MUNICIPALITÉS
« Un maire a besoin d’une reconnaissance statutaire »

En France, trouver des volontaires motivés pour enfiler l’écharpe tricolore n’est pas toujours aisé, d’autant plus dans les communes rurales. Chronophage, parfois ingrate, cette fonction apporte pourtant son lot de satisfactions et le sentiment d’être utile aux administrés. Des maires ruraux témoignent.

« Un maire a besoin d’une reconnaissance statutaire »
Selon une enquête de l’association des maires ruraux de France (AMRF), 70 % des maires se disent satisfaits de leur situation. ©Pixabay
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Michel Fournier, président de l'association des maires ruraux de France (AMRF). ©AMRF

Que cela signifie-t-il, pour vous, d’être maire en 2024 ?

Michel Fournier : « Être maire en 2024 nécessite un engagement courageux. C’est une mission passionnante. Je me rends compte que depuis mon premier mandat en 1989 [Michel Fournier est maire de la commune Les Voivres (Vosges) depuis 1989. NDLR], les fonctions de maire ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, un maire est un spécialiste généraliste. Il doit, en effet, aborder des questions liées à l’administration de sa commune, mais pas seulement. Il doit exister également au sein d’autres struc­tures comme les intercommunalités, les syndicats… L’engagement est chrono­phage. Être maire signifie être l’élu de tous les administrés de la commune, quels qu’ils soient, et accepter des choses qui ne sont pas forcément en accord avec notre point de vue. Il faut avoir une grande capacité de résilience, tout en ayant de l’autorité. Ainsi, un maire, aujourd’hui, a surtout besoin d’une reconnaissance statutaire qui est complètement diffé­rente de ce qu’elle était auparavant. Dans le cas contraire, dans les communes rurales notamment, il ne sera malheu­reusement plus possible de trouver des gens pour s’engager. Les personnes qui ont encore une activité professionnelle ne pourront plus le faire, car elles ne pourront pas concilier les deux. »

L’association des maires ruraux de France (AMRF), que vous présidez depuis le 14 novembre 2020, a juste­ment présenté « 35 propositions pour un statut de l’élu »1. De quoi s’agit-il concrètement ?

M.F. : « Il est nécessaire, par exemple, de déterminer une indemnité qui soit à la hauteur de la fonction et qu’elle soit prise en charge, en partie, par l’État. Actuellement, cette indemnité est entièrement financée par le budget communal. Toutefois, nous représentons l’État au sein de notre commune et, à ce titre, nous devrions avoir une base d’indemnité liée à la reconnaissance de la fonction. Par ailleurs, pour la retraite future des maires qui ont encore une activité professionnelle, il devrait être possible de valider au moins un trimestre au cours d’un mandat [un mandat de maire dure six ans. NDLR]. Il y a égale­ment une nécessité de formations. »

Quel est votre sentiment vis-à-vis des intercommunalités et du partage des compétences ?

M.F. : « Les communes bénéficient de la clause de compétence générale. Toutefois, certaines compétences ne peuvent pas être exercées par une commune seule, d’où l’intérêt des intercommunalités composées par les communes. L’intercommunalité est un outil. Il faut choisir quelles sont les compétences qui ne peuvent pas être exercées, pour différentes raisons, par les communes seules. Il faut que cette situation soit choisie et non imposée, comme ce fut le cas avec la loi. Cette perte de compétences a créé du désarroi et le refus d’un système qui était norma­lement fait pour aider, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas aujourd’hui. C’est difficile pour un élu dans certaines situations de se dire : « À quoi je sers ? » Les gens se recroque­villent dans leur commune. Preuve en est, entre 25 et 30 % des maires ne se rendent plus au sein des intercommu­nalités. Les maires ont le sentiment de ne pas avoir leur mot à dire et souvent ils ne l’ont pas. Il ne faut plus imposer de nouvelles compétences obligatoires et laisser le choix à chaque secteur d’organiser son fonctionnement. Il faut davantage de souplesse. La commune et les départements sont la proximité, c’est une évidence, même s’il ne faut pas exclure les autres strates. »

Près de 70 % des maires reven­diquent leur satisfaction en tant qu’élu. Êtes-vous un maire heureux ?

M.F. : « Oui, je suis un maire heureux, parce que j’ai la couenne dure et le cuir tanné. J’ai conscience d’avoir eu la possibilité, sur différents points, de réaliser beaucoup de choses au profit de ma commune, du territoire et plus largement, notamment avec les maires ruraux. Je ne me suis jamais ennuyé dans ma vie. »

Les prochaines élections municipales auront lieu en 2026. Vous indiquez que l’enjeu du renouvellement des géné­rations d’élus est grand pour l’AMRF. Quel message souhaiteriez-vous faire passer à ceux qui hésitent à franchir le pas ?

M.F. : « Essayez, si vous en avez l’oppor­tunité. Il y a, en effet, un réel épuisement de certains maires, mais il y en a 70 % qui sont satisfaits. Nous devons faire en sorte que les nouveaux qui vont s’inscrire dans cet engagement ne fassent pas partie des 30 % restants. Cela passera notamment par un statut reconnu, un accompagnement et une aide comme nous pouvons l’apporter au sein de l’association dont le leitmotiv est : "Des maires au service des maires". »

Propos recueillis par Marie-Cécile Seigle-Buyat

1. Les 35 propositions sont à retrouver ici : https://www.amrf.fr/les-dossiers/statut-de-lelu/

Clotilde Fournier : « Je suis une femme d’engagement et de convictions »
Clotilde Fournier, maire de Saint-Sulpice dans l’Ain. ©CF
INTERVIEW

Clotilde Fournier : « Je suis une femme d’engagement et de convictions »

Clotilde Fournier, maire de Saint-Sulpice, commune rurale de l’Ain de quelque 300 habitants, affiche un amour inconditionnel pour la fonction d’édile, dans un esprit constructif et bienveillant au service des habitants. Rencontre avec une femme d’engagement et de convictions.

Comment définiriez-vous votre commune et son rapport avec l’agriculture ?

Clotilde Fournier : « Nous sommes situés entre Mâcon et Bourg-en-Bresse, avec une vraie qualité de vie. Saint-Sulpice est d’ailleurs l’une des communes
qui a enregistré le plus de croissance dans l’Ain. En 2003, elle comptait
103 habitants, contre près de 300 aujourd’hui. Lorsque je suis arrivée en 2008, pour mon premier mandat, les vaches pâturaient dans les prés. Il n’y a malheureusement plus de sièges d’exploitation agricole depuis une dizaine d’années, mais des hectares de céréales… En 2012, j’ai créé un PLU dans lequel j’ai enlevé 2 ha de terrain constructible afin de préserver les terres agricoles. Si toutefois un agriculteur souhaitait s’installer, il aurait ainsi la possibilité de construire sa maison sur le terrain. »

Quelle est votre vision de la fonction de maire ?

C.F. : « J’adore être maire, car nous avons cette relation à la population qui nous permet d’expliquer, de prendre le temps de l’écoute et du dialogue et d’aiguiller les gens. C’est beau d’être maire. Nous avons affaire à toutes sortes de populations. L’échelon communal, c’est la base. Nous avons développé le bulletin municipal, un site Internet vraiment bien construit, ainsi qu’une application gratuite pour les habitants qui peuvent y trouver toutes les informations. La communication est primordiale. J’organise également des réunions. En 2020, nous avions également diffusé un questionnaire relatif à des projets utiles pour la commune. Nous avons réalisé tout ce que les habitants ont choisi. J’en suis très fière. Je fais les choses avec honnêteté, sincérité et dans l’intérêt des autres. Cela demande du courage et de la détermination. Je suis une femme d’engagement et de convictions. Lorsque l’on me demande quelque chose, je réponds. Je ne laisse jamais une situation pourrir. »

Quels sont les projets et priorités pour votre commune ?

C.F. : « À la suite des souhaits émis par la population, nous avons changé tous les foyers lumineux de la commune en LED. L’une des priorités est la sécurisation du village. Nous avons également réalisé un sentier pédagogique avec des jeux pour les enfants et isolé la salle des fêtes. Je suis aussi en train de réaliser un atlas de la biodiversité. Je suis un maire heureux, puisque que depuis 2023, la dette par habitant est de zéro euro. Mais je souhaite insister sur le fait que je ne fais pas les choses seule. C’est un travail d’équipe. »

Patricia Flochon

Hugo Biolley, élu plus jeune maire de France à l’âge de 18 ans
En 2020, Hugo Biolley a été élu maire de Vinzieux, une petite commune rurale située dans le nord de l’Ardèche. ©Hugo Biolley
INSOLITE

Hugo Biolley, élu plus jeune maire de France à l’âge de 18 ans

Lors des dernières élections municipales, Hugo Biolley a été élu maire de la petite commune de Vinzieux, située au nord de l’Ardèche, et qui l’a vue grandir. Devenu alors plus jeune édile de France, l’élu ne regrette en rien ce choix de vie qu’il mène de concert avec ses études à Sciences Po Grenoble.

En mars 2020, tandis que les Français étaient appelés à désigner le représentant de leur commune, un jeune Ardéchois s’apprêtait à dépoussiérer l’image de maire. Candidat à la mairie de Vinzieux, une petite commune de 500 âmes située au nord de l’Ardèche, Hugo Biolley a cumulé les articles de presse dès l’annonce des résultats. La raison d’un tel engouement ? Son âge : 18 ans au moment du dépouillement. Un chiffre qui peut faire froncer les sourcils. Il suffit pourtant d’échanger quelques minutes avec le jeune homme pour comprendre ce qui l’anime. « J’ai vu grandir ce village en même temps que moi, je suis passionné par ce qu’il se passe dans ce petit territoire. » La voix est calme et affirmée, à l’image d’un élu déjà bien habitué à l’exercice de l’interview. « Enfant, j’adorais écouter les débats télévisés, même si je ne comprenais pas forcément le fond », confie-t-il, les lunettes vissées sur le nez et le sourire aux coins des lèvres.

Dynamisme et convivialité

Durant ses premières années de mandature, Hugo Biolley a connu de nombreuses crises. Le Covid-19, tout d’abord, puis l’inflation galopante, et enfin, les soubresauts démocratiques de l’Assem­blée nationale il y a quelques mois. « J’ai été agréa­blement surpris de voir à quel point les communes, les conseillers municipaux et les bénévoles des asso­ciations sont un maillon important et un garde-fou démocratique de dialogue. » Depuis son élection, le maire à l’allure juvénile s’attache à informer le plus clairement possible ses administrés. Le premier objectif a été atteint en 2021, lors de la création d’un restaurant et bar à vin au sein du village, véritable lieu de lien social et de convivialité. Le second, bien plus ambitieux, ne devrait plus tarder à voir le jour. « Nous allons déplacer la mairie au sein de l’ancienne école du village qui n’accueille plus personne depuis 25 ans et y aménager une salle des associations et un espace de convivialité, que les habitants pourront faire vivre à leur guise ! » Persuadé que la diversité des activités et la convivialité structurent une vie de village réussie, le jeune édile souhaite casser l’image d’une ruralité « refermée sur elle-même et négative ».

Trouver des solutions

Bien qu’elle représente une vocation, la vie d’élu est pourtant loin d’être une routine au long fleuve tranquille. « C’est même une remise en question perpétuelle ! Trouver des solutions en équipe, c’est justement ce qui me passionne. » Même si cet enga­gement demande de passer une journée entière à déblayer les dégâts provoqués par des inondations, comme celles connues ces derniers jours. « Il y a deux ans, nous avions déjà connu un épisode cévenol similaire qui nous a incités à réaliser des travaux et à travailler sur des linéaires d’eaux pluviales… Nous avons pu constater que ces aménagements ont limité les dégâts cette année », détaille-t-il, avec une once de fierté du travail bien fait. Quant aux prochaines municipales en 2026, Hugo Biolley ne préfère pas les évoquer. Il faut dire qu’à 23 ans, l’édile mène une double vie : celle de maire et d’étudiant à Sciences Po Grenoble. Pour ses camarades de classe, le jeune homme s’apparente en réalité plus à un alien qu’à un simple étudiant aux grandes responsabilités. « Que ce soit dix minutes avant ou après les cours à l’université, je suis en réunion. Je mets toute mon énergie dans le mandat grâce à un parcours univer­sitaire aménagé, un peu comme pour les athlètes de haut niveau. » Si le marathon de maire est quelque peu différent, la rigueur et la ténacité constituent, en effet, des qualités tout autant requises.

Léa Rochon