ENVIRONNEMENT
Piégeage du carbone dans les sols : une solution gagnante pour tous

Pierre Garcia & Amandine Priolet
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ENVIRONNEMENT / Enjeu majeur ayant émergé il y a quelques années, le piégeage du carbone est au coeur de la stratégie bas carbone française. Dans cette optique, le potentiel de l’agriculture est immense. Explications de Abad Chabbi, directeur de recherches à l’Inrae Nouvelle-Aquitaine-Poitiers.

Piégeage du carbone dans les sols : une solution gagnante pour tous
"Le potentiel de stockage additionnel de carbone dans les sols agricoles et forestiers français entre 0 et 30 cm est estimé à 5,78 millions de tonnes de carbone par an", indique Abad Chabbi, directeur de recherches à l’Inrae Nouvelle-Aquitaine-Poitiers.
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Pour Abad Chabbi, directeur de recherches à l’Inrae Nouvelle-Aquitaine-Poitiers, « le stockage additionnel de carbone peut permettre de compenser 40 % des émissions agricoles ».

En quelques mots, qu’est-ce que le cycle du carbone ?

Abad Chabbi : « Tous les êtres vivants sont constitués d’atomes de carbone. Ces atomes sont extraits du CO2 atmosphérique par les plantes, les algues et certaines bactéries via la photosynthèse. Le CO2 est restitué à l’atmosphère par la respiration et la décomposition de ces êtres vivants. A côté de ce cycle biologique court, il existe un cycle géologique lent de stockage du carbone sous forme de calcaire et d’hydrocarbures fossiles. La combustion de ressources fossiles conduit à une accumulation rapide du CO2 dans l’atmosphère. Les émissions de carbone mais aussi d’autres gaz à effet de serre comme le méthane, le protoxyde d’azote ou la vapeur d’eau empêchent une partie des rayonnements à ondes longues de quitter l’atmosphère. C’est ce qui explique le réchauffement climatique. »

Comment fonctionne le piégeage du carbone ?

A.C. : « Pour réduire l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on peut aujourd’hui s’appuyer sur des technologies intelligentes. Le problème, c’est que ces technologies qui coûtent cher se trouvent encore à un stade embryonnaire et ne permettent pas d’agir à grande échelle. La meilleure option pour piéger et stocker le carbone, c’est donc bel et bien par le sol. Pour stocker du carbone, il faut créer de la matière organique par la constitution d’un système favorable à l’implantation de la végétation. La séquestration du carbone dans les sols est une option gagnante pour tous. Elle permet à l’humanité de gagner du temps jusqu’à ce que les sources de carburant neutres en carbone remplacent les sources fossiles. »

Quelle est la stratégie de la France et de l’Union européenne en matière de piégeage du carbone ?

A.C. : « Les stratégies française et européenne s’inscrivent dans les Accords de Paris de 2015 qui visent à contenir à moins de 2°C l’augmentation des températures d’ici 2100. C’est dans le cadre de cette Cop 21 qu’a été présentée l’initiative 4 pour 1 000 qui définit les objectifs mondiaux en matière de piégeage du carbone. Le concept est simple : le fait d’augmenter le stock annuel de carbone dans les terres arables de 0,4 % (soit 4 pour 1 000) dans les quarante premiers centimètres du sol permettrait de compenser l’augmentation des émissions annuelles de carbone causées par l’activité humaine. L’objectif est donc de promouvoir un stockage accru du carbone dans les sols grâce à des pratiques agricoles durables. »

Quel rôle peuvent jouer l’agriculture et l’agroforesterie dans le piégeage du carbone ?

A.C. : « Le potentiel de stockage additionnel de carbone dans les sols agricoles et forestiers français entre 0 et 30 cm est estimé à 5,78 millions de tonnes de carbone par an. Si on raisonne sur la totalité de la profondeur du sol, on atteint même 8,43 millions de tonnes de carbone par an. Exprimé en CO2 équivalent, cela représente environ 30 millions de tonnes de CO2 que l’on pourrait séquestrer dans les sols par la mise en oeuvre de pratiques stockantes. Traduite dans la logique 4 pour 1 000, la mise en oeuvre de ces pratiques agricoles stockantes représente 1,9 pour 1 000 par an. Pour ce qui est des surfaces agricoles seules (grandes cultures et prairies), on est autour de 3,3 pour 1 000 par an et si on restreint encore aux grandes cultures, c’est 5,2 pour 1 000. C’est la preuve que le potentiel de stockage additionnel se trouve principalement dans les systèmes de grandes cultures. On sait aujourd’hui que le stockage additionnel de carbone peut permettre de compenser 40 % des émissions agricoles. De nombreuses techniques doivent pour cela être remises au goût du jour comme la rotation des prairies, la diversification des paysages, la réduction du travail des sols, l’implantation de couverts végétaux et de haies, la gestion des prairies ou encore la réduction des intrants. »

Quels sont les leviers politiques et économiques pour développer le marché du carbone ?

A.C. : « D’après nos études, les nouvelles pratiques stockantes génèrent pour l’agriculteur un coût additionnel de 180 à 473 € / t de carbone par an. Le problème c’est que dans le même temps, le prix actuel du carbone est de 25 € / t de CO2 équivalent. Pour relever ce défi, il faudra disposer d’une gouvernance plus forte pour créer un système d’incitation et stimuler les pratiques stockantes à l’échelle européenne. Les choses avancent à leur rythme, il y a encore cinq ou dix ans on ne parlait même pas de gestion des sols. La crise du Covid-19 a généré une prise de conscience sur la consommation de produits locaux et la nécessité de produire mieux. Cette crise est une opportunité pour construire un système durable et ainsi contribuer à l’atténuation du changement climatique. »

Propos recueillis par Pierre Garcia

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CO2RESPONSABLES / Le nouveau défi d’Arnaud Montebourg

Ancien député de Saône-et-Loire et ancien ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg a troqué la casquette de politicien pour se consacrer à l’entreprenariat. Après la création de marques françaises responsables, comme « Bleu Blanc Ruche », « La Compagnie des Amandes » et « La Mémère », en association avec des agriculteurs, il a déposé les statuts d’une nouvelle entreprise, CO2responsables, début octobre. « Nous avons toujours monté des marques qui veillent à partager la valeur créée et à mieux rémunérer le travail et les services rendus », a-t-il rapporté à Agrapresse dans son édition du 26 octobre. Cette nouvelle société a pour vocation d’identifier les projets agricoles conformes au label bas-carbone, de les représenter auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire et de les faire financer par des entreprises qui deviendront les bénéficiaires des réductions d’émissions ainsi générées. Face à ce marché naissant qu’est le carbone, Arnaud Montebourg veut « participer à la trajectoire climat de la France ». Ainsi, CO2responsables accompagnera les agriculteurs pour analyser leurs émissions et formuler des plans de progrès. Charge ensuite à l’entreprise de trouver des acheteurs pour ces crédits, qui pourront être des particuliers, des collectivités, mais surtout « toutes les entreprises qui représentent les principaux émetteurs de CO2 », a précisé Arnaud Montebourg, citant Total ou Air France.

Le made in France, signe de valorisation

Ce dernier s’attache à ce que l’intégralité des crédits vendus reviennent à ceux qui les produisent, tout en espérant que le label « stocké en France » permette de mieux valoriser ces crédits. « L’objectif est de monter le prix de la tonne de carbone, en offrant l’argument du made in France aux financiers », confie Arnaud Montebourg. Par ailleurs, l’entreprise s’engage à consacrer 1 % de son chiffre d’affaires annuel à des expérimentations de terrain permettant d’améliorer les référentiels carbone et les pratiques culturales contribuant à réduire les émissions. La société CO2responsables « s’inscrit dans la continuité de la Compagnie des amandes », créée en 2019, qui ambitionne de planter près de 80 vergers dans le sud de la France. « La plantation de ces arbres stocke du carbone. C’est un avantage pour toute la société, qu’il est normal de rémunérer », estime Arnaud Montebourg. Pour rappel, le label bas-carbone peut profiter aux agriculteurs (sous certaines conditions d’éligibilité), intéressés pour valoriser leurs contributions à la lutte contre le changement climatique et bénéficier d’une source de revenus complémentaires en calculant la réduction de gaz à effet de serre (GES) que génère leur activité.

Amandine Priolet, avec Agrapresse

Plus d’informations sur https://www.co2responsables.fr/presentation