PASTORALISME
« Une pratique singulière répandue partout dans le monde »

Propos recueillis par Sophie Chatenet
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PASTORALISME / Cheville ouvrière du dossier d’inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, le collectif des races locales de massif (Coram), par la voix de son président Jean-Luc Chauvel, éleveur en Haute-Loire, revient sur le chemin parcouru et sur l’esprit de la démarche qui a obtenu début juin l’aval de la France. Une première étape.

 « Une pratique singulière répandue partout dans le monde »
L’étymologie du terme « transhumance » révèle deux informations : « trans » (au-delà) et « humus » (le pays), car le voyage qu’il désigne conduit au-delà du territoire d’origine. La transhumance désigne en effet le déplacement saisonnier d’un troupeau en vue de rejoindre une zone où il pourra se nourrir. ®Marie_Cabrol
ITW
Jean-Luc Chauvel est le président du collectif des races locales de massif (Coram).

Comment cette volonté de faire re­connaître la transhumance par l’Unes­co est-elle née ?

Jean-Luc Chauvel : « En 2017, alors que se tenait à Coblence en Allemagne une rencontre des bergers d’Europe, nous avons initié l’idée avec l’Espagne, l’Albanie, la Croatie, l’Autriche, l’Italie et la Grèce de déposer un dossier à l’Unes­co. Les Italiens avaient déjà enclenché ce type de démarche, mais qui portait sur les chemins de la transhumance. Notre volonté était d’aller plus loin en faisant reconnaître la pratique dans son ensemble. »

Quelle a été la première étape de ce travail collectif ?

J-L.C : « Nous nous sommes d’abord attachés à circonscrire la définition de celui qui surveille ses animaux et qui se déplace. Selon les pays, on l’appelle transhumant, nomade… Mais quel que soit le vocabulaire, la transhumance sert à optimiser la ressource fourragère, elle est toujours pratiquée sur des territoires défavorisés où seul l’élevage est possible. La plupart du temps, des races locales sont associées à ces pratiques. C’est à ce niveau-là que le Coram s’est investi. À l’échelle française, les six territoires de massif se sont accordés sur une syn­thèse et ont convergé vers une définition partagée de la transhumance. »

En quoi, selon vous, la pratique de la transhumance est-elle éligible au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco ?

J-L.C : « Même si aujourd’hui la transhumance se fait rarement à pied, à travers elle, il se noue des échanges entre les hommes, se façonne des cultures et des espaces ouverts. Notre démarche vise la reconnaissance au patrimoine culturel immatériel, ce qui implique que la pra­tique intéresse certes le secteur agricole, mais qu’elle a des conséquences sur la culture, l’économie, l’artisanat, la société toute entière. Notre job est de faire recon­naître une pratique et de pouvoir mettre en place des programmes de sauvegarde pour la préserver. Mais ne nous y trom­pons pas, le mot sauvegarde n’est pas synonyme de sanctuarisation. »

La reconnaissance à l’Unesco peut-elle, selon vous, infléchir les critiques émises à l’encontre de l’élevage ?

J-L.C : « On va démontrer l’adapta­tion et la modernité de ces techniques d’élevage, et remettre sur le devant de la scène l’utilité des éleveurs. À l’heure où les charges contre l’agriculture sont récurrentes, c’est important. Par ailleurs, même si la reconnaissance n’est pas un label, la valorisation des méthodes de production peut amener à celle des pro­duits issus de ce territoire ; tout comme une prise en compte des espaces pasto­raux intimement liés à la transhumance dans la politique agricole commune. Enfin, force est de constater que notre modèle est dans l’air du temps car il s’adapte à l’évolution climatique. »

Difficile d’évoquer la transhumance sans aborder la question épineuse du loup et de l’ours qui déciment des trou­peaux entiers de brebis…

J-L.C : « Le dossier Unesco ambitionne de reconnaître des territoires façonnés par toutes formes de biodiversité, qu’elles soient animale ou végétale, domestique ou sauvage. Mais la biodiversité invasive et prédatrice doit être maîtrisée. L’inter­vention de l’homme est nécessaire pour la réguler. L’essentiel de l’incompatibilité vient aujourd’hui du nombre. »

Début juin, une nouvelle étape a été franchie dans ce processus de recon­naissance. Quelle sera la suivante ?

J-L.C : « En effet, à l’issue d’une réu­nion au ministère de la Culture le 2 juin dernier, le Comité du patrimoine ethnolo­gique et immatériel a rendu à l’unanimité un avis favorable à l’inscription des sa­voir-faire et des pratiques de la transhu­mance en France à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel. On enclenche désormais la seconde étape, avec le dépôt de notre candidature au patrimoine culturel immatériel de l’hu­manité cet automne. Les pays nordiques souhaitent nous rejoindre. Nous avons bon espoir d’aboutir rapidement (ndlr : fin 2021) dans la mesure où la pratique que l’on défend est à la fois singulière et répandue partout dans le monde. »

Propos recueillis par Sophie Chatenet

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« Chaque fois que la transhumance et le pastoralisme sont mis en lumière, c’est important pour nous. Nous avons bien besoin aujourd’hui de remettre en avant le travail des éleveurs qui façonnent les terrains de jeux des urbains. Avec l’expérience de la chaîne des Puys, placée au patrimoine mondial de l’Unesco en 2017, on mesure encore le travail énorme à mener sur la pédagogie, la communication à travers des panneaux, les applications. Si la faille de Limagne est lisible, c’est grâce au pastoralisme. L’inscription de la transhumance à l’Unesco peut aussi permettre de mettre en réseau le savoir-faire lié au pastoralisme. En terme politique, elle nous donnera un argument de plus pour obtenir d’emblée une bonification environnementale dans le cadre de la Pac. »