Des éleveurs aux multiplicateurs, en passant par les distributeurs et les sélectionneurs, le changement climatique touche l’ensemble de la filière semences fourragères. Mardi 9 avril, à l’occasion d’une journée organisée par l’interprofession des semences et plants (Semae) à Bourg-lès-Valence (Drôme), Julien Greffier, chef produit fourragères à Limagrain, a présenté les nouvelles tendances du secteur.

Quelles semences pour la résilience ?
Cette journée à destination des semenciers, des distributeurs et des conseillers avait pour objectif de faire connaître davantage la filière semences fourragères. ©Semae

Face aux chaleurs, sécheresses et aléas en tout genre, les éleveurs cherchent à s’adapter. Dans ce contexte, plusieurs espèces peuvent permettre de faire face à l’urgence pour reconstituer des stocks. Notamment le ray-grass italien, « seule espèce capable de produire quatre à cinq tonnes de matière sèche en deux mois », a rappelé Julien Greffier. Le sorgho fourrager est, quant à lui, particulièrement résistant aux chaleurs et à la sécheresse, à condition d’avoir de l’eau pour la germination. Enfin, le colza fourrager présente une croissance rapide (60 jours) et une très bonne qualité nutritionnelle, malgré une faible tolérance à la sécheresse.

Pour ce qui est de l’adaptation du système à moyen terme, plusieurs graminées peuvent aussi être intégrées, telles que la fétuque élevée (avec des racines profondes) et le dactyle (qui retient l’eau). L’une des légumineuses les plus adaptées à la sécheresse est notamment la luzerne, bien qu’elle ne tolère pas les sols hydromorphes. Enfin, la betterave fourragère a aussi une résistance importante à la sécheresse et un bon potentiel de récupération. Si la récolte mécanique peut compliquer sa mise en place, Julien Greffier rappelle que la betterave fourragère peut être intégralement pâturée, dès le mois d’août, et qu’elle bénéficie d’une bonne qualité nutritionnelle.

Où en est la sélection ?

La sélection fourragère, commencée dans les années 1960, se heurte égale-ment aux changements climatiques. « Et à la fois, c’est avec des années atypiques que les programmes peuvent être intéressants pour réussir à obtenir des variétés adaptées à différentes conditions, notamment à la sécheresse », souligne Julien Greffier. Il faut toutefois un certain temps pour voir ces variétés sur le marché : comptez 12 à 15 ans de sélection, 3 à 4 d’inscription et 2 à 3 de production. Autrement dit, les programmes commencés cette année ne seront pas utilisés par les éleveurs avant les années 2040.

Si Julien Greffier assure qu’il n’y a pas de révolution à prévoir à l’échelle des semenciers, des réorientations de programme sont en cours, avec le développement de variétés tolérantes, entre autres, à la sécheresse et même Semaeaux inondations. « Dans les dix prochaines années, le gap se fera probablement sur l’aspect qualité », souligne-t-il. Pour lui, aucune solution miracle, mais un empilement de leviers. Outre le choix des espèces, la diversité des cultures et le progrès génétique, d’autres pratiques peuvent aussi permettre de renforcer la résilience des élevages, telles que le nettoyage des parcelles en fin d’année, la fertilisation des prairies et, plus généralement, la modification de système « pour chercher l’herbe à des périodes plus propice à la pousse, en début de printemps, à l’automne et parfois en acceptant une baisse de rendement au profit de la rentabilité économique », avance Julien Greffier.

Pauline De Deus

©Semae
Des prairies sous couvert de méteil
Pour les prairies, il faut attendre qu’elles atteignent une hauteur d’au moins 5 cm pour le pâturage ou le fauchage pour permettre le redémarrage et un bon rendement hectare. ©Semae
RETOUR D’EXPÉRIENCES

Des prairies sous couvert de méteil

Face aux aléas climatiques, l’implantation de prairie semée à l’automne sous couvert de méteil semble être une solution viable pour maximiser les stocks et la qualité des aliments. Les explications de Semae, l’interprofession des semences et plants.

Trois à cinq tonnes de matière sèche par ha en première coupe, plus de 0,85 unité fourragère par kilo (UFL), au moins 13 % de matières azotées totales (MAT), le tout utilisé sous forme de fourrage ensilé ou enrubanné. C’est l’objectif que s’était fixé un groupe d’éleveurs, accompagné par la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, lors de cette expérimentation menée en Touraine autour du méteil (mélanges céréales-protéagineux). La productivité de la prairie était aussi visée : trois à quatre exploitations par an en fauche et pâturage et huit tonnes de matière sèche totale. Après plusieurs essais chez des éleveurs et à l’Inrae de Nouzilly (Indre-et-Loire), les résultats sont encourageants. « L’objectif c’est de pouvoir faire des stocks le plus tôt possible et de booster l’implantation de prairies », explique Stéphane David, responsable formation à Semae. Le méteil présente aussi l’intérêt d’occuper le terrain pour éviter que les mauvaises herbes ne s’implantent, le tout en améliorant la structure du sol.
Pour ces essais, plusieurs espèces ont été implantées, des céréales telles que l’avoine, le triticale, le seigle, le blé tendre, des légumineuses comme la vesce commune, la vesce velue ou la féverole ainsi que des trèfles d’accompagnement type squarrosum ou de micheli. Côté prairie, il s’agissait de ray-grass hybride ou anglais, de dactycle, de fétuque élevée, de trèfle violet, blanc, de luzerne ou de lotier. Ces espèces ont été sélectionnées en prenant en compte la structure du sol et les objectifs de l’agriculteur. Pour des sols filtrants et une récolte précoce par exemple, le seigle, la vesce et la luzerne peuvent être adaptés. Pour ces espèces, il est possible d’implanter les semis dès le mois de septembre pour envisager une récolte du méteil au mois d’avril, permettant une bonne valeur alimentaire. Le trèfle peut, quant à lui, permettre d’occuper le terrain et d’explorer le sol pour aider à l’implantation de la prairie. D’autres espèces peuvent être sélectionnées pour des semis la première quinzaine d’octobre et une récolte début mai. À noter, pour la mise en place, tout peut être semé au même moment, à 2 ou 3 centimètres de profondeur.

REPÈRES / Les semences fourragères

42 000 hectares surfaces présentes en France en 2023, avec une tendance à la baisse (56 400 ha en 2021). 40 % concernent la luzerne.

53 000 tonnes quantités vendues en France sur la campagne 2022-2023. La tendance est à la baisse mais les ventes de mélange sont, elles, en nette progression.

45 000 tonnes quantité de semences importées sur la campagne 2022-2023. Avec seulement 9 000 t de semences fourragères exportées sur la même période, la balance commerciale est fortement déficitaire.

497 : c’est le nombre de variétés fourragères inscrites au catalogue français. Pour les connaître et les comparer, l’interprofession des semences et plants Semae a créé le site herbe-book.org.