FILIÈRE LAVANDICOLE
Une crise qui n'en finit plus
Si le marché des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) d’Ardèche se maintient , ce n’est pas la même donne pour les producteurs de lavande et lavandin.
« Les marchés des huiles essentielles brutes françaises restent peu dynamiques. Les professionnels du secteur estiment que le report de stock d’huile essentielle de lavandin s’élève à au moins une année et demie de consommation. Les prix constatés à la production restent dans une tendance baissière », nous apprend FranceAgriMer dans son rapport de conjoncture du mois de juin 2024. Pas de quoi surprendre les producteurs de lavande et lavandin du territoire. Depuis trois ans, ils sont désillusionnés. Ils savent que cette année encore, au moins une partie de la récolte dormira dans les remises des exploitations.
« Actuellement, les cours sont très bas, ils étaient très intéressants jusqu’à il y a 5, 10 ans. Aujourd’hui, il y a une situation de surproduction et une baisse de la demande. Les producteurs, y compris les producteurs historiques, peinent à vendre leur production, car quand on leur propose un prix trop bas, ils ont soit le choix de vendre à un prix inférieur au coût de production soit pas du tout. Cette situation place la filière lavandicole dans une position difficile, avec de nombreux questionnements sur sa reconversion ou réorientation vers d’autres productions », explique Renaud Pradon, conseiller en plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) à la chambre d’agriculture de l’Ardèche.
« La crise économique et la baisse de la consommation ont provoqué une bulle des prix en 2019, poussant les acheteurs à reformuler des produits avec des arômes de synthèse. En 2023, face à l’effondrement des prix, un plan d’urgence de 10 millions d’euros a été mis en place, incluant 1 million pour la recherche contre la cécidomyie et 9 millions pour une aide exceptionnelle à la trésorerie », détaille Cédric Yvin, conseiller spécialisé en Ppam à la chambre d‘agriculture de la Drôme. Une prime de 2 000 € par hectare pour l’arrachage avait été envisagée, mais rejetée au niveau européen.
« La filière a déjà été en crise, mais jamais pendant trois ans comme ça »
Cependant cette aide n’a pas suffi à relancer la filière. Aujourd’hui, les producteurs expriment des inquiétudes et se posent des questions. Pour Alexandre Mirabel, producteur d’huile essentielle de lavande, de fleurs de lavande et de lavandin en bio sur 90 ha à Saint-Marcel-d’Ardèche, la situation est préoccupante : « Il serait nécessaire d’avoir une petite récolte pour relancer les prix, mais ce n’est pas le cas ». Ses clients fidèles garantissent ses contrats et il parvient à tirer son épingle du jeu grâce à des partenariats avec des courtiers en commerce équitable « Fair for Life ». Selon lui, le commerce équitable doit être promu à l’échelle européenne.
Daniel Guérin, ancien exploitant de l’Earl de la Sainte-Beaume à Larnas, a cédé son exploitation à ses fils mais reste informé de la situation des Ppam. « Cela fait trois ans que ça ne se vend plus. La filière a déjà été en crise, mais jamais pendant trois ans comme ça », observe-t-il. L’exploitation, en polyculture bovine et vignes, vend principalement son lavandin à des acheteurs privés via la coopérative de Gras. « Nous avons la chance d’avoir un contrat avec France lavande, qui court sur cinq ans, incluant 2025 et 2026, et nous achète le lavandin à 22 € le kg », explique-t-il, « mais en quantité limitée ». Nicolas, son fils, précise que la répartition des ventes est un tiers aux grossistes, un petit tiers au détail, et environ 40 % est stocké. Daniel Guerin note une baisse des ventes, notamment en raison du caractère secondaire du lavandin. L’ancien exploitant déplore que même à « 10 ou 11 € le kg », la vente reste difficile.
Une surproduction qui étouffe le marché
« Le lavandin est une culture qui ne demande pas trop de travail et permet de valoriser des terres de qualité moyenne. Cela s’est su et le bassin parisien ainsi que d’autres régions se sont mis à cultiver de la lavande », confie Daniel Guerin. Néanmoins, même si cette culture ne demande pas trop de travail, les coûts de production restent indéniables : « Il y a tout de même les frais de coupe, les frais de distillation, le gaz, etc. ».
Dans le bassin parisien, le rendement est beaucoup plus élevé malgré des prix plus bas : « Nous faisons 80 kg par ha contre 200 à 250 kg là-bas ».
Aurélien Cuer, vigneron sur 32 ha de vigne et producteur de lavandin installé à Gras, reste néanmoins philosophe : « Je n’en veux pas à l’agriculture en général, mais plutôt au système. Quand on est au pied du mur, on trouve des solutions. J’espère juste continuer à vivre de mon métier. Selon les estimations, une reprise est attendue, mais pas avant 2029, du fait des stocks déjà constitués et de la dynamique d’arrachage ».
En attendant, que faire ?
« On ne voit pas trop comment la situation pourrait se débloquer cette année. Nous sommes davantage dans une dynamique de maintien plutôt que de développement », constate Aurélien Cuer. En 2020, avec la Cuma des Clapas, il avait commandé une machine pour récolter la lavande, avant que la crise ne frappe de plein fouet la filière. « Nous avons reçu la machine au pire moment. Si je n’avais pas eu cet investissement et l’emprunt en cours, j’aurais arraché. » Sa culture secondaire de lavandin couvre 10 ha. « Ça arrive en période creuse pour la vigne. Si je pars sur autre chose, ce sera quoi ? Les oliviers, dont la récolte s’enchaîne juste après les vendanges ? »
Nicolas Guerin lui, a déjà sauté le pas de l’arrachage. « Sur 40 ha cultivés, nous en avons déjà arraché 12 ha. Nous ne remplacerons pas la lavande par des oliviers, car la situation serait similaire : les courtiers se tourneraient vers des productions moins chères en Espagne. » Daniel Guérin souligne le peu d’alternatives qui s’offrent aux exploitants, surtout « en raison du manque d’eau à Larnas ». Même si l’exploitation envisageait d’élargir l’atelier bovin, il note : « Le problème à Larnas est le manque d’eau et l’insuffisance de surface pour construire des bâtiments ». Il prévoit de cultiver du fourrage sur les 12 ha arrachés. Heureusement, le marché de la viande se porte un peu mieux et la crise viticole ne les touche pas trop.
Pour Nicolas Guerin, il serait utile d’avoir des zones comme les AOC ou des quotas basés sur une moyenne des dix dernières années, mais il estime que cela semble illusoire, surtout pour les plus grands producteurs qui pourraient ne pas coopérer.
Des pistes de diversifications ?
Une étude commandée par FranceAgriMer, dont la chambre d’agriculture de la Drôme est co-prestataire, explore plusieurs pistes de diversification. Parmi celles-ci figurent la cameline, avec des débouchés dans l’huile alimentaire et des opportunités pour l’aviation, la filière porc plein air, ainsi que les filières ovine et bovine pour la montagne.
Mais une autre dynamique se dessine, avec l’installation de petits producteurs diversifiés, axés sur la transformation à la ferme et la vente en circuit court de produits comme les hydrolats, tisanes et cosmétiques.
Marine Martin
Un plan filière régional
La Région Auvergne-Rhône-Alpes a adopté en mars dernier le plan filière PPAM 2023-2027, qui inclut des aides à l’investissement pour les producteurs. Ce plan comporte quatre axes : renforcer l’adaptation et la résilience des exploitations face au changement climatique ; développer et accompagner les démarches qualité pour renforcer l’attractivité régionale ; structurer et mobiliser la filière sur les problématiques prioritaires ; et diversifier les cultures et produits proposés. Les aides de FranceAgriMer, actuellement fermées, sont également disponibles à certains moments de l’année.
Répartition des superficies de Ppam en Auvergne-Rhône-Alpes
- 84 % des surfaces de plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) sont en lavande et lavandin.
- Thym, romarin, sarriette, origan composent 5 % des Ppam, tandis que la mélisse, le basilic, la menthe et la sauge se partagent les derniers pourcentages.