VITICULTURE
Irrigation des vignobles : « une technique complexe qui se raisonne à la parcelle »

Anaïs Lévêque
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L'irrigation des vignobles peut-elle influer sur la quantité et la qualité d'une production ? Éléments de réponses avec Maud Bonnefoux, chargée de mission filière Viticulture sud Ardèche et Territoire agricole sud Ardèche.

Irrigation des vignobles : « une technique complexe qui se raisonne à la parcelle »
Les itinéraires de gestion de l’irrigation dans les vignobles varient selon le type et la structure des sols, les cépages, la climatologie annuelle et le type de production recherchée.

La succession de millésimes secs ces dernières années et l’annonce d’une augmentation de la fréquence de ce phénomène poussent de nombreux viticulteurs à s’interroger sur l’éventuelle possibilité d’irriguer. « Mais l’irrigation est une pratique pointue, qui nécessite d’avoir accès à la ressource en eau et de s’aider d’outils de pilotage pour préserver la ressource et éviter le gaspillage », prévient Maud Bonnefoux, chargée de mission filière Viticulture sud Ardèche et Territoire agricole sud Ardèche.

La vigne a besoin d’eau dans ses fonctions vitales comme n’importe quelle plante, pour réaliser sa photosynthèse et sa croissance végétative. Elle est particulièrement sensible aux besoins en eau entre le débourrement et la floraison pour alimenter la croissance foliaire. « La réserve en eau dans les sols peut suffire sur cette période, mais les printemps secs pourraient poser soucis à l’avenir », indique Maud Bonnefoux. Plus tard, entre la véraison et la maturité, la vigne peut facilement supporter un déficit hydrique modéré, qui jouera sur la concentration des sucres et donc sur la qualité des raisins et du vin. En post-récolte, elle aura de nouveau besoin d’une bonne alimentation en eau pour reconstituer ses réserves carbonées.

Maîtriser la contrainte hydrique

Rechercher une contrainte hydrique modérée est primordial sur les aspects qualitatifs d'une vendange. Ce stress hydrique est lié à la disponibilité de l’eau ou réserve utile dans le sol (profondeur des sols, richesse en matière organique, en argile et en limon) et à la demande en évapotranspiration. Modéré, il favorise la qualité de production. Poussé à outrance, il peut bloquer la maturation des raisins et créer des difficultés qualitativement, voire faire dépérir les ceps en cas de sècheresses répétées sur plusieurs années. « La conduite de l’irrigation s’exerce selon l’orientation de la production. Elle influence notamment la concentration en sucres, le potentiel couleur et les composés aromatiques en plus de la gestion des rendements de raisins », explique Maud Bonnefoux

Quantitativement, il n’existe pas de relation linéaire entre les quantités d’eau apportées et l’augmentation des rendements, avertit-elle : « L’irrigation des vignobles peut apporter entre 15 % et 20 % de rendements supplémentaires mais parfois le gain de production est nul car d’autres facteurs importants entre en jeu comme l’alimentation azotée de la plante, les phénomènes de coulure, la charges des yeux (bourgeons), la concurrence de l’enherbement et l’état sanitaire de la plante. Pour près d’un cas sur cinq, l’irrigation ne règle pas le problème du rendement quel que soit l’apport d’eau. La variabilité interannuelle due au millésime est plus importante que l’effet de l’irrigation ».

Outils de diagnostics et pilotage de l'irrigation

Les itinéraires de gestion de l’irrigation dans les vignobles varient selon le type et la structure des sols, les cépages, la climatologie annuelle et le type de production recherchée. « C'est une technique complexe qui se raisonne à la parcelle », ajoute Maud Bonnefoux. Pour diagnostiquer l’état physiologique dans lequel se trouve la vigne, la méthode la plus pratique et la plus simple consiste à suivre la croissance des apex (contrôle visuel hebdomadaire des extrémités des rameaux) qui informe du ralentissement de la croissance végétative. Il est alors possible de définir le déclenchement de l’irrigation. D’autres outils de pilotage permettent de mettre en évidence les besoins hydriques notamment un excès ou un manque d’eau pendant la période d’irrigation, tels que les sondes tensiométriques qui mesurent la disponibilité en eau des sols et la force à laquelle l’eau y est retenue. Le choix du matériel végétal (porte-greffe et cépages), le système de conduite et l’entretien du sol peuvent aussi agir sur la contrainte hydrique : « En début de saison, les cépages ont des besoins en eau, satisfaits souvent par les réserves hivernales des sols. Après la fermeture de la grappe, certains cépages comme le cinsault et le carignan résistent mieux à la sècheresse que la syrah et le grenache par exemple ». L'irrigation se déclenche aussi selon le type de vin recherché : « Pour du rouge coloré, on va chercher une contrainte hydrique plus poussée et arrêter l’irrigation plus tôt qu’une parcelle destinée à du blanc ou du rosé, plus frais et riche en composés aromatiques ».

Afin de gérer au mieux l'irrigation de son vignoble, la Chambre d’agriculture de l’Ardèche propose différentes formules d’aide au pilotage de la contrainte hydrique : des éléments de réflexion publiés dans le bulletin de viticulture raisonnée & biologique, des formations collectives ou un accompagnement personnalisé.

Anaïs Lévêque

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Maud Bonnefoux est chargée de mission filière Viticulture sud Ardèche et Territoire agricole sud Ardèche

Maud Bonnefoux est chargée de mission filière Viticulture sud Ardèche et Territoire agricole sud Ardèche

À NOTER / Focus sur la réglementation

Avant d’envisager d’irriguer, il faut s’assurer d’avoir accès à de l’eau, via un forage ou un puits, un cours d’eau ou un lac collinaire, mais aussi d’obtenir un droit à l’eau. Selon les prélèvements, une autorisation préalable doit être obtenue auprès de la mairie, de la Dreal1, ou de la DDT2 :

  • Si le prélèvement est < 1000 m3 et à une profondeur < 10m, le prélèvement doit à minima être déclaré en mairie.
  • Si le prélèvement est < 1000 m3 et à une profondeur > 10m, la déclaration doit être effectuée en mairie et auprès de la Dreal (service du BRGM3).
  • Si le prélèvement est > 1000 m3 et à une profondeur < 10m, la déclaration doit être effectuée auprès de la DDT (selon la Loi sur l'eau).
  • Si le prélèvement est > 1000 m3 et à une profondeur > 10m, la déclaration doit être effectuée auprès de la DDT et de la DREAL (service du BRGM).

L’irrigation exceptionnelle des vignes de cuve est autorisée, sous certaines conditions. Cette réglementation est encadrée par deux décrets datant du 4 décembre 2006. Le premier (décret 2006-1526) fixe le cadre général des apports d’eau. Il notifie que « l’irrigation des vignes aptes à la production de raisins de cuve est interdite du 15 août à la récolte », sauf conditions plus restrictives imposées par les syndicats des IGP ou d’appellations. Le second (décret 2006-1527) précise les conditions d’apports d’eau sur les parcelles classées en appellation d’origine. Par défaut, « l’irrigation des vignes aptes à la production de vins à appellation d’origine est interdite du 1er mai à la récolte ». Sur demande du syndicat de l’appellation d’origine auprès de l’Inao4, l’irrigation peut être toutefois autorisée. L’irrigation de toute parcelle d’appellation doit être déclarée au plus tard 2 jours avant les arrosages.

1. Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
2. Direction départementale des territoires.
3. Bureau de recherches géologiques et minières.
4. Institut national de l'origine et de la qualité