BOIS
Un marché qui plie mais ne rompt pas

Le soleil d’hiver décline et rase les cimes des arbres des forêts ardéchoises à perte de vue, une vision familière pour le département le plus boisé de la région Auvergne Rhône-Alpes et une économie précieuse pour le territoire, où de nombreux acteurs œuvrent à son développement.

Un marché qui plie mais ne rompt pas
Grumier en route pour la scierie. ©CNPF

Sur le marché du bois, se distinguent trois catégories : le bois d’œuvre, destiné à la charpente, aux ossatures, à la caisserie, puis le bois d’industrie (papier) et le bois énergie.

Pour la récolte, les résineux constituent 99 % du bois d’œuvre contre 1 % pour les feuillus. Bien que la proportion de la surface de feuillus en Ardèche constitue 67 % du territoire forestier contre 33 % pour les résineux, « c’est un secteur où la transformation s’est écroulée depuis 50, 60 ans, car il n’y a pas beaucoup de capacité de sciage de feuillus en France » explique, Stéphane Grulois, Ingénieur au CRPF1 Drôme Ardèche. « C’est un bois difficile à transformer avec moins de rendement. Énormément d’effort a été fait sur le résineux sur un marché influencé par des pays comme l’Allemagne, la Suède. L’Ardèche doit se conformer au marché globalisé. » Cependant, au niveau national, des travaux sont en cours pour une meilleure connaissance des feuillus afin de réinvestir la capacité à transformer. « À notre échelle, nous faisons la promotion de ces arbres, en incitant les propriétaires à diversifier leurs parcelles », spécifie l’ingénieur.

Le marché du résineux, en revanche, a connu ces deux dernières années (2021-2022) une « flambée des prix forte », explique Nicolas Monneret, expert forestier. « Le Douglas s’est démarqué, car il y a eu une très forte demande à l’export, provenant des USA qui avaient du mal à s’approvisionner au Canada, en partie à cause des feux de forêts d’alors », avance-t-il. « Au premier semestre 2023, s’opère un ralentissement de la demande. Le prix est redescendu à ce qu’il était avant le Covid. Nous sommes à moins 30 % par rapport à l’année dernière pour le bois de construction », ajoute l’expert forestier.

Une baisse de la demande en construction

Une baisse de la demande qui s’explique en majorité par un marché de l’immobilier en berne, des taux de crédits élevés, une diminution des primo-accédants, une inflation en hausse et des prix de matériaux qui augmentent. Tous ces éléments, se répercutent ainsi sur le marché de la construction. Pour Patrick Desormeaux, président du syndicat des scieurs Ardèche, « les grosses scieries ont été obligées de revoir leur prix à la baisse. » Par ailleurs, ceux qui construisent, utilisent des essences moins nobles que le Douglas, qui était pourtant l’essence la plus prisée pour la construction, et lui préfèrent désormais le sapin, moins onéreux.

Malgré tout, en Ardèche, le volume exploité de bois sur pied se situe entre 200 000 et 250 000 m3, le bois d’œuvre représentant 65 % de la récolte en Ardèche, « c’est un marché stable » selon Boris Boucher, directeur de Fibois Drôme Ardèche. Pour expliquer cette stabilité malgré le coup d’arrêt de la construction, il faut aller se pencher du côté du marché de la rénovation, qui permet à l’économie du bois de plier, mais de ne point rompre. Pour Patrick Desormeaux, le marché de la rénovation a de beaux jours devant lui. « Avec le nouveau PLUI, il y a moins de possibilités de construire du neuf, le nombre de terrain constructible a diminué. Parfois, le préfet prend la décision d’interdire de construire par manque d’eau potable sur la commune. Résultat, les achats se portent davantage sur des biens à rénover : extension, surélévation, réhabilitation. Cela va beaucoup se développer à l’avenir et apportera énormément à la filière », assure-t-il.

Le bois, un matériau d’avenir

Le bois est un matériau qui a le vent en poupe avec le réchauffement climatique et la nécessité de consommer de façon plus écologique. « Aujourd’hui, le bois est intéressant pour la rénovation, c’est un matériau léger et un très bon isolant thermique, pour le chaud comme pour le froid », ajoute Boris Boucher. « Il y a énormément de logements à rénover et les collectivités rentrent également dans cette phase de réhabilitation. Pour les agriculteurs, les bâtiments d’élevage en construction bois sont préférés, car ils offrent un meilleur confort pour les animaux en régulant l’hydrométrie du bâtiment. »
Il ajoute, « la réglementation environnementale de 2020 nous est favorable, depuis janvier 2022, on ne prend plus uniquement en compte les performances thermiques, mais également l’impact carbone d’un bâtiment. Le bois a un bilan carbone très intéressant. »

Dans un marché globalisé, se démarquer

Une vision optimisme donc pour l’avenir de la filière, couplée à la volonté de miser sur un marché de proximité pour se démarquer, et sur de nouvelles essences. Pour Stéphane Grulois, « le marché du neuf n’est pas le seul à être en difficulté, celui de la palette est en proie à une baisse du trafic lié au transport de marchandises, les prix sont concurrentiels et tirés vers le bas par les industriels . En Sud Ardèche, les pins bien conformés, comme le pin maritime, pin noir, pin sylvestre restent des valeurs sûres,  pour continuer à vendre aux scieries de proximité à un prix raisonnable grâce à une moindre distance ».

Si le bois ardéchois dans son ensemble est de bonne qualité et offre peu de dépérissements selon l’expert forestier Nicolas Monneret, l’effet pervers de cette « bonne santé », est que le bois d’autres départements, en proie aux scolytes, vient saturer le marché du bois ardéchois, qui en importe déjà environ 30 %. « La priorité sur une exploitation est l’évacuation du bois. Le bois local est peu touché par le scolyte, donc la répercussion sur le marché est forte, car on ne coupe pas le bois en bonne santé quand le marché est saturé de bois scolyté qui a préservé ses qualités mécaniques », explique l’ingénieur du CRPF. « Pour le propriétaire, il n’a pas d’intérêt à vendre à ce moment-là. »

Une autre solution pour se démarquer, est de miser sur des essences d’avenir, « il y a un gros travail au niveau de l’organisation professionnelle pour mieux connaître les caractéristiques du sapin. L’épicéa par exemple, est une essence qui n’a pas d’avenir, contrairement au cèdre, naturellement durable. En Ardèche, on essaie de préserver le pin noir endémique pour son patrimoine génétique, car c’est une essence qui résiste bien aux aléas climatiques. D’autres essences d’avenir comme le pin maritime ou le mélèze qui poussent vite, font partie d’une palette de résineux intéressants pour l’Ardèche », énumère l’ingénieur du CRPF.

Si le deuxième marché du bois en termes de récoltes est celui de l’énergie avec 20 % consacrés à ce pan de l’économie, celui du marché de la trituration (15 % ) se maintient grâce aux pins maritimes du sud Ardèche, qui partent pour l’usine de pâte à papier de Tarascon. Le bois énergie, lui, possède un vrai « potentiel à développer. Le problème à régler est avant tout, l’accès à la ressource ». Stéphane Grulois poursuit : « Le bois énergie est intéressant, notamment pour les propriétaires qui ne se sont pas occupés de leur forêt, qui souhaitent relancer leur parcelle et partir sur un peuplement plus qualitatif. C’est un système d’exploitation peu coûteux, même si le marché est moins rémunérateur et peu valorisant ».

Se regrouper pour mieux valoriser son bois

Pour rappel, en Ardèche, la majorité des parcelles est très morcelée et moins de 50 % des propriétaires forestiers bénéficient d’un document de gestion. Si 90 % de la forêt appartient à des propriétaires privés, les 10 % restants sont des parcelles gérées par l’ONF. Un meilleur accès aux propriétés et une structuration efficace font que l’ONF commercialise plus facilement son bois. À titre de comparaison, proportionnellement, l’ONF sort davantage de bois de la forêt que les propriétaires forestiers. Pour y remédier, Maxime Bouquet, conseiller technicien à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche offre des conseils de gestion aux propriétaires forestiers afin de mieux valoriser le bois. « Notre rôle est de poser un diagnostic, faire un état des lieux, du sol, du peuplement, préconiser des travaux à effectuer et déterminer la qualité du bois. »

Mais la principale difficulté, due à la multitude de petits propriétaires en Ardèche, est de les inciter à se rassembler via un regroupement formel en Association syndicale libre de gestion forestière (ASLGF) ou informel et ponctuel, car le regroupement permet de mieux structurer le marché dès l’amont et de valoriser un patrimoine. « Il est compliqué de trouver quelqu’un pour venir exploiter un volume de bois pour un camion. D’où la nécessité d’offrir une surface plus grande. Si on a un seul camion de bois avec deux qualités différentes, avec par exemple, 70 % de faible qualité et 30 % de bonne qualité, c’est un trop petit volume pour être valorisé », explique le conseiller de la chambre d’agriculture. « Le but du regroupement est de permettre l’amélioration du peuplement pour aller vers davantage de bois d’œuvre, plus rémunérateur à terme », développe Maxime Bouquet. Des aides de la Région et du Département sont à disposition des propriétaires forestiers pour les travaux sylvicoles. « Le taux d’aide peut atteindre 80 % si les travaux ne sont pas rentables », précise-t-il.

Résolument optimiste, la filière bois ne manque ni de ressource ni de dynamisme. Mais l’économie ne prendra de l’ampleur que si les propriétaires forestiers, en amont de la filière, ne se structurent à grande échelle pour continuer à façonner les paysages et contribuer au dynamisme économique de la forêt.

Marine Martin

1. Centre Régional des Propriétaires Forestiers.

Répartition de la récolte en Ardèche

Répartition de la récolte en Ardèche
Avec 15% de récolte, le bois industrie est en partie consommé par le bois énergie, « même si 65 % de la récolte est constitué du bois d'œuvre », décrit Boris Boucher. ©Fibois

Chiffre

30 % des propriétaires forestiers sont des agriculteurs où l’ont été.

Le bois local à l'honneur
Bois stockés après une éclaircie sur les hauteurs de Saint-Cirgues-en-Montagne. ©AAA_MMartin
A NOTER

Le bois local à l'honneur

Le Département de l’Ardèche propose une aide financière pour les projets de construction ou de rénovation intégrant du bois local à destination des collectivités afin de valoriser la ressource.

Cette aide « traduit la politique forêt menée par le Département en collaboration avec les acteurs de la filière », lance Aude Cathala, chargée de mission forêt au Département. « Le Département apporte également son aide aux entreprises et aux scieries en intervenant en complément des aides régionales. L’objectif est d’améliorer les forêts ardéchoises et de tendre vers davantage de bois d’œuvre. Le fait de soutenir les collectivités pour la rénovation et l’extension via du bois local est un levier pour la filière », ajoute-t-elle.

L’aide financière « bonus bois local » s’inscrit dans le dispositif atout ruralité 07. Une majoration de l’aide existe si les collectivités utilisent du bois certifié « Bois des territoires du Massif central™ » ou équivalent, qui garantit une traçabilité plus forte sur toute la chaîne de production. De plus, le Département a mis en place un outil collaboratif en ligne, qui fédère les acteurs en amont de la forêt, pour essayer de structurer le foncier. B2F est une plateforme qui propose des biens à la vente ou pour des échanges : https://www.b2f.ardeche.fr/

 

Le volume exploité de bois sur pied se situe entre 200 000 et 250 000 m3 en Ardèche, dont 65% est destiné au bois d’œuvre. ©CNPF