LITTERATURE
Marie-Hélène Lafon : un secret de famille révèle son style au jury Renaudot

Marie-Hélène Lafon revient sur son dernier roman L’histoire du fils, prix Renaudot 2020. Elle nous parle de cette histoire et de la situation tout aussi singulière de l’attribution du prix, loin du public.

Marie-Hélène Lafon : un secret de famille révèle son style au jury Renaudot
Marie-Hélène Lafon a reçu le prix Reanudot 2020 pour son dernier roman L'histoire du fils.

Dans le contexte de crise, vous avez reçu le prix Renaudot presque en catimini. Comment avez-vous vécu ce moment fort dans la vie d’un écrivain mais sans réception publique ni médiatique ?

Marie-Hélène Lafon : « C’est tout à fait singulier et cela ne ressemble pas du tout à ce que doit être la réception d’un prix littéraire une année normale. L’expérience de la réception d’un grand prix littéraire, je ne l’ai pas eue et il est probable que je ne l’aurai jamais d’ailleurs. C’est une année très particulière... C’est arrivé après un mois de fermeture des librairies, donc dans un temps tout à fait particulier.  Le jeu médiatique, habituellement intense, était complètement biaisé dans la façon dont le prix a été décerné, annoncé. Ce contexte est complètement ahurissant. Par certains aspects, je n’en suis pas fâchée, car je me passe très très bien de tout ce qui est mondanité. En revanche, ce qui est très dommageable, c’est qu’il était impossible d’accompagner le livre en librairie, c’est-à-dire d’aller à la rencontre des lecteurs, et de faire ce que j’aime faire, et que je fais depuis 20 ans, à savoir de véritables rencontres. Ça, pour le coup, c’est regrettable pour moi qui ai toujours beaucoup accompagné mes livres en librairie. Et je sais que ce prix a été très bien reçu par les libraires qui ont été extrêmement vaillants d’accompagner tous mes livres alors que cela n’allait pas de soi. J’aurais véritablement voulu être à leurs côtés. J’ai reçu beaucoup de courriers auxquels je m’applique à répondre. Mais cela n’a rien à voir avec la rencontre du public. C’est très frustrant ! Il est important de souligner, aussi, que cette récompense, je ne la reçois pas seule. Je la reçois avec la maison d’édition qui m’accompagne depuis 20 ans et que je n’ai jamais quittée. La fidélité est indéfectible pour moi. C’est totalement essentiel, avec une confiance partagée. L’accompagnement des libraires et des bibliothécaires a été fondamental dans cette histoire. »

Comment est née cette histoire du fils, votre dernier roman ?

M-H.L : « Très exactement, ma sœur a trouvé le titre. C’est une histoire de famille ! En fait, c’est la révélation d’un secret de famille survenu dans une nébuleuse familiale que je connais depuis l’âge de 14 ans. C’est cette famille, elle-même, qui m’a demandé d’écrire, me disant : “c’est une histoire pour toi”. Cette histoire m’a attirée et, d’une certaine manière, cette famille me l’a confiée. J’ai tourné autour pendant quatre ans avant d’ouvrir le chantier. »

Avec cette histoire vraie, souhaitiez-vous transmettre un message sur les secrets de famille qui, bien souvent, pourrissent les relations et font parfois éclater l’équilibre des liens ?

M.-H. L. : « Il y a une relecture sous un angle nouveau pour cette famille mais sans qu’il y ait eu de zizanie. Mais c’est vrai, il suffit de suivre l’actualité pour s’en convaincre, que la révélation d’un secret de famille a la couleur de l’explosion. Depuis 20 ans que j’écris, je ne suis jamais dans la position de quelqu’un qui veut envoyer un message. Je ne sais même pas ce que cela veut dire ! J’ai une histoire, une situation, j’ai un moment, je me dis, c’est du texte. Je ne m’en dis pas plus. Je ne démontre jamais. Je cherche à montrer des visages, des corps ou des moments, à faire sentir la touffeur d’un été sous les platanes à Figeac ou le froid de janvier 1919 au lycée de garçons d’Aurillac. Donner les choses comme elles sont, c’est déjà tellement foisonnant. En revanche, je suis toujours obsédée par la question des répercussions, des conséquences que peut avoir la mise en fiction du réel. Pour le dire autrement, les personnes qui deviennent personnages n’ont pas demandé à le devenir. La moindre des choses, c’est de faire en sorte que les rideaux de fumée, les stratégies, soient suffisamment efficaces pour qu’il n’y ait pas de reconnaissance pernicieuse. Si je vois que cela est impossible, je n’écris pas le texte ! »

Pour cette histoire, votre style est différent de celui de vos livres précédents. S’agit-il d’une évolution ou du contexte du roman ?

M.-H. L. : « Il n’y a rien de volontaire ! J’ai essayé de trouver le juste rythme pour cette histoire-là. Et justement, une des raisons pour lesquelles cette histoire m’a happée, c’est que c’est une histoire heureuse en dépit de tout. Parce que cet homme qui commence une vie avec un père inconnu et qui n’a peut-être jamais su être père, d’une part, et d’autre part, une mère très singulière, cet homme-là s’invente une vie large, bonne et douce. Et pour faire face à ça, car on sait que l’on ne fait pas de livre avec de bons sentiments et que le bonheur n’a pas bonne presse en littérature, il fallait une langue et un rythme juste.

La narration impose-t-elle le style ?

M.-H. L. : « Probablement ce qu’il y a de meilleur et de plus apaisé dans la langue de ce livre vient de cette recherche-là. Je l’ai beaucoup entendue et je me suis interrogée de savoir si cela répond à quelque chose. Cela répond à un matériau de départ. Il y a quelque chose de moins vertigineux que dans certains de mes livres. Mon lectorat est très attentif à l’histoire mais aussi à la mise en forme de la langue. C’est une question essentielle pour moi ! De la même manière, je n’ai pu construire cette histoire qu’en tenant une chronologie acrobatique, passant d’une période à une autre. Cette chronologie-là, avec ses retours en arrière, très singulière, s’est imposée au fil de l’écriture. J’ai essayé de remettre dans l’ordre, ça ne tenait plus debout ! Cela tuait tout le rythme de la narration. Mais j’ai semé un certain nombre d’indices qui permettent de s’y retrouver. M. Brunet, mon maître d’école à Dienne, m’a dit qu’il était allé se coucher avec le livre et l’avait lu d’une seule goulée. Ceux qui ont fait ainsi se sont laissé porter par la tension narrative. »

Vous prenez une nouvelle fois le Cantal pour décor. C’est votre source d’inspiration pour tremper votre plume ?

M.-H. L. : « Le Cantal est inépuisable ! Je dirais que le pays “premier” que chacun porte en soi est inépuisable. Il y a là, pour moi, une puissance de vie dont je ne ferai jamais le tour. Je ne dis pas que j’y reviendrai dans le prochain livre, mais j’y reviendrai ! »      

Propos recueillis par Benoît Parret

Prix Renaudot : en attendant le Goncourt

Pour le prix Renaudot, tout a commencé en 1925. Particulièrement divisé cette année-là, le jury du prix Goncourt délibère depuis de longues heures lorsque le critique littéraire Georges Charensol propose à ses confrères journalistes de déjeuner ensemble à la Fontaine Gaillon, un établissement voisin du restaurant Drouant où est traditionnellement remis le prix Goncourt. Durant le repas, le journaliste Gaston Picard lance sur le ton de la blague l’idée de créer leur propre prix littéraire. Cette proposition séduit très rapidement ses confrères qui choisissent le nom de Théophraste Renaudot, fondateur de la publicité et de la presse française, pour baptiser ce nouveau prix littéraire. Quelques jours plus tard, un jury de dix membres, comme pour le prix Goncourt, est constitué. En décembre 1926, le groupe se retrouve de nouveau pour attribuer ensemble le premier prix Renaudot. Après de longues délibérations, le roman Nicolo Pecavi ou l’affaire Dreyfus à Carpentras d’Armand Lunel, un jeune professeur au lycée de Monaco, est plébiscité. Chaque année depuis cette date, le prix Renaudot est remis au restaurant Drouant le même jour que le prix Goncourt. Dans l’esprit collectif, il vient récompenser des écrivains qui auraient, parfois injustement, échoué à remporter la plus prestigieuse récompense littéraire en France. Pour autant, et à l’image des prix Fémina et Interralié, le prix Renaudot ne représente pas un simple lot de consolation pour quelques écrivains secondaires. Son palmarès parle d’ailleurs pour lui, de Louis-Ferdinand Céline à Virginie Despentes en passant par Louis Aragon. Un prestige que l’on retrouve jusque dans la composition du jury, avec aujourd’hui des personnalités comme le journaliste Franz-Olivier Giesbert et les écrivains Patrick Besson et Frédéric Beigbeder, respectivement prix Renaudot en 1995 et en 2009. En dehors du prix principal, le jury décerne par ailleurs un prix Renaudot des lycéens, de l’essai et du livre de poche.

Pierre Garcia

jaquette livre M-H Lafon L'histoire du fils
(Crédit : Buchet Chastel)