STRATÉGIE
Gérer ses pâturages au plus près des profils de chaque parcelle

Béatrice Sauvignet
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Dans le contexte actuel d’augmentation du prix des intrants, rigueur, adaptation et attention sont de mise pour gérer ses pâturages au plus près des profils de chaque parcelle.

Gérer ses pâturages au plus près des profils de chaque parcelle

Cet automne 2021, le prix des céréales avait déjà augmenté après des récoltes hétérogènes (conditions météo peu favorables, pluie, incertitude des pays importateurs). Cette augmentation parait aujourd’hui toute relative après l’explosion des prix du marché dûe au conflit en Ukraine. Les prix des céréales ont encore bondi de 100 € ces dernières semaines et les tourteaux n’ont jamais été aussi hauts. Le colza, par exemple, dépasse les 450 € la tonne contre 260 € il y a deux ans. Face à cette dérégulation du marché, comment réagir ?

Recentrer ses efforts sur le fourrage vert

S’il y a bien un paramètre que les éleveurs peuvent gérer de façon autonome et sur lesquels ils peuvent influer c’est la gestion de leurs pâtures. Le pâturage a toute son importance pour faire des économies. C’est le fourrage le plus économique du marché et aussi le plus équilibré. Il peut permettre de réduire significativement l’apport de compléments alimentaires, d’être moins dépendant des prix du marché et donc de mieux maîtriser sa conduite d’élevage. Cette gestion s’avère très technique et méthodique. Elle nécessite de bien connaître ses parcelles, de prêter attention quotidiennement à la pousse de l’herbe. Elle demande aussi une veille rigoureuse sur son troupeau.

Haute Loire Conseil Élevage rappelle quelques règles de bonnes conduites :

  • Favoriser une mise à l’herbe précoce et progressive.
  • Conserver les surfaces en herbe proche des bâtiments.
  • Bien préserver sa ressource agronomique (éviter le piétinement, le surpâturage, favoriser la repousse rapide).
  • Favoriser si possible le pâturage à l’année qui limite la consommation de gasoil et de fertilisants. Les reliquats de bouse et de pissat peuvent être suffisants pour nourrir la prairie.
  • Avoir une bonne gestion de l’ingestion : apport suffisant à la pâture et à l’auge pour conserver performances techniques et santé animale.

Quels outils pour aider et accompagner les éleveurs ? 

De nombreux outils sont aujourd’hui à la disposition des éleveurs qui souhaitent progresser et avoir une gestion plus contrôlée et maitrisée de leurs pâturages.

  • Les repères thermiques qui paraissent quotidiennement dans les journaux pour connaître les sommes de températures proches de chez soi (infos prairies). Ces sommes de température vont permettre d’estimer l’avancement des graminées en fonction de la chaleur et de la pluviométrie. Elles sont réalisées grâce aux stations météo du département par le biais des données de météo France.

  • Les typologies des prairies ont une grande importance. Suivant les espèces présentes, le démarrage en végétation ne se fait pas en même temps. Bien connaître ses parcelles et leurs caractéristiques permettra de se guider plus aisément.
  • L’herbomètre qui va permettre de connaître la hauteur d’herbe exacte et ainsi de calculer la biomasse (quantité d’herbe disponible à l’échelle de la parcelle). Avec un tour régulier de ses parcelles, on se rend compte des stocks sur pieds et de la conduite appropriée à adapter. On ne doit jamais descendre en dessous de 5 cm de hauteur d’herbe et dès qu’il y a plus de 15 cm, il faudra alors orienter la parcelle à la récolte. La meilleure situation pour valoriser le potentiel agronomique et les performances animales est de rentrer les animaux à 12/13 cm et de les sortir à 6 cm.

La densité de prairies, couplée aux hauteurs d’herbe va permettre d’adapter le temps de présence des animaux sur la parcelle et d’effectuer un prévisionnel de pâturage.

  • Repères sur les bottes : d’un coup d’œil rapide, l’éleveur peut savoir en fonction de la hauteur de l’herbe qu’il a au niveau de ses chevilles s’il est temps de sortir les bêtes, de les changer de pré… En dessous de 5 cm, il est trop tôt pour faire pâturer, au-dessus de 15 cm, il est trop tard.

Bien réussir sa mise à l’herbe

À partir de la mi-mars, dès les 250 °de sommes de température et une portance des sols adéquate, la sortie des animaux se précise en fonction des zones d’altitude. Sur notre département et notamment sur l’est où intervient Jérôme Gachet de Haute Loire Conseil Élevage, les éleveurs ont parfois du mal à faire déprimer leur parcelle. Pourquoi ? Selon lui, il y a une crainte de la part des éleveurs que cette mise à l’herbe précoce ait un impact sur la pousse de l’herbe et le stock récolté en cas de printemps sec. Or, c’est l’inverse qui va se produire, une mise à l’herbe précoce et maîtrisée va uniquement épointer les jeunes pousses et va favoriser la repousse de qualité et le tallage. De plus, les jeunes pousses sont très nourrissantes, riches en protéines et vont donc apporter une meilleure valeur nutritive au bétail. A contrario, une mise à l’herbe tardive va retarder le potentiel de pousse, les valeurs alimentaires et la digestibilité de l’herbe.

La clé de la réussite : une sortie progressive

L’idéal, toujours d’après Jérôme Gachet, est de sortir les animaux vraiment progressivement, d’abord 1 ou 2 h par jours puis 3-4 h, pour aller jusqu’à une journée entière. Une sortie progressive sur 15 jours est vraiment recommandée. Cela nécessite bien sûr une forte implication personnelle, du temps, de se rendre disponible pour son troupeau, et d’avoir des parcelles proches des bâtiments.

Cette mise à l’herbe progressive va permettre de mieux préparer la flore microbienne du rumen des ruminants. À cette période, continuer le complément des fourrages à l’auge tout en offrant un peu de fourrage vert permet aussi de ne pas sur-solliciter les réserves de l’herbe et de créer un décalage de pousse sur ses parcelles, primordiale pour le reste de la campagne. La pousse de l’herbe est encore timide à cette saison. Maîtriser la transition alimentaire est une phase clé pour conserver des animaux en pleine santé. Le contexte actuel oblige les éleveurs à être de plus en plus maître de leur exploitation et à s’adapter encore davantage. Cette situation tendue n’est pas sans conséquence sur une filière et un métier qui font déjà face à de nombreuses problématiques et contraintes, (temps de travail important, manque de personnel, investissements importants). Sachons tirer les leçons de cette crise, qui pourra peut-être permettre de revoir les systèmes d’exploitation mis en place : réduction de certains coûts et investissements pour replacer le travail et l’implication de l’éleveur au centre des préoccupations.

Béatrice Sauvignet