ENVIRONNEMENT
À qui appartient l’eau ?

Claudine Lavorel
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RESSOURCE / À l’heure actuelle, près d’un milliard de personnes n’ont pas accès à une eau salubre. Chaque année, le manque d’eau potable tue plus d’enfants que toutes les formes de violence. L’or bleu est devenu un bien marchand hautement lucratif que les géants de la finance se sont déjà appropriés.

À qui appartient l’eau ?
©Pixabay

Le prometteur marché de l’eau s’annonce comme le prochain casino mondial. Les géants de la finance l’ont bien compris et se battent pour s’emparer de ce nouvel « or bleu ».

Partout, la demande en eau explose

Réchauffement climatique, pollution, pression démographique, extension des surfaces agricoles : partout dans le monde, la demande en eau explose et l’offre se raréfie. En 2050, une personne sur quatre vivra probablement dans un pays affecté par des pénuries. Après l’or et le pétrole, l’or bleu devient la ressource la plus convoitée de la planète
et attise les appétits des géants de la finance qui parient sur sa valeur en hausse, source de profits mirobolants. Privatisée en 1989 par Margaret Thatcher, la gestion de l’eau britannique a donné des idées aux banques et fonds de pensions pour faire augmenter le prix de l’eau et faire fructifier leurs placements. En 2017, Thames Water, qui gère notamment l’eau du Grand Londres, a été condamné à plus de 20 millions de livres d’amende pour avoir déversé des milliards de litres d’eau usée dans la nature. Cette entreprise était détenue par un groupement de fonds koweitiens, canadiens et émiratis à travers un complexe montage juridique et auxquels l’entreprise anglaise a versé entre 2006 et 2015 plus d’un milliard de livres de dividendes. En Australie, l’eau coûte actuellement plus cher que le foncier. Et cette marchandisation de l’eau a déjà acculé des fermiers à la faillite au profit de l’agriculture industrielle. La Californie imite actuellement ce modèle d’une bourse de l’eau, où avec un clic sur internet on achète le droit d’ouvrir la vanne au bout de sa parcelle, avec un cours de l’eau qui varie tous les jours en fonction de l’offre et de la demande.

Résister contre les fonds « vautours »

Face à cette redoutable offensive, la résistance s’est organisée pour défendre le droit à l’eau pour tous et sanctuariser cette ressource vitale limitée, dont dépendront près de 10 milliards d’habitants sur Terre à l’horizon 2050. La Canadienne Maude Barlow, qui a exercé les fonctions de conseillère principale sur l’eau auprès du 63e président de l’assemblée générale des Nations Unies en 2008-2009, a dirigé la campagne visant à faire reconnaître l’eau comme un droit humain par l’ONU en 2010. Elle prône la protection et un usage maîtrisé des ressources et s’oppose à l’intervention du secteur privé dans la gestion de l’eau : « Si le secteur privé peut jouer un rôle important dans la mise en place d’infrastructures adéquates en matière de distribution et d’assainissement, il ne doit pas, en revanche, déterminer les politiques de gestion de l’eau », affirme-t-elle.

L’accès à l’eau est la plus grande inégalité

À l’heure actuelle, plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à une eau salubre et 2,6 milliards n’ont pas d’assainissement adéquat. Le manque d’eau potable tue plus d’enfants que toutes les formes de violence, y compris la guerre. Les perspectives d’évolution démographique permettent d’augurer qu’en 2050, près de 40 % de la population du globe souffrira de stress hydrique, entrave majeure à toute perspective de développement. Avec pour conséquences l’absence de sécurité alimentaire, des pertes économiques, une pollution sans cesse accrue et de probables conflits. De plus, le changement climatique a lui aussi des conséquences sur la disponibilité en eau. Il provoque une augmentation de l’ampleur et de la fréquence des catastrophes naturelles : inondations, sécheresses, glissements de terrain, ouragans et cyclones. Si les prévisions actuelles se confirment, avec un climat plus irrégulier dans les années à venir, le rendement des cultures serait menacé tant dans les pays développés que dans les pays
en développement avec pour conséquence des grandes vagues de réfugiés environnementaux.

Une priorité de l’ONU

Depuis 2018, les Nations Unies ont mis en place l’ODD6 (objectif de développement durable) pour garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement, gérés de façon durable d’ici 2030. António Guterres, secrétaire général des Nations Unies affirme qu’il faut accélérer considérablement le rythme de mise en oeuvre de ces objectifs. Le 29 septembre dernier lors de la réunion annuelle d’ONU-Eau, son président, Gilbert F. Houngbo, s’est montré optimiste : « La Covid-19 nous rend profondément conscients de notre vulnérabilité et de notre destin communs. Pourtant, l’extraordinaire bouleversement mondial causé par la pandémie offre une opportunité unique et un nouvel espoir de « reconstruire en mieux ». Avec un changement de priorités, nous pouvons mettre le monde sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030, y compris celui de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous ».

Claudine Lavorel

L’eau, essence même de la vie, ne devrait pas être monnayable. C’est notre patrimoine commun.

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©DR
Approvisionnement en eau potable en % de la population

Réponses technologiques et innovantes

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Face aux défis de l’eau émergent des réponses technologiques innovantes comme le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées. À quel prix ? Là encore, l’accès à l’eau ne sera pas possible pour tous. ©DR