PROTECTION
Agrivoltaïsme : trois hectares de vergers suivis dans la Drôme

L’agrivoltaïsme est présenté comme un moyen de limiter l’impact des canicules ou du gel sur les vergers. Le point avec le programme d’expérimentation suivi par la Sefra qui a récemment démarré pour au moins cinq ans. 

Agrivoltaïsme : trois hectares de vergers suivis dans la Drôme
1 850 m² de pêchers en sixième feuille ont été couverts de persiennes. Le reste des plantations sera réalisé en 2022. Des filets para-grêle seront également posés grâce aux supports des persiennes. ©AD26

Apporter des solutions pour protéger les cultures face au changement climatique tout en produisant de l’électricité. C’est le défi que souhaite relever la filière agrivoltaïque. Le principe ? Des persiennes photovoltaïques installées au-dessus des cultures, dont l’orientation est pilotée pour optimiser le bien-être des plantes. Objectif : préserver les cultures des brûlures ou du stress hydrique en période de canicule ou encore des gels de faible intensité au printemps. Si le concept a de quoi séduire, les producteurs manquent aujourd’hui de références pour mesurer l’intérêt agronomique de ces installations. C’est pourquoi la chambre d’agriculture de la Drôme et la station d'expérimentation fruits d'Auvergne-Rhône-Alpes (Sefra) ont choisi de s’associer à la société Sun’Agri pour conduire une expérimentation « grandeur nature » de verger agrivoltaïque. 

Suivi sur pêchers, abricotiers et cerisiers

Près de trois hectares viennent d’être couverts par des persiennes mobiles sur le site de la Sefra à Etoile-sur-Rhône. Dessous vont être plantées début 2022 différentes variétés en abricot, pêche et cerise. « L’objectif est d’avoir un large panel de variétés qui présentent des comportements différents par rapport aux besoins en froid, à la chaleur et à l’ensoleillement », précise Sophie Stévenin, directrice de la Sefra. « Nous testerons également différentes formes : en volume (gobelet, double Y en pêchers) mais aussi plates (axe ou palmette) qui permettront de densifier le verger ». Les poteaux métalliques, supports des persiennes, seront utilisés pour le palissage des arbres et l’accrochage des filets para-grêle. Juste à côté du verger agrivoltaïque, une parcelle témoin d’un hectare, avec poteaux bois pour le palissage et les filets para-grêle, sera également implantée.

1 850 m² de pêchers déjà en production

Le suivi expérimental démarrera dès 2022. Il portera sur 3 700 m² de pêchers (sixième feuille), conduits en gobelet, qui étaient déjà en place sur la parcelle. La moitié de cette surface a été recouverte de persiennes, l’autre moitié servira de témoin. « L’intérêt de travailler sur ces pêchers, que nous suivons déjà depuis plusieurs années, est que nous disposerons rapidement de résultats », souligne Sophie Stévenin. De son côté la société Sun’Agri compte sur cette micro-parcelle pour acquérir les données agronomiques nécessaires à la construction des modèles de croissance qui permettent le pilotage des persiennes sur vergers de pêchers.

Les jeunes plantations feront également l’objet d’un suivi très précis de la Sefra pour mesurer les effets de l’installation agrivoltaïque sur leur croissance, mais aussi l’impact du tassement du sol lié aux travaux nécessaires pour poser les persiennes en comparaison avec la parcelle témoin. « Ces données font également partie des questionnements à prendre en compte pour un producteur qui souhaite implanter un verger dans le cadre d’un projet agrivoltaïque », insiste Sophie Stévenin. 

Suivi en situation réelle

Ce verger « démonstrateur » est une première dans la vallée du Rhône. Il a été dimensionné pour correspondre à une situation réaliste, c’est à dire que l’investissement soit économiquement rentable en termes de production d’électricité. « C’est le type d’installation que nous pourrions tout à fait rencontrer chez des producteurs en Drôme compte-tenu du parcellaire des exploitations », décrit la directrice de la Sefra. Ce projet en conditions réelles va donc permettre d’acquérir un maximum de références. « Dans le cadre du protocole que nous avons établi avec Sun’Agri, la Sefra sera chargée d’observer la croissance des arbres, les dates et qualité de débourrement et de floraison, l’influence des gels de printemps sur les vergers en production, les taux de fructification, les temps de travaux. Seront aussi analysés les rendements et la qualité des fruits (au niveau sanitaire, esthétique et gustatif), les calibres, les consommations en eau et fertilisants, le développement des maladies, ravageurs et auxiliaires, les dates de chute des feuilles », détaille la responsable du projet. Elle précise que la Sefra n’est pas impliquée dans la vente d’électricité liée à ce projet, « ce qui fait de nous un partenaire complètement objectif dans nos observations ».

Des références locales fiables

Les producteurs pourront s’appuyer sur des références locales fiables pour identifier l’intérêt ou non de se tourner vers une installation agrivoltaïque. « Les canicules sont un vrai problème pour les vergers, avec une augmentation de la consommation d’eau, des arbres stressés, des blocages de végétation et des fruits qui ne grossissent plus et des risques de brûlure d’épiderme due au fort ensoleillement. Nous allons pouvoir mesurer l’effet du dispositif pour réduire ces phénomènes », commente Sophie Stévenin. L’impact sur les gels de printemps sera également suivi de près, notamment en mesurant l’effet des persiennes sur les gains de température au sol en cas de gelée blanche. La question de l’utilisation de moyens de lutte antigel sous ce type d’installation se posera également. « C’est un sujet que nous devrons expérimenter avec la Sefra », confirme Alexandre Cartier, responsable du projet chez Sun’Agri. Pourquoi pas via la pose de câbles chauffants électriques. Une innovation technologique qui pourrait facilement être mise en place sur ce futur verger agrivoltaïque, reconnaît Alexandre Cartier. Ce projet qui voit le jour en Drôme permettra sans aucun doute d’explorer de nombreuses pistes d’adaptation face au changement climatique. 

Sophie Sabot

POINT DE VUE / Bruno Darnaud, président de la Sefra

« Cela fait quatre ans que nous sommes en réflexion sur ce projet agrivoltaïque. Nous voyons bien que le développement du photovoltaïque est pleinement engagé. Mais je rappelle que la position prise dans la Drôme lors des Assises du foncier1 est défavorable à l’installation de panneaux au sol sur des espaces agricoles. C’est pourquoi, l’agrivoltaïsme, qui donne la priorité à la production agricole en faisant de la production d’électricité un objectif secondaire, nous semble une voie d’avenir. D’autant que ces installations peuvent permettre, par exemple en servant de support pour des filets para-grêle, d’amoindrir la masse de capitaux à investir pour la protection des vergers. Nous devons cependant disposer de données sur les effets des persiennes agrivoltaïques sur les arbres et la production. Dans la Drôme, nous avons estimé qu’une expérimentation comme celle que nous lançons à la Sefra a tout son intérêt plutôt que de multiplier des installations individuelles sur lesquelles nous n’aurons pas de recul. Mais nous sentons que les choses s’accélèrent et que des producteurs souhaiteraient pouvoir se lancer. C’est pourquoi nous espérons avoir des résultats très rapidement sur le verger de pêchers déjà en place. »

Propos recueillis par Sophie Sabot

1. Portées par la chambre d’agriculture, le Département et les services de l’État. 

ENTREPRISE / Sun’Agri en bref

Sun’Agri est l’une des divisions du groupe français Sun’R. Créée en 2019, elle se donne pour ambition de développer l’agrivoltaïsme à l’échelle des exploitations agricoles. Elle s’appuie pour cela sur les données acquises lors de trois programmes de recherche (Sun’Agri 1 de 2009 à 2013, Sun’Agri 2 de 2013 à 2017 et Sun’Agri 3 jusqu’en 2023). Ces programmes, menés en partenariat avec des organismes tels que l’Inrae, ont permis de mesurer les bénéfices de la technologie agrivoltaïque en conditions expérimentales sur vergers, vignes et en maraîchage. Ils confirment, selon Sun’Agri, son efficacité dans la lutte contre les excès de chaleur (comme le coup de chaud du 28 juin 2019 : jusqu’à 4 °C de moins à l’ombre des panneaux) ou le gel (comme le 8 avril 2021 sur vigne, jusqu’à 2,5 °C de plus sous les panneaux). Sun’Agri annonce également avoir mesuré une forte réduction des apports d'eau par irrigation (de 30 à 35 % durant les pics de chaleur de l’été). En arboriculture, la société dispose déjà d’un dispositif de recherche sur la station d’expérimentation de la Pugère (Bouches-du-Rhône), qui comporte 800 m² de pommiers sous persiennes et 300 m² de zone témoin. Avec le site démonstrateur d’Etoile-sur-Rhône, Sun’Agri compte poursuivre ses expérimentations pour améliorer ses stratégies de pilotage et la robustesse de ses modèles agronomiques.

Sophie Sabot