STRATÉGIE
La nécessaire adaptation à l'évolution du climat

Alison Pelotier & Amandine Priolet
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STRATÉGIE / Dans toutes les filières, qu’elles soient animales ou végétales, le changement climatique oblige les agriculteurs à s’adapter. Vendanges plus précoces, choix de variétés plus rustiques et plus résistantes au stress hydrique, présence de certains ravageurs plus au Nord ... Autant de constats qui demandent des ajustements quotidiens de la part des professionnels et du travail aux techniciens qui tentent de répondre au mieux à leurs besoins.

La nécessaire adaptation à l'évolution du climat
©Fotolia

« Aujourd’hui, une exploitation qui n’a pas d’irrigation ne peut pas exister chez nous. Même les terrains profonds de la Dombes, qui ont une plus grande réserve hydrique, n’arrivent pas à fournir l’eau nécessaire à la plante. » Pierre Bouvier, céréalier à Balan dans l’Ain a constaté, il y a une bonne quinzaine d’an- nées, les premiers signes du changement climatique.

Des variétés précoces stratégiques


Cette zone très aride, érodée par les glaciers alpins, a laissé un terrain recouvert de graviers juste en dessous des pre- mières couches du sol. La sécheresse et le manque de pluie le rendent encore plus séchant. Pour pallier ce problème, le céréalier a augmenté petit à petit ses surfaces en blé. Malgré le fait que cette culture craigne les fortes chaleurs, « elle nous permet néanmoins d’avoir un peu plus de souplesse dans l’irrigation. On l’arrose moins et beaucoup plus tôt que les autres cultures. Dans un souci d’économie et en anticipation à d’éventuelles restrictions en eau, nous optons pour des variétés de céréales plus précoces », explique-t-il. Pierre Bouvier moissonnera ses blés fin juin, « au lieu de mi-juillet auparavant ». Signe incontestable de l’avancée des stades végétatifs. « Cela n’est pas normal mais nous sommes de plus en plus nombreux à attaquer les semis fin mars au lieu de début avril... » Le changement climatique joue aussi sur le pourcentage d’humidité de la plante. « Historiquement, nous ramassions nos blés autour de 28 % d’humidité. Il y a deux ans, nous avons récolté à 17 % de moyenne. Cela faisait des années que nous n’avions pas ramassé aux normes (ndlr : 15 % d’humidité) avec des besoins en sé- chage très réduit. Ce qui nous a permis de faire quelques économies sur nos factures d’énergie. »

Des ravageurs qui remontent vers le Nord


« Nous constatons que les cycles végétatifs ont tendance à se raccourcir. Nous choisis- sons donc plus souvent des variétés précoces mais aussi plus rustiques et tolérantes à la sécheresse en fin de cycle, mais il faut toujours trouver le juste équilibre entre les critères de résistance aux maladies et les débouchés possibles pour les cultures... Le choix d’une variété est toujours multifactoriel », explique Prune Farque, responsable du service agronomique grandes cultures de Valsoleil et de la coopérative Drômoise des céréales (CDC). C’est particulièrement le cas dans le secteur de la Drôme des Collines où le terrain est sableux et super- ficiel et l’accès à l’irrigation difficile. « Ici, l’impact du réchauffement climatique peut avoir des conséquences économiques très fortes », précise-t-elle. Côté ravageurs, le climat chaud qui remonte vers le Nord, voit leur présence s’installer là où il y a quelques années personne ne les avait encore observés. « C’est le cas de la pyrale du maïs. Habituellement, dans nos départements plus au Nord, on ne trouvait que la monovoltine (une seule génération par an). Nous commençons à trouver la bivoltine et la trivoltine qui se reproduit désormais deux à trois fois par an. » L’hiver étant raccourci, les orges, eux, ont vu arriver une population de pucerons sur une plus longue période, une pression justifiée en partie par le retrait du Gaucho, un néonicotinoïde désormais interdit pour lutter contre leur prolifération.

Des cépages anciens plus tardifs


En Nord Isère, celui qui avait fait le choix de sublimer les cépages anciens pour « donner du sens à son métier » est aujourd’hui plutôt satisfait de son choix. Nicolas Gonin, vigneron à Saint-Chef, a tout misé sur les cépages locaux de deuxième et troisième époque adaptés depuis plusieurs siècles à ce territoire. À l’heure où ses confrères cultivant des cépages modernes ont tendance à vendanger de plus en plus tôt, il affirme « être plutôt bien loti ». S’il vendangera, lui aussi, cette année trois semaines en avance, en faisant le choix d’implanter des cépages locaux robustes comme le servanin, dans des parcelles enherbées, le viticulteur observe des « vignes vigoureuses et résistantes, notamment à la sécheresse ». « Il y a quinze ans, le change- ment climatique, on en parlait très peu. Je n’ai pas fait ce choix pour cette raison mais je me rends compte aujourd’hui que ça me sert aussi à lutter contre le réchauffement climatique et à garder des dates de vendanges pas trop précoces ». Les cépages locaux et tardifs comme le bia blanc, le séreneze ou le chany gris, pas encore réinscrit au catalogue officiel des variétés de vigne, représentent selon lui de bonnes opportunités pour moins subir les aléas climatiques.

Alison Pelotier



Le viticulteur isérois Nicolas Gonin constate cette année une précocité de trois semaines sur les vendanges de ses cépages locaux tardifs.

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Trouver des parades au changement climatique

« Depuis sa création dans les années 1990, la station expérimentale fruits d’Auvergne Rhône-Alpes (Sefra) travaille sur l’adaptation du matériel végétal aux conditions agroclimatiques de la région », indique Sophie Stevenin, direc- trice de la station expérimentale, basée à Étoile-sur-Rhône dans la Drôme. Ici-même, les expérimentations portent en majorité sur les fruits à noyau, comme les pêches, abricots ou encore cerises. « Si le réchauffement climatique était déjà amorcé à cette époque-là, nous avons aujourd’hui davantage besoin de travailler sur la recherche de nouvelles variétés », poursuit-elle. Des variétés qui doivent s’adapter à toutes les saisons, c’est-à-dire qui nécessitent moins de besoins en froid pour continuer à produire malgré les hivers doux, qui ne démarrent pas trop tôt pour éviter le gel des mois de mars et d’avril, et qui subsistent à des périodes de canicule de plus en plus prononcées chaque été. « Nous ne trouverons jamais la variété parfaite, mais l’objectif est de trouver celle qui présentera le meilleur compromis pour les producteurs. »

Un verger futuriste ?


Pour aller plus loin dans ses travaux, la Sefra proposera une nouvelle expérimentation en partenariat avec la société Sun’Agri fin 2021. Quatre hectares de pêchers et d’abricotiers seront implantés, dont trois sous des panneaux agrivoltaïques et avec des filets anti-grêle. « L’idée est non seulement d’atténuer les aspects climatiques avec ce type de panneaux mobiles et pivotants, mais aussi d’assurer une certaine protection des cultures face au gel de printemps. En période de forte chaleur, les panneaux pourront aussi être orientés de manière à ombrager davantage les arbres fruitiers et ainsi, diminuer le stress climatique et les besoins en eau », explique Sophie Stevenin. Et d’ajouter : « Il s’agira du premier verger de fruits à noyau en France équipé de ce système, ce qui nous permettra d’observer et d’analyser le comportement global des arbres. Un verger quelque peu futuriste, nous offrant la possibilité de produire des références objectives pour l’implantation de nouveaux vergers dans notre région », conclut la directrice.

L’agroforesterie, la solution de demain ?


Portée par la Chambre d’agriculture de la Drôme, la plateforme Techniques alternatives biologiques (TAB) étudiera, dès l’hiver prochain, les effets du changement climatique en agroforesterie. Deux systèmes agroforestiers seront mis en place. Le premier visant à améliorer le système actuellement en place, en apportant une disposition des arbres différente dans le but de créer un microclimat plus favorable et de limiter l’évapotranspiration, et donc les apports en eau. Dans ce contexte, un rang d’amandier sera positionné au Nord de chaque rang de pêcher pour bénéficier d’un effet brise-vent. Le second système permettra de tester de nouvelles cultures fruitières, comme la grenade, la pistache ou les olives.


Amandine Priolet