 2019. »

Des importations ovines à la baisse

La raison de cette remontée repose d’abord sur les consommateurs qui ont privilégié l’agneau français mais également sur le net recul des importations. Le Royaume-Uni, à lui seul, a exporté vers la France 29 % de viande ovine (soit 6 700 téc) en moins sur le mois d’avril. « Les maillons de la filière se sont serrés les coudes pour freiner les importations et éviter l’engorgement du marché. Certains distributeurs ont congelé de la viande d’agneau néozélandais qu’ils pouvaient avoir. D’autres ont carrément stoppé leurs importations ou les ont fortement diminuées. Ceci a participé à ne pas faire chuter la cotation de l’agneau français », précise Cassandre Matras.

Toujours selon l’animatrice, cette baisse des importations devait durer « jusqu’à mi-juin », période à laquelle tous les agneaux laitiers seront sortis laissant la filière dans une « offre basse ». Le Royaume-Uni, affecté par le Brexit, voit sa production d’agneaux reculer très nettement avec, depuis le début de l’année 2020, 21 000 téc en moins (soit 20 %) par rapport à 2019. De ce fait, les Britanniques augmentent leurs importations. Leurs voisins irlandais maintiennent leur production et voient même leurs abattages augmenter de 11 % et leurs exportations de 6 %. Enfin, l’Espagne subit de plein fouet la crise Covid-19. La fermeture de la RHD « premier canal de consommation en Espagne » et la baisse des exportations (37 % de la production) ont entraîné un engorgement de son marché. La cotation de l’agneau lourd espagnol est descendue jusqu’en dessous des 5 €/kg. Du côté des pays océaniques, l’offre australienne est en recul, tout comme celle de la Nouvelle-Zélande. « Les deux pays se tournent davantage vers la Chine. La Nouvelle-Zélande consacre d’ailleurs 50 % de ses exports avec le pays. »

La viande bovine toujours en progression

Du côté de la viande bovine, la situation a elle aussi évolué depuis le début du déconfinement. Le panel d’achats des ménages Kantar, sur avril 2020, précise ainsi que les volumes de viandes bovines consommés ont progressé de 21,7 % entraînant une revalorisation du prix moyen de 3,6 %. « Cela ne veut pas dire qu’il y a de l’inflation mais que les pièces achetées sont plus nobles », détaille Philippe Choteau, animateur à l’Idele. Néanmoins, la forte progression sur les viandes hachées se poursuit. En moyenne, du 16 mars au 10 mai, les ventes de viande hachée surgelée ont augmenté de + 57 % et le boeuf haché frais de + 31 %. Du 11 jusqu’au 31 mai, l’augmentation de ces dernières avoisine chacune les 15 %. Dans ce contexte, le prix des vaches en France connaît un fort rebond après une chute au début du confinement. Au 7 juin, la vache U et la vache R voyaient leur prix augmenter respectivement de + 3 % et + 2 % par rapport à 2019. A contrario, « les vaches de type laitiers (O et P) restent à des niveaux moindres que l’année précédente ».

Dans le même temps, les abattages de vaches à viande ont augmenté de + 3 % en tonnage et ont diminué pour les vaches laitières de - 2 %. La décapitalisation des vaches allaitantes, entamée en 2017, se poursuit. « Elle était très forte en début d’année (- 2,3 %) et elle a tendance maintenant à ralentir (- 1,9 %). Les génisses sont toujours en baisse avec - 6,5 % d’effectifs en mai 2020 contre - 7,8 % au mois de mars. » Concernant les vaches laitières, on observe davantage une accélération de la baisse du cheptel. « Au 1er mai 2020, on compte par rapport à 2019 à la même période, 65 000 têtes en moins ainsi que - 4,7 % de génisses de 24-36 mois. »

Un marché des jeunes bovins toujours lourd

Les prix des jeunes bovins (JB) sont toujours en deçà de ceux de l’année précédente. Durant toute la période de confinement, les abattages sont restés en retrait et le sont encore (- 6 % par rapport à 2019 en tonnage JB viande et – 18 % par rapport à 2019 JB lait). Au 7 juin, l’Idele estimait le surstock de jeunes bovins à 16 400 têtes, d’après les données SPIE, Normabev et Bovex. Quant aux broutards, les cours connaissent une hausse saisonnière modérée. « Les prix des charolais et des croisés augmentent un peu tandis que les prix des limousins stagnent. » Pourtant, l’offre reste globalement en retrait. Elle est même très marquée pour les races charolaise et blonde d’aquitaine.

Mélodie Comte


Après une impressionnante chute des prix dès le confinement et jusqu’à Pâques, la cotation des agneaux n’a jamais été aussi élevée « depuis 20 ans » pour la saison. « Entre le 1er et le 7 juin, le prix de l’agneau est de 6,56 €/kg soit + 53 centimes par rapport à 2019. »

Depuis le début du déconfinement, la progression des achats de hachés reste importante mais moins élevée que pendant le confinement. Les ventes de haché surgelé sur les semaines 20 à 22 ont progressé de + 16 % par rapport à 2019. Les achats de viande hachée réfrigérée ont augmenté de + 15 % par rapport à 2019.

COVID-19 / Le solde commercial agroalimentaire français chute en avril

Après un recul de 55 M€ sur le mois de mars, l’excédent commercial agroalimentaire français a chuté de 312 M€ en avril (par rapport à avril 2019), pour atteindre 563 M€, selon une note de conjoncture publiée le 16 juin par le ministère de l’Agriculture. La diminution des importations de 10 % à 4,4 Mrd€ ne compense pas la chute des exportations de 14 % à 4,9 Mrd€. « Dans le contexte de crise sanitaire du Covid-19 et d’arrêt des activités non essentielles en France et dans le monde, les échanges se contractent de nouveau », expliquent les statisticiens. Dans le détail, le solde des produits agricoles bruts est, lui, en hausse de 40 M€ sur un an à 370 M€ grâce à de bonnes performances vers les pays tiers. Les exportations de céréales (blé tendre et orge) augmentent, tout comme celles de fruits.

Parallèlement, les expéditions de colza et de bovins vivants diminuent. Les importations se réduisent également du fait de l’effondrement de la consommation de produits de la mer pendant que les achats de fruits et légumes présentent une hausse notable. À l’inverse, le solde commercial des produits transformés diminue de 352 M€ par rapport à avril 2019 et atteint 189 M€ en avril 2020. Les exportations de vins et de champagnes se sont en effet effondrées « notamment vers les États-Unis, pénalisées par les taxes mises en place depuis mi-octobre 2019 mais aussi vers le Royaume-Uni après les achats par anticipation du Brexit puis sous l’effet des mesures de confinement mises en place à partir de fin mars », indiquent les services du ministère. Les exportations de spiritueux diminuent également drastiquement. Côté importations, les achats de viandes et de produits de l’abattage notamment en viande bovine, de produits laitiers et de boissons apparaissent particulièrement en baisse.

A.J.