PATRIMOINE
Domaine de la Barèze : haut lieu de la psychiatrie et de l'agriculture

Pauline De Deus
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Une ferme thérapeutique historique, une pépite patrimoniale méconnue, un potentiel agricole immense... Découverte du domaine de la Barèze à Veyras.

Domaine de la Barèze : haut lieu de la psychiatrie et de l'agriculture
Le domaine de la Barèze est un site remarquable par ses terrasses peu communes, larges, parfois très hautes, et dont les techniques de construction semblent porter la marque de la congrégation religieuse. ©DR

En France, les asiles pour aliénés voient le jour par ordonnance royale en 1839. Jusqu'à là, les personnes atteintes de troubles mentaux étaient enfermées dans les prisons, comme les criminels. À l'origine de ce changement de paradigme, il y a notamment un homme d'église : Joseph-Marie Chiron. En 1827, il est nommé aumônier de la prison de Privas. Avec la congrégation Sainte-Marie-de-l'Assomption, dont il est le fondateur, il créé l'hôpital de Sainte-Marie, puis la colonie agricole de la Barèze (aujourd'hui Esat Saint-Joseph).

Une révolution dans le monde de la psychiatrie

À partir du milieu du XIXe siècle, une partie des malades étaient enfermés dans ce domaine d'une vingtaine d'hectares (32 ha aujourd'hui) où ils travaillaient la terre, pour répondre à leurs besoins et ceux de l'hôpital Sainte-Marie. « 150 ans plus tard, on trouve que c'est de l'exploitation, et c'est vrai, mais pour l'époque, c'était une révolution, défend Daniel Gay, ancien responsable de l'Esat Saint-Joseph et archiviste. Imaginez, des gens qui étaient enfermés et qui se retrouvent dans une immense propriété à pouvoir faire leur métier à nouveau. Parce que beaucoup venaient de la campagne et étaient paysans auparavant. »

L'intérêt thérapeutique de l'activité agricole était également mis en avant par les médecins de l'époque. Dans le rapport adressé au préfet de l'Ardèche en 1873, un médecin en chef écrit : « La véritable destination de cette propriété, la plus utile pour nos malades consiste à pouvoir les employer aux travaux agricoles, complément indispensable de tous les traitements physiques et moraux que réclame l’aliénation mentale. La culture des champs entretient leur santé, maintient leur vigueur, fait diversion à leurs idées délirantes, exerce sur leur esprit une influence des plus heureuses. »

Un potager précieux durant les guerres

La propriété est achetée par la congrégation en 1872, c'est à cette époque que les premières terrasses auraient été créées, ainsi que des systèmes d'irrigation pour développer l'activité agricole. La colonie de la Barèze accueille alors près de 200 malades qui produisent des fruits, des légumes, des vignes, mais qui élèvent également des dizaine de vaches et des centaines de cochons. « C'est un jardin-potager qui a été très précieux et notamment pendant la guerre », assure Francis Lacroix, responsable de l'Esat à partir de 1970. D'après des rapports administratifs de l'époque, en 1943, 146 hommes sont gardés à la colonie de la Barèze quand l'armée allemande occupe le territoire, et notamment l'hôpital Sainte-Marie qu'elle réquisitionne. Trois ans plus tard, les rapports mentionnent qu'en 1946, « l’exploitation agricole a été pourvue de tracteurs, et de nouveaux systèmes d’arrosage. Son rendement, quoique faible, en raison de la pauvreté du sol, nous a facilité le ravitaillement de nos hospitalisés. Les prairies que nous affermons nous ont permis de remonter en partie notre cheptel, qui avait été dispersé à l’arrivée des Allemands. Les bâtiments de la colonie agricole de la Barèze étaient en très mauvais état et menaçaient ruine. Ils sont en voie de reconstruction. »

L'ouverture du domaine

Quarante ans plus tard, la colonie agricole fonctionne toujours, avec une centaine de malades lorsqu'un incendie détruit la ferme, le 5 juillet 1985, sans faire de victime, ni impacter le cheptel bovin et porcin. Pour Francis Lacroix, alors responsable du domaine de la Barèze, cet événement dont il se souvient parfaitement, « bouleverse pas mal de choses ». Une fois reconstruite, en 1988, le domaine de la Barèze devient un centre d'aide par le travail (CAT). Les malades ne sont donc plus enfermés sur le lieu, mais s'y rendent chaque jour pour travailler. « On est passé de la colonie agricole à la ferme. C'est une autre révolution », note à nouveau Daniel Gay. L'activité du domaine de la Barèze est alors repensée... Avant l'incendie déjà, la vigne avait été arrachée, notamment pour ne plus servir d'alcool aux malades (dont certains étaient justement traités pour alcoolisme), et l'hôpital Sainte-Marie faisait désormais appel à une cuisine industrielle pour les repas. « On s'est dirigé vers les moutons pour qu'ils pâturent les terrains qui n'étaient plus cultivés », détaille Francis Lacroix.

Un patrimoine à sauvegarder

Depuis toujours, l'une des problématiques du domaine de la Barèze est son entretien. Car cette propriété de 32 hectares a un intérêt patrimonial certain. Les larges terrasses sont peu communes, allant de 4 à plus de 10 mètres de haut, avec des escaliers perpendiculaires à la colline. Le tout avec une organisation hydraulique rare, basée sur des caniveaux, des canaux souterrains, des sources, des bassins, des réservoirs... « Il y a un puits de 80 mètres de profondeur avec un équipement de pompage. Il ne marche plus, mais il existe encore », illustre Thierry Crespy. Pour l'ancien gérant, Daniel Gay, plus qu'un intérêt agricole, c'est le potentiel touristique du lieu qui lui semblait intéressant. « J’ai fait visiter ce lieu à des centaines de personnes au fil des années », se remémore-t-il. Son projet touristique a finalement été empêché par le manque d'accès.

Au début des années 2000, Daniel Gay a pu rénover certains murs écroulés, grâce à des fonds européens. C’est également à cette période que le domaine de la Barèze a été classé site remarquable par le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche. Pourtant, vingt ans plus tard, ce patrimoine unique souffre toujours d'un déficit de visibilité. « On communique peu, reconnaît le responsable actuel, Thierry Crespy. C'est aussi lié au passé du domaine de la Barèze... Les maladies mentales étaient mal vues par la société et au sein de la colonie agricole, on cultivait le secret. » Désormais, il mise sur l’activité agricole pour développer l’activité de l’Esat et tenter d’entretenir ce patrimoine. Il envisage notamment de développer une filière viande (brebis, poulet), labellisée HVE, pour se faire une place dans l’économie locale où les filières courtes sont valorisées.

Pauline De Deus

L'Esat Saint-Joseph aujourd'hui

Aujourd’hui, le domaine de la Barèze est un établissement et service d'aide par le travail, l’Esat Saint Joseph. Parmi ses activités, la sous-traitance industrielle et notamment le conditionnement, les espaces verts, la blanchisserie, l’élevage de brebis (environ 200 bêtes) et de poulets de chair, ainsi que l’abattage et la transformation (produit de la ferme et prestation). Le troupeau est conduit en autonomie alimentaire sur ce domaine de 32 hectares, mais également sur des prairies à Rompon. Des céréales sont aussi produites par l’Esat, à Chomérac. Au total 85 équivalents temps plein (92 personnes), permettent d’assurer ces différentes activités. L’objectif est de proposer à ces personnes, un retour progressif dans la vie active pour qu’elles puissent, à termes, réintégrer un milieu ouvert. La majorité des personnes qui travaillent à l’Esat vivent à Privas et se déplace chaque jour à Veyras par leurs propres moyens. Notez que sur le domaine de la Barèze, il existe également deux autres établissements : le foyer d’accueil médicalisé la Rose des vents et la maison d’accueil spécialisée du bois Laville. Deux structures médico-sociales qui proposent un hébergement, des soins et des activités.