INTERVIEW
« La neutralité carbone n’a jamais été un objectif des politiques agricoles »

Propos recueillis par I.L.
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INTERVIEW / Publié en juillet, le dernier rapport du Haut conseil pour le climat (HCC) souligne le manque d’effort de l’ensemble des secteurs pour atteindre la neutralité carbone, et le manque de cohérence des politiques actuelles. Marion Guillou, ancienne PDG de l’Inrae, présidente d’Agreenium et membre du HCC, détaille ses recommandations pour le secteur agricole.

« La neutralité carbone n’a jamais été un objectif des politiques agricoles »
Marion Guillou, ancienne PDG de l’Inrae, présidente d’Agreenium et membre du Haut conseil pour le climat.

Le rapport du Haut conseil pour le climat souligne que « l’agriculture française n’est pas structurellement engagée vers la neutralité carbone ». Pourquoi votre analyse est-elle aussi sévère ?

Marion Guillou : « C’est simplement un constat assez neutre. La neutralité carbone n’a jamais été un objectif des politiques agricoles jusqu’à maintenant, et donc il n’y a pas eu d’effort pour diminuer structurellement les contributions à l’effet de serre et stopper les émissions. Ce que je vois en revanche, c’est une prise de conscience du monde agricole. Le fait que le changement climatique soit le thème de travail de la FNSEA cette année, c’est intéressant. Cela montre que les exploitants observent les conséquences des modifications du climat, à la fois individuellement, mais aussi collectivement. On peut être climatosceptique dans son bureau de la Maison Blanche, mais pas dans les champs. »

Quelles sont les principales mesures préconisées par votre rapport pour atteindre les objectifs climatiques dans le secteur agricole ?

M.G. : « La première mesure est de favoriser partout l’adoption de pratiques qui permettent de stocker du carbone ou d’arrêter d’en déstocker, comme le développement des prairies permanentes, ou les intercultures. En second lieu, il nous semble important de concrétiser le plan protéines végétales, tant pour réduire les utilisations d’engrais et équilibrer des régimes alimentaires avec moins de viande, que pour stopper la déforestation importée. Notre troisième recommandation est de diminuer les émissions de méthane de l’élevage, notamment par des projets comme le label bas carbone. Enfin, nous suggérons une mesure d’affichage environnemental sur les produits, pour encourager les efforts de l’amont. Nous avons signalé qu’il serait intéressant de stimuler des fermes zéro carbone, pour montrer à quel coût et sous quelles conditions ce type d’initiative peut marcher. »

En quoi ces pistes-là répondent-elles plus que d’autres à l’urgence climatique ?

M.G. : « Il est important d’avoir des ordres de grandeur en tête, pour décider quel type d’action réaliser, et à quelle hauteur les financer. Ces pistes que nous proposons sont donc toutes des pistes entraînant des réductions significatives de gaz à effet de serre. Les émissions du secteur agricole représentent 86 Mt de CO2 annuellement en France. Or, la déforestation représente à elle seule une empreinte de 27 Mt de CO2 équivalent, comme le souligne le ministère de la Transition écologique. À l’inverse, l’étude 4p1000 de l’Inrae montre que 15 Mt de CO2 peuvent être stockées si la valorisation de la tonne de CO2 atteint 55 €. Le financement nécessaire pour inciter à ces changements de pratiques représenterait 159 millions d’euros par an, soit une enveloppe assez faible par rapport au budget de la Pac, pour des résultats loin d’être négligeables. Les méthodes de mesure sont encore lourdes et coûteuses, mais les recherches avancent. Les technologies satellites nous permettront sans doute un jour de nous affranchir des analyses coûteuses des carottages de sol, pour aller vers une couverture territoriale plus large et un suivi à distance. »

Certaines de ces pistes, comme le plan protéine ou l’affichage environnemental, ont déjà été évoquées par le gouvernement. Pourquoi la mise en place tarde-t-elle autant selon vous ?

M.G. : « Le plan en faveur des protéines végétales demande une mobilisation générale de la filière agricole, de l’amont jusqu’à l’aval, pour stocker et pour valoriser les protéines végétales. Changer le système exige donc d’entraîner beaucoup d’acteurs à la fois, et ce n’est pas simple. Mais entre les nouvelles aspirations des consommateurs, et les déclarations récentes de la Commission européenne, qui est prête à aider ce genre de transition, c’est pour moi le bon moment. Il faut que les protéines végétales fassent partie des investissements du plan de relance pour aider les transformateurs qui ouvriront des débouchés. »

Propos recueillis par I.L.