Globalement la récolte de châtaignes devrait être semblable à celle de 2022 en termes de quantité. La qualité est actuellement correcte, excepté sur les variétés les plus sensibles au risque de pourriture. 

Un début de campagne contrasté
La récolte des châtaignes doit être rapide cette année, pour éviter le développement de la pourriture. ©AAA_AL

De beaux calibres et des fruits plutôt sains dans le nord

À Saint-Jean-Chambre en nord Ardèche, Marie et Samuel Terras (Gaec de Samarie) s’attendaient à une récolte catastrophique avec la chaleur de l’été et du mois de septembre, puis les précipitations records qui se sont abattues récemment sur leur secteur (240 mm). Cultivant 12 hectares de Comballe, Garinche et Merle en AOP bio et éleveurs ovin, la production de châtaignes est leur activité principale, donc forcément « c’est toujours stressant », lance Marie Terras. Pour leur récolte entamée le 18 octobre, elle est plutôt confiante. « En termes de quantité, nous sommes sur des volumes équivalents à ceux de 2022. L’an passé, nous avions récolté 27 tonnes, de très bons rendements, mais nous avions eu de gros soucis de qualité. Les châtaignes s’étaient vraiment abîmées avec les pluies. Nous les avions ramassés un peu tard aussi », explique-t-elle. « Cette année en revanche, on a de beaux calibres, une bonne quantité de grosses châtaignes pour le moment, ce qui est surprenant car il a fait très sec... Nous avons eu un épisode de pluie fin septembre qui a été bienvenu. » Ils ont aussi investi dans un aspirateur plus performant pour ramasser le plus vite possible les châtaignes et éviter qu’elles ne s’abîment. 

Une campagne hétérogène en centre Ardèche

En centre Ardèche, la campagne est contrastée. Dans la châtaigneraie de Bernard Habauzit à Vesseaux, « ce n’est pas trop vilain, mais, selon les secteurs, certaines châtaignes ne sont pas allées à bout de leur maturité, sûrement stoppées par la chaleur et le manque d’eau. D’autres restent vertes et ont du mal à mûrir », explique Bernard Habauzit, qui produit également des cerises, abricots, mirabelles et figues. « Pour d’autres variétés, la Comballe notamment, je m’attends à avoir des soucis de pourriture, entre 20 et 25 % de noir. » La Comballe fait, en effet, partie des variétés les plus susceptibles de développer de la pourriture cette année, en raison de sa sensibilité à la sécheresse. Elle nécessite donc un gros travail de tri, voire un trempage longue durée qui décale sa période de vente. Sa sensibilité à la pourriture est toutefois moins marquée en altitude, constatent certains producteurs.

Sur le secteur de Thueyts et Lentillères, Benoit Breysse cultive un demi-hectare de Bétizac et 7,5 ha de Bouche rouge en AOP bio. Éleveur de vaches Aubrac et de volailles de chair sous label Rouge, la châtaigne représente un tiers de son chiffre d’affaires. Sur sa récolte d’hybrides, il n’a rien gardé, les bogues se sont échaudées. « Les fruits étaient tout petits, puis 85 à 90 % ne se sont pas du tout conservés. Impossible à trier. J’ai tout mis aux vaches ! », glisse-t-il. « La chaleur qu’il y a eu la deuxième quinzaine du mois d’août n’était pas longue mais a vraiment fait mal aux Bétizac. » En Bouche rouge, il entamera la récolte la semaine prochaine et, comme sur de nombreux autres secteurs géographiques, la production présente un bel aspect général. « Les bogues ne tombent pas encore, malgré les pluies et le vent », poursuit Benoit Breysse. « Il y en a très peu, ça ne s’annonce pas énorme en quantité mais la qualité est là pour le moment. Les calibres sont très jolis et les fruits plutôt sains, nous ne devrions pas avoir trop de tri à faire. Après il faut voir comment ça évolue. » Il estime obtenir une demi-récolte de Bouche rouge par rapport à l'année précédente. 2022 étant sa « plus belle récolte » depuis son installation il y a dix ans, « une récolte moyenne par rapport à celles de mon père », ajoute-t-il.

Les craintes d’une récolte « sinistrée » dans le sud

Installé à la frontière avec la Lozère, sur la commune de Sainte-Marguerite-Lafigère en sud Ardèche, Daniel Noël annonce, quant à lui, connaître l’une de ses plus mauvaises années. Il cultive 4 hectares de Précoce des Vans, Marigoule, Bétizac et en variété principale la Sardonne. « Sur certaines variétés, notamment la Sardonne, les châtaignes sont vraiment petites et de mauvaise qualité », constate-t-il. « La météo a été trop sèche, puis nous avons beaucoup de septoriose sur le secteur. Les châtaignes se sont coupées bien avant leur maturation. J’ai beaucoup d’arbres que je ne ramasserais pas », ajoute le producteur.

En termes de quantité, « on a une récolte sinistrée dans le sud, les producteurs ne sont pas très optimistes, les situations très diverses, globalement ce sera peut-être une demi récolte », ajoute Sébastien Debellut, du Comité interprofessionnel de la Châtaigne d’Ardèche (Cica). « Mais dans le nord, elle est plutôt jolie. Sur les secteurs de Saint-Pierreville et de Lamastre, il n’y a pas de gros volumes mais de gros calibres et les châtaignes sont belles. L’enjeu cette année, c’est que la récolte doit être rapide, car quand elles restent au sol dans un climat humide comme c’est le cas aujourd’hui, ça risque de faire évoluer la pourriture. »

Des châtaigneraies fragilisées par le climat

Certaines châtaigneraies ardéchoises sont mises à rude épreuve par la maladie de l’encre, qui s’étend parfois très vite selon les secteurs (voir ci-contre), dont la mortalité se révèle plus particulièrement avec la sécheresse, sans moyens de lutte. « On observe quelques arbres qui ont défeuillé cette année », affirme Bernard Habauzit. « Le stress hydrique n’aide pas à freiner le développement de la maladie de l’encre. » Encore une fois, « nous faisons le même constat que les années précédentes, l’encre se développe, favorisée par l’allongement de la période végétative », ajoute Sébastien Debellut.

De nombreux castanéiculteurs entreprennent régulièrement des chantiers de plantation. Au Gaec de Samarie aussi : « Depuis quatre ans, on a mis en place deux hectares de jeunes plantations. Nous avons un peu de maladie de l’encre, ce n’est pas dramatique mais il faut qu’on commence à renouveler la châtaigneraie. Chaque année, on plante un petit peu ».

A.L.

Marie Terras et son compagnon Samuel (Gaec de Samarie) cultivent 12 hectares de Comballe, Garinche et Merle en AOP bio à Saint-Jean-Chambre. ©AAA_AL
Calibrage, flottaison courte, trempage longue durée, table de tri, mise en sac... Certains producteurs effectuent jusqu'à quatre phases de tri sur les châtaignes vendues en frais. ©AAA_AL
CONJONCTURE / Un marché « atone »

CONJONCTURE / Un marché « atone »

« Actuellement le marché en frais est au ralenti », poursuit Marie Terras. « Cette semaine, nous avons descendu 60 kg de châtaignes en frais à Saint-Etienne, alors que d’habitude on est sur 200 à 250 kg par semaine sur la même période. On espère que ça décollera un peu plus la semaine prochaine. » En attendant un sursaut des ventes, ils ont mis en trempage longue durée une bonne partie de leur production pour étaler les ventes. Ils disposent aussi d’une chambre froide, d’un séchoir, d’un moulin pour produire leur farine, transforment via l’atelier de La Ferme du châtaignier une partie de leur production en confitures, purées, châtaignes entières, qu’ils vendent en direct à la ferme et dans des magasins spécialisés... Objectif : « Être plus compétitif. On est dans un marché qui dépend de nombreux éléments. »

Comme l’année dernière, il se vend peu de châtaignes fraîches en ce début novembre, confirme Sébastien Debellut, du Comité interprofessionnel de la Châtaigne d’Ardèche (Cica) : « Le marché du frais est compliqué, atone. Il n’y a pas eu trop de consommation, ni trop de demande de la part des distributeurs. Les premières hybrides sont arrivées sur le marché le 10 septembre, vendues entre 7 et 8 € le kg. Les grands distributeurs ont encore ces gros fruits sur les bras, qui se vendent bien. Il faut attendre pour vendre les châtaignes tardives. Heureusement que nous avons des transformateurs localement qui fournissent localement. »

La campagne 2023 de châtaignes devrait permettre de commercialiser autant de fruits qu’en 2022 (4 300 tonnes pour un potentiel estimé à 5 000 tonnes). Côté consommation, « c’est un fruit qui attire toujours autant, ce qui nécessite de plus en plus de travail de tri pour ne pas décevoir le consommateur, avec des moyens que l’on n’a pas toujours forcément », poursuit Sébastien Debellut.

« La maladie de l’encre s’étend parfois très vite selon les secteurs »
Cassandre Vidal. ©AAA_AL
QUESTIONS À

« La maladie de l’encre s’étend parfois très vite selon les secteurs »

Cassandre Vidal, conseiller spécialisé Châtaigne à la chambre d’agriculture de l’Ardèche.

Comment qualifier la campagne 2023 des châtaignes ?

Cassandre Vidal, conseiller chataigneraies à la chambre d'agriculture de l'Ardèche  : « Ce n’est pas une année sanitairement exceptionnelle, ce n’est pas catastrophique non plus car il y a de beaux fruits par endroits, mais il y a pas mal de pertes. Le climat a le plus impacté la campagne. Il n’y a pas eu assez de pluies sur la fin de l’été et le début d’automne pour le développement correct des châtaignes. En commençant la récolte, on s’est aperçu qu’il y avait beaucoup de verts chez de nombreux producteurs, moins pour d’autres. La variété Comballe, que l’on trouve principalement en Nord Ardèche, a été particulièrement touchée par ce phénomène. Le manque d’eau pendant tout le développement de la châtaigne, en tout cas à la fin, a joué aussi sur les calibres, qui sont plutôt petits cette année, notamment pour la variété Sardonne. Il y a eu aussi beaucoup trop de précipitations au moment où les châtaignes sont censées tomber et des températures encore douces aujourd’hui pour la saison qui favorisent le développement de la pourriture. Les épisodes de grêle, sur les secteurs de Joannas et de Saint-Barthélémy-le-Plain et Lamastre, ont impacté la récolte également, en causant des dégâts sur les rameaux et les jeunes bogues, mais les châtaigniers s’en sont bien remis globalement. »

Comment se présente l’état sanitaire des châtaigneraies ardéchoises ?

C.V. : « Globalement, le châtaignier s’adapte plutôt bien aux conditions climatiques, mais ça reste un arbre, cela prend du temps. L’un des plus gros problèmes sur la châtaigneraie ardéchoise est la maladie de l’encre. Les derniers retours de producteurs montrent qu’elle s’étend parfois très vite selon les secteurs. Il n’y a pas de lutte directe, il faut essayer de trouver des variétés tolérantes qui arrivent à se développer sur un terrain avec de l’encre. La chambre mène des expérimentations sur des variétés plus résistantes au changement climatique pour permettre de limiter les dégâts causés par l’encre. Les deux sont extrêmement liés, puis que l’encre se répand avec l’eau et touche le système racinaire, mais quand on a un arbre qui a une grande surface foliaire et qu’il y a de fortes chaleurs, il va pomper énormément d’eau et l’encre, stimulée dans ses racines, va se propager davantage dans l’arbre et le faire mourir.

Pour le cynips, il ne pourra pas disparaître mais il est sous contrôle, les châtaigniers le tolèrent globalement bien mieux. Le Torymus sinensis, implanté localement pour le parasiter, effectue bien son travail. Quant au chancre, il n’est pas extrêmement dangereux pour les vieux arbres, mais il reste à surveiller pour les plus jeunes (moins de 4 ans) qui peuvent passer l’arme à gauche. Les producteurs doivent être vigilants sur la présence de chancre et l’application des traitements, soit par curetage soit par souches hypo-virulentes, voire couper la branche. »

Quels autres conseils donner aux producteurs pour maintenir une bonne qualité sanitaire de leurs châtaigneraies ?

C.V. : « Il y a l’entretien de la parcelle tout au long de l’année. L’élagage est important pour la bonne santé de l’arbre et une meilleure tolérance à l’encre. Il faut veiller aussi à éviter de garder des résidus de récolte au sol, des bogues, trop de feuilles, des branches, qui peuvent servir à héberger la pourriture au sol en dehors de la période de récolte. Nous n’avons pas encore assez d’éléments pour savoir d’où vient cette pourriture, l’idée la plus plausible est qu’elle se trouve déjà sur la fleur et qu’elle rentre dans le fruit par la suite. Le renouvellement des châtaigneraies est aussi important. Dès qu’un espace se libère, il est conseillé de soit regreffer sur la souche de l’arbre, soit planter des variétés tolérantes à l’encre pour après y greffer des variétés traditionnelles. »

Propos recueillis par A.L.